Quantitative easing : en avant toute !

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

• La Banque centrale européenne (BCE) a finalement rejoint le club des banques centrales ayant opté pour l’assouplissement quantitatif (« QE »).

• Elle annonce un programme de rachats de titres de dette privée et publique de EUR 60mds par mois jusqu’en septembre 2016, voire au-delà.

• Elle supprime, en outre, la prime de 10 points de base appliquée aux opérations ciblées de refinancement à long terme (TLTRO).

• La BCE est certainement allée au-delà des attentes du marché ; mais elle aussi dû faire un compromis au sujet de la question de la mutualisation des risques.

• Le programme aura-t-il les effets escomptés ? L’évolution des anticipations d’inflation, des taux d’intérêt et des taux de change permettra d’en juger.

Le 22 janvier 2015, la BCE s’est engagée sur la voie de l’assouplissement quantitatif (assouplissement quantitatif ou QE). À certains égards, son programme dépasse les anticipations du marché, notamment sur le fait qu’il ne prendra fin que lorsque l’inflation sera revenue proche de la cible de 2%. Il est quelque peu décevant sur la question du partage des risques. L’évolution des taux de change, des taux d’intérêt à long terme, des spreads et des anticipations d’inflation dans les semaines à venir nous dira si le programme a atteint ses objectifs. Nous examinerons dans cet article les différents aspects du plan (pour plus de détails, voir le communiqué de presse) Des achats conséquents jusqu’en septembre 2016, voire au-delà…

La BCE va racheter, tous les mois, EUR 60mds de titres. Ce montant comprend les titres de dette privée, à savoir les ABS (titres adossés à des actifs) et les Covered Bonds (obligations sécurisées ou CB) qui figurent déjà dans son programme de rachat, mais aussi les obligations émises par les administrations centrales, les agences et les institutions européennes de la zone euro. Le programme sera maintenu jusqu’à ce que le Conseil des gouverneurs observe un ajustement durable de l’évolution de l’inflation vers la stabilité des prix et, quoiqu’il en soit, jusqu’en septembre 2016.

Ce montant est conforme à l’objectif de la BCE de ramener son bilan au niveau atteint au début de 2012, soit EUR 3.000mds, contre EUR 2200mds actuellement. Les mesures adoptées permettront en effet d’accroître la taille du bilan de plus de EUR 1.000mds d’ici à septembre 2016. Par ailleurs, le montant des liquidités qui seront injectées par le biais des opérations de refinancement ciblées (TLTRO) à venir va également dans ce sens : jusqu’à présent, les marchés tablaient sur une demande de l’ordre de EUR 300 à 400mds lors des prochaines TLTRO. Avec la décision prise le 22 janvier d’abaisser de 10 pb les taux d’intérêt sur ces opérations, l’affluence au guichet de la BCE pourrait s’en trouver accrue. La Banque centrale européenne va en effet fournir de la liquidité sur une durée de 3 ans et demi au taux de 0,05 %, (le taux refi), une mesure qui va probablement réduire encore les taux d’intérêt à moyen terme.

La conditionnalité attachée au programme, à savoir un ajustement durable de l’évolution de l’inflation vers le niveau de 2 %, lui confère de la crédibilité et montre clairement la détermination de la Banque centrale d’atteindre son objectif d’inflation. L’observation empirique montre en effet que les anticipations d’inflation sont positivement corrélées à l’accroissement du bilan de la Banque centrale. En adoptant cette politique d’assouplissement quantitatif, la BCE entend réduire les taux d’intérêt réels et les porter à des niveaux négatifs, en abaissant les taux d’intérêt nominaux sur les échéances éloignées et en faisant remonter les anticipations d’inflation. Comme l’explique le Président Draghi, la chute de l’inflation et des anticipations d’inflation a de facto annulé les effets des baisses de taux antérieures.

Les actifs éligibles

La BCE rachètera des obligations d’État notés au minimum en catégorie investissement (investment grade). Les titres dont la notation est inférieure à celle de cette catégorie seront acceptés sous réserve que les pays concernés fassent l’objet d’un programme d’assistance financière.

Quid de la Grèce ?

