par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis
Les réponses annoncées aux problèmes microéconomiques (réglementaires) et institutionnels vont dans les bonnes directions. Mais il n’y a pas d’espoir d’une correction des déséquilibres macroéconomiques, qui sont la cause profonde des crises financières.
On peut donc dire que les gouvernements sont d’assez mauvaise foi : ils veulent corriger les biais de comportements des intermédiaires financiers qui ont contribué à l’amplification de la crise, mais ils ne veulent pas corriger leurs propres biais de comportement qui ont joué un rôle central dans l’apparition de la crise.
Les objectifs normaux de la réforme du Système Financier international.
La réforme du Système Financier International nous semble devoir avoir trois types d’objectifs :
• Des objectifs de types « microéconomique » :
– transparence accrue sur les risques des produits financiers (ce qui concerne les banques, les agences de rating), pour éviter les modifications brutales du risque affiché qu’on a observé dans cette crise ;
– garanties publiques sur les ressources (les dettes) des banques en contrepartie d’une moindre prise de risque par les banques ;
– remplacement de marchés de gré à gré (OTC) par des marchés organisés (par exemple pour les CDS) ;
– suppression des facteurs procycliques dans les réglementations (Bâle II, Solvency II) et dans les normes comptables ;
– création de règles adaptées à des investisseurs à horizon de long terme pour lutter contre le « short-termisme » ;
– extension des réglementations prudentielles (capital minimum par exemple) à tous les intermédiaires financiers et aux places offshore ;
– modification des critères d’attribution des crédits (moins de lien avec la richesse, comme cela a été le cas aux Etats-Unis.
• Des objectifs de type « macroéconomique » :
– contrôle de la liquidité mondiale, c’est-à-dire coordination monétaire internationale permettant d’éviter l’excès de liquidité ;
– disparition progressive des causes de l’excès de création monétaire mondiale : déficit extérieur des Etats-Unis, anomalies des régimes de change (Moyen-Orient, Chine…, ce qu’on a appelé les « déséquilibres globaux » ;
