par Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas
A la veille du premier tour de l’élection présidentielle française, dimanche 22 avril, nous revenons sur trois chantiers auxquels le prochain Président, quel qu’il soit, devra s’atteler, à savoir redresser les finances publiques, restaurer la compétitivité et améliorer le marché du travail.
Les grands chantiers de la présidentielle
La France accuse à la fois un déficit budgétaire important (5,2% de son PIB en 2011) et une dette publique élevée (proche de 86% du PIB). Ces déséquilibres doivent être résorbés. La bonne nouvelle, c’est que la consolidation est déjà engagée, qu’elle est choisie et non subie, et qu’elle avance sans mal jusqu’à présent. L’objectif de revenir à l’équilibre budgétaire en 2016, une feuille de route ambitieuse, conditionne le coût, encore raisonnable, auquel la France emprunte sur les marchés. La grande difficulté sera de ne pas dévier de cette cible, alors que les marges de manœuvre dont disposera le prochain Président sont plus qu’étroites, au vu de la faiblesse de la croissance, du risque de trappe à austérité, et de la vigilance des marchés. C’est donc à un véritable numéro d’équilibriste qu’il devra se livrer.
Côté compétitivité, la tâche n’est pas moins aisée. A en juger par l’ampleur du déficit commercial en 2011 (EUR 71 milliards, soit 3,5% du PIB), la France a perdu beaucoup de terrain. Ce n’est pas irréversible mais cela nécessite de changer de modèle, de passer d’une logique de demande et de soutien aux consommateurs à une politique d’offre et de soutien aux entreprises. La reconquête des parts de marché perdues passe en effet par une maîtrise du coût unitaire du travail mais pas seulement. Les efforts doivent aussi porter sur une montée en gamme de la production, à forte valeur ajoutée et à fort contenu technologique. Il faut étoffer le tissu industriel d’entreprises de taille intermédiaire aux côtés des plus petites et des plus grosses, soutenir les entreprises (en particulier, les PME) et l’innovation, investir dans les secteurs d’avenir, promouvoir les partenariats, réformer en ce sens le dialogue social, le système éducatif et la formation.
Du côté du marché du travail, enfin, le défi est de remédier au chômage structurel élevé (il est estimé autour de 9% de la population active). Une croissance plus forte faciliterait bien sûr les choses, mais sans pour autant suffire (et puis d’où pourrait- elle venir si ce n’est d’une croissance de l’emploi elle-même forte). Il est communément reconnu que ce qui nuit aujourd’hui au bon fonctionnement du marché du travail français, c’est la dualité entre les emplois précaires et les emplois protégés. La solution est donc à chercher du côté d’un meilleur dosage entre flexibilité et sécurité de l’emploi, à l’image par exemple des politiques menées dans certains pays scandinaves. L’une ne doit pas être gagnée au prix de l’autre. C’est le Graal de la flexi-sécurité.
Ceci constitue un vaste programme, d’autant que ces trois chantiers sont étroitement imbriqués ; ils ne peuvent pas vraiment avancer l’un sans l’autre. Ainsi, la consolidation budgétaire se fera d’autant plus facilement que l’emploi est dynamique et celui-ci le sera d’autant plus que l’économie française est compétitive. Le redressement de la compétitivité passe, entre autres, par la correction des rigidités du marché du travail et l’assainissement des finances publiques. Celui-ci est, enfin, un passage obligé pour soutenir la croissance et les emplois de demain. Pour chacun de ces chantiers, des travaux ont commencé sous le quinquennat qui s’achève. Il faudra, au cours des cinq prochaines années, au minimum les poursuivre et, de préférence, passer à la vitesse supérieure.
Un dernier tour avant le premier tour
Le premier tour de l’élection présidentielle est aussi l’occasion de faire le point sur les sondages et un récapitulatif des programmes. Côté sondages (en date du 18 avril), Nicolas Sarkozy et François Hollande sont au coude à coude, avec chacun entre 25% et 30% des intentions de vote. Jean- Luc Mélenchon, Marine Le Pen et François Bayrou se disputent la troisième place, avec ±15% chacun des intentions de vote. Eva Joly attire entre 2 à 3% des intentions de vote ; Nathalie Arthaud, Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan, Philippe Poutou oscillent entre 0 et 1,5%.