Le cas de la Grèce est plus complexe. Ce pays bénéficie en effet de ce type de plan d’aide et est donc théoriquement éligible au « QE ». Le programme comporte toutefois des limites (pas plus de 33% de la dette de chaque Etat1) qui seraient dépassées compte tenu du fait que la BCE détient déjà un important stock de dette grecque (celle acquise dans la cadre du « vieux » programme SMP, Security Market Program). Au-delà du résultat incertain des élections générales, il faudra attendre concrètement le mois de juin et la prochaine tombée de dette pour que le pays soit éligible au « QE ».

Qui achete ; sur quel maturités

La BCE rachètera des titres de dette assortis d’échéances allant de 2 à 30 ans, une mesure dont il y a lieu de se féliciter. En concentrant son action sur l’ensemble de la courbe de taux et principalement sur les échéances éloignées, la BCE renforce de fait l’efficacité de son programme, les décisions d’investissement des ménages et des entreprises étant plus sensibles à l’évolution des taux d’intérêt à long terme. À la fois les banques centrales nationales (BCN) et la BCE. Cette dernière ne rachètera que 8 % des actifs supplémentaires. Les achats de titres émis par les administrations centrales et les agences de la zone euro seront fonction de la part des BCN de l’Eurosystème dans la clé de répartition du capital de la BCE.

Partage des risques

Il n’y a, de facto, aucune mutualisation des risques. Seuls 20 % des actifs achetés dans le cadre du programme feront l’objet d’un partage des risques et une bonne partie des actifs dont les risques sont mutualisés sont des titres émis par des institutions européennes (dont le risque de défaut est proche de zéro). Cette décision, qui est probablement le résultat d’un compromis au sein du Conseil, pourrait nuire, tout au moins dans une certaine mesure, à l’efficacité du programme. L’absence de mutualisation des risques confère de fait un statut de créancier privilégié aux BCN par rapport aux détenteurs de la dette privée2. Ces derniers pourraient en effet exiger une rémunération plus forte sous forme de hausse des taux d’intérêt, limitant ainsi les effets de l’assouplissement quantitatif. Quoi qu’il en soit, M. Draghi a qualifié de « futile » l’ensemble du débat sur le partage des risques, précisant que les BCN ont toutes les ressources et les marges nécessaires pour faire face aux risques de défaut potentiels. Il s’agit donc pour lui d’un faux problème.

Pour conclure

Toutes ces mesures sont encourageantes. L’ampleur du programme et ses modalités témoignent de l’intention et de la détermination de la BCE de ramener l’inflation vers l’objectif en adoptant des mesures énergiques. Ce programme va permettre à la BCE de réduire les taux à long terme alors que les taux courts ont déjà atteint leur plancher égal à zéro, stimulant ainsi la demande intérieure et, par voie de conséquence, l’inflation. Les opérations de rééquilibrage de portefeuille devraient se traduire par une baisse des rendements dans les pays qui ont connu un durcissement des conditions monétaires et financières. La Banque centrale européenne s’attend par ailleurs à ce que ces injections massives de liquidités stimulent la croissance du crédit ; or, s’il s’agit là d’une condition nécessaire, elle n’est pas suffisante pour doper le crédit. La masse monétaire va considérablement augmenter avec ce programme d’assouplissement quantitatif, mais la demande de crédit reste cruciale pour l’accroissement de l’agrégat M3, l’un des déterminants de l’inflation. La BCE crée toutes les conditions propices à une accélération de la production de crédit, en réduisant les coûts de financement pour les banques et en leur assurant un financement stable (par le biais des TLTRO) à un moment où elles doivent se conformer à des règles prudentielles plus strictes. Il faut espérer que les effets de l’assouplissement quantitatif sur la confiance, les taux d’intérêt à long terme et le taux de change donnent un coup de fouet à la demande de crédit.

NOTES

  1. À défaut et en application des clauses d’action collective, la BCE obtiendrait de facto un droit de veto sur les décisions de restructuration de la dette, ce qui l’amènerait à sortir de son rôle. La BCE a, cependant, indiqué qu’elle s’opposerait toujours à une restructuration de la dette, qu’elle considère comme un financement monétaire. Ce faisant, elle fixe une limite implicite à la détention de titres de dette souveraine.
  2. Voir sur ce point Giavazzi et Tabellini “Effective Eurozone QE: size matters more than risk-sharing”

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