QE de la BCE : quels sont les risques ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Jusqu’à récemment les analyses du QE de la BCE se concentraient principalement sur ses conséquences potentiellement positives sur la zone euro :

• baisse des taux d’intérêt nominaux mais aussi réels facilitant le financement des Etats européens mais également des agents privés ; amélioration de la transmission de la politique monétaire avec la baisse des taux pratiqués aux agents privés ;

• desserrement des conditions de crédit et poursuite de la reprise de demande de prêts d’après la dernière Banking Lending Survey ;

• redémarrage des crédits octroyés aux agents privés ;

• dépréciation du taux de change effectif de l’euro avec son impact sur la compétitivité des entreprises soutenant ainsi la confiance et la croissance et son effet haussier sur les prix ;

• remontée encore modeste des anticipations d’inflation, le swap 5 ans à 5 ans revenant vers 1,7% après un point bas à 1,48% mi- janvier.

Toutefois, les impacts très marqués du QE de la BCE sur les marchés soulèvent la question des potentiels déséquilibres (entre autres la formation de bulles spéculatives) que pourrait créer la BCE. Après seulement un mois de mise en œuvre sur les titres souverains et environ 200Md€ de hausse de son bilan (via les TLTRO et achats de différents titres) depuis le point bas à l’automne dernier, les marchés ont fortement réagi. Quels sont les risques potentiels ?

  • Les indices actions européens ont gagné environ 20% depuis le début de l’année. Si une hausse peut se justifier par l’embellie des perspectives de croissance dans la zone euro et par la faiblesse des rendements, une telle revalorisation n’aurait pas eu lieu en l’absence du QE de la BCE.
  • Après avoir fortement diminué en 2014 (-139pb sur les taux 10ans allemands, -173pb sur les taux français, -224pb sur les taux italiens et -254pb sur les taux espagnols), les taux d’intérêt ont continué de baisser en début d’année 2015 : les taux allemands à 10 ans sont désormais proches de 0 (0,09%) et l’Allemagne se finance jusqu’à 8 ans avec des taux d’intérêt négatifs ! Les primes de risque sur certains pays ne reflètent plus le risque de crédit…. L’Italie et l’Espagne se financent à 1,3% à 10 ans soit environ 60pb en dessous des Etats-Unis. Cela pourrait constituer une incitation à faire moins d’efforts pour consolider les finances publiques. De plus, alors que l’inflation de la zone euro était sur une tendance baissière, le recul des taux d’intérêt nominaux visait à éviter une hausse des taux d’intérêt réels. Mais l’inflation devrait progressivement remonter conduisant alors à un tassement supplémentaire des taux d’intérêt réels et potentiellement à une politique monétaire trop accommodante. Or si l’objectif est aujourd’hui de faire repartir le crédit, il ne faudrait pas que cela génère de l’endettement non soutenable à moyen terme (taux variables). Par ailleurs, les investisseurs (mark to market) qui achètent des titres aujourd’hui risquent de subir des pertes lorsque les taux remonteront. Enfin, les taux d’intérêt négatifs et l’aplatissement de la courbe des taux posent des problèmes importants pour les banques et les assurances. Si les évolutions récentes s’intensifient, la BCE va créer un environnement dont il va ensuite être très difficile de sortir sans provoquer de choc.
  • Le taux de change effectif de l’euro s’est déprécié de 9% depuis le début de l’année après 6% en 2014. Si les effets d’un taux de change plus faible sur la compétitivité et les prix sont les bienvenus, on peut se poser la question de la légitimité de déprécier son taux de change lorsque l’on enregistre un excédent courant important, ce qui est source de déséquilibres pour d’autres économies.
  • Le risque de perte en capital de la BCE ne nous semble en revanche pas un problème en soi.

Il est toujours compliqué de déterminer si un marché est caractérisé par une bulle spéculative. A la question de l’émergence de bulles sur les marchés, Mario Draghi a répondu qu’il ne voyait pas la création de déséquilibres systématiques de grande ampleur et qu’une des conditions pour voir une bulle est une forte hausse de l’endettement accompagnée par une progression soutenue du crédit bancaire. Par ailleurs, il a mis en avant la meilleure santé du système bancaire. Enfin, il a souligné que la première réponse à l’éventuelle montée de risques serait de nature macro prudentielle. En d’autres termes, il n’envisage pas que la trajectoire du QE puisse être modifiée par la montée des risques financiers. Sa définition de bulle nous semble partielle et si les instruments macro-prudentiels peuvent permettre de limiter les risques dans certains secteurs (banques/ assurances,…), ils ne couvrent pas tous les types d’institutions financières (« shadow banking »).

Tant que la BCE achètera des titres, le risque de voir une chute des marchés restera limité. Toutefois, si pour le moment la BCE ne voit pas de raison de modifier sa trajectoire, la sortie de sa politique ultra-accommodante risque de s’avérer délicate.

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