Côté programmes, nous nous focalisons ici sur celui des deux favoris. Ils ont tout d’abord en commun un point essentiel, à savoir leur engagement à ramener le budget de l’État à l’équilibre. En revanche, la date et les moyens diffèrent. En ce qui concerne la date, F. Hollande vise l’équilibre budgétaire en 2017, soit un an après N. Sarkozy. L’effort de redressement budgétaire s’en trouve lissé. Cet écart d’un an n’est pas significatif ; ce qui importe, c’est l’objectif, les moyens et la fermeté de l’engagement. Or, comme le dit bien l’expression « le diable est dans les détails », ceux-ci (ou leur absence) jettent justement un doute sur le respect de l’objectif.
Dans le programme de N. Sarkozy, le rééquilibrage budgétaire passe, pour deux tiers, par la réduction des dépenses (pour EUR 79 milliards) et, pour un tiers, par une hausse des recettes (pour EUR 45,5 milliards). Ce mix respecte les critères empiriques d’une consolidation budgétaire réussie. Les baisses de dépenses sont, en effet, réputées plus efficaces que les hausses d’impôts pour réduire durablement un déficit budgétaire car elles sont plus difficilement réversibles et moins douloureuses pour la croissance. En revanche, les économies budgétaires comme les recettes supplémentaires attendues apparaissent surestimées.
Dans le programme de F. Hollande, la clé de répartition des efforts est un peu différente, les hausses d’impôts faisant jeu égal avec les baisses de dépenses (pour un montant d’environ EUR 50 milliards chacune). Les détails sont néanmoins insuffisants pour permettre un chiffrage précis. Si les hausses de recettes sont détaillées, ce n’est pas le cas des baisses de dépenses. Le rééquilibrage du budget semble dépendre en grande partie d’une accélération de la croissance, discutable du fait, notamment, d’une sous-estimation probable de l’impact négatif de l’alourdissement de la pression fiscale. Les deux programmes reposent, de fait, sur des hypothèses de croissance optimistes à partir de 2013 (cf. Semaine dans la zone euro) : +1,75% à cette date pour N. Sarkozy et +2% ensuite ; +1,7% en 2013 pour F. Hollande, puis +2% en 2014 et entre +2 et +2,5% ensuite.
La compétitivité et la croissance font l’objet d’un certain nombre de mesures de soutien via un renouveau souhaité de l’industrie, le renforcement des PME, la stimulation de la R&D. Chez N. Sarkozy, cela passe essentiellement par la TVA sociale (voir EcoWeek 12-09, « Quinze jours en France : à l’attaxe » et EcoWeek 12-04, « Une ‘TVA sociale en France ? Oui mais… »), à laquelle s’ajoutent des mesures plus spécifiques visant un meilleur financement des PME et un accroissement de leurs marchés. F. Hollande se focalise, lui, sur le volet financement des PME ainsi que sur diverses incitations fiscales à la relocalisation de la production en France et à la formation brute de capital. En incitant les entreprises à utiliser leurs liquidités pour investir dans du capital physique et humain plutôt que dans des placements financiers, il a, dans sa ligne de mire, la financiarisation de l’économie.
Ce faisant, les deux candidats reprennent à leur compte de nombreux éléments typiques d’une politique de l’offre. Ils ne délaissent pas totalement les mesures de soutien à la demande mais celles-ci ne sont pas au cœur de leur programme. N. Sarkozy défend en particulier une hausse du salaire net des travailleurs gagnant entre 1 et 1,3 SMIC via une baisse de leurs cotisations salariales. F. Hollande défend une augmentation de 25% de l’allocation de rentrée scolaire et un coup de pouce au SMIC en juillet en plus de l’instauration d’une nouvelle règle de revalorisation automatique qui le ferait aussi augmenter avec la croissance.
En ce qui concerne le marché du travail, l’angle d’attaque des deux candidats est différent, avec quelques points de rapprochement. Ceux-ci portent sur l’attention accordée à l’emploi des jeunes et des seniors ainsi qu’à la formation. N. Sarkozy se démarque en mettant l’accent sur l’apprentissage. C’est aussi un partisan des accords compétitivité-emploi, pour que chaque entreprise puisse adapter, au mieux, la masse salariale aux fluctuations de l’activité. F. Hollande se démarque avec ses objectifs chiffrés de créations d’emplois et l’accent mis sur l’accompagnement des chercheurs d’emploi et des travailleurs.
En résumé, chacun à sa manière, les deux candidats s’attaquent aux chantiers décrits plus hauts par une série d’ajustements. Cependant, ils n’engagent pas de réformes majeures, d’où le sentiment que leurs propositions ne sont, à ce stade, pas à la hauteur des enjeux.