par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis AM
L'observation du marché obligataire dévoile une relative stabilité des taux d'intérêt aux Etats-Unis et en zone Euro depuis le printemps. Les taux d'intérêt obligataires de court terme sont en phase avec le maintien de l'orientation accommodante de la politique monétaire et les taux longs n'intègrent pas de prime d'inflation spécifique.
En Angleterre cependant, la configuration est légèrement différente : les taux d'intérêt de long terme sont stables mais les échéances les plus courtes (2 ans) sont impactées par les interrogations pesant sur la politique monétaire.
Une configuration stable…
Cette configuration relativement stable devrait le rester pendant un moment au vu des engagements pris par les banques centrales à savoir :
- Maintenir leur taux d'intérêt de référence à un niveau très bas et sur la durée. En témoigne l’exemple de la Banque de Suède qui s’est déclarée décidée à maintenir son taux de référence bas (0,25 %) a minima jusqu'à l'automne 2010.
- Ne pas considérer que l'ajustement macroéconomique, après cette crise, serait facilité par un taux d'inflation durablement plus élevé. Du fait de cet engagement important, les anticipations d'inflation sont plutôt limitées dans les différentes structures de taux d'intérêt. Ainsi, les deux indicateurs suivis aux Etats-Unis et en zone Euro revêtent des profils identiques avec un point mort d'inflation relativement bas sur des obligations à 10 ans (un point mort plus bas que dans le cycle précédent). Il en va de même sur les anticipations d'inflations à 5 ans dans 5 ans. Ces deux indicateurs ne signalent donc pas d'attentes déstabilisantes sur l'évolution de l'inflation. Le risque de déflation avait été nettement pris en compte en début d’année, d’où un net repli des taux longs américains visible sur le graphique à cette période.
- La combinaison des deux engagements précités vient expliquer la forte pente de la courbe des taux entre le taux à 2 ans et 10 ans. L'engagement de maintenir des taux très bas tire en effet le taux 2 ans vers le bas et reflète simultanément une situation plutôt normale sur l'inflation sur la partie longue de la courbe. L’explication de cette mécanique éclaire sur le mouvement actuel du taux 2 ans anglais qui s’oriente à la baisse, la Banque d'Angleterre entretenant le doute quant à une éventuelle dernière baisse de ses taux directeurs.
…mais des doutes pourraient s'installer
Ces différents éléments militent pour une relative stabilisation des taux d'intérêt sur les mois à venir. Cependant, certaines craintes pourraient venir contrecarrer ou invalider ce scénario.
- Craintes liées au maintien de l'engagement des banques centrales sur les taux d'intérêt très bas et sur la durée : La situation pourrait en effet évoluer si l'activité redémarrait sur un rythme plus soutenu qu'attendu. Cependant au regard de la rupture observée sur l’activité, les fonctions de réactions des banques centrales(1) semblent écarter tout changement d'orientation immédiat même en cas de reprise soutenue. Pourtant on observe que les banquiers centraux gagnent en nervosité avec la reprise de l'activité. On peut imaginer que pour éviter une orientation des anticipations des acteurs économiques qui pourrait être trop volatile, les banques centrales interviennent plus rapidement que ce qui est généralement anticipé.
- Craintes liées à la mise en œuvre des stratégies de sortie de crise : Durant la crise financière, l’intervention des banques centrales s'est soldée par un gonflement sans précédent de leur bilan. Les liquidités injectées ont permis de stabiliser puis de renforcer les systèmes bancaires et financiers. Cependant, lorsque la situation s'améliore, il est nécessaire d'éponger ces liquidités afin de limiter le risque d'inflation lorsque des tensions apparaîtront sur l'appareil productif. Les liquidités peuvent en effet servir à accentuer celles-ci via une distribution excessive de crédits. Afin d’éviter cela, les banques centrales vont mettre en place ces stratégies de sortie. Les méthodes utilisées par les autorités monétaires au plus fort de la crise n’ayant pas du tout été homogènes, les tailles de bilan, les modes et l'ampleur des achats d'actifs sont extrêmement différenciées. Le retour à une situation plus normale pourrait donc provoquer un peu plus de volatilité sur les marchés, ce que souhaitent éviter les banquiers centraux. Cela explique pourquoi Ben Bernanke et Jean-Claude Trichet ont déjà commencé à communiquer largement sur ces opérations, même si aucun des deux ne donne de calendrier.
- Craintes liées aux déficits inhérents à la mise en œuvre de ces stratégies de sortie par les gouvernements : La crise s'est traduite par une hausse spectaculaire des déficits et des dettes publiques. Le FMI considère ainsi qu'à l'horizon 2014, le rapport entre la dette publique et le PIB des pays les plus avancés pourrait atteindre les 110 %, contre un peu moins de 40 % au début des années 70. Pour retrouver des marges de manœuvre, les gouvernements devront adopter des stratégies très volontaristes et sur une période relativement longue, ce sans quoi ils n’auront aucun degré de liberté pour intervenir en cas de nouveau choc négatif sur l'économie.
Si la croissance semble être une condition nécessaire pour résorber ces excès, elle s’avère insuffisante aujourd'hui. De vraies stratégies sur les dépenses et les revenus doivent être élaborées et annoncées afin de limiter l'incertitude dans laquelle évoluera l'ensemble des acteurs économiques. C'est ici une véritable révolution que de pousser les gouvernements à s'engager sur des stratégies définies à l'avance.
Pour 2010, si la situation est perçue comme meilleure, il faudra sans nul doute énoncer ces orientations afin que chaque acteur économique puisse allonger son horizon sans que celui-ci ne soit obscurci par d'éventuelles incertitudes sur la façon dont les gouvernements pourraient s'ajuster.
Au-delà de ces dynamiques internes, l'année 2010 va voir se mettre en place une situation nouvelle. La dynamique de reprise se situe en Asie, même si d'autres zones émergentes présentent des dynamiques robustes. Cette situation va fortement influer sur la dynamique des taux d'intérêt des pays industrialisés car elle engendre deux questionnements majeurs :
- Si la situation cyclique est meilleure en Asie, les banques centrales utiliseront la politique monétaire pour gérer la conjoncture. C'est d'ailleurs ce qu'a évoqué la Banque d'Australie lorsqu'elle a relevé son taux d'intérêt de référence le 6 octobre. On peut imaginer que la Corée puisse faire de même puisque sa reprise est avérée. Or, ce changement de stratégie aura nécessairement des incidences sur les pays industrialisés.
- Si, dans cette zone émergente qu'est l'Asie, un pays comme la Chine recentre son processus de croissance sur son marché intérieur, quel sera alors son comportement vis-à-vis des financements extérieurs qu'elle mettait jusqu'à présent en œuvre (notamment à destination des Etats-Unis) ? De plus, comment utilisera et gérera-t-elle, dans cette réallocation de moyens, l'ensemble de ses réserves de change (largement investies en titres du Trésor américain) ?
Conclusion
Toutes ces questions vont venir jalonner les prochains mois, provoquant aujourd'hui davantage de questionnements que de réponses. Si l'économie reprend de sa vigueur en 2010, cela se traduira certainement par des ajustements importants et une volatilité plus marquée sur les marchés de taux d'intérêt.
NOTES
- Les fonctions de réactions des banques centrales font dépendre, de façon statistique, le taux d'intervention de l'écart au potentiel de l'activité et de l'écart de l'inflation à l'objectif implicite ou explicite de la banque centrale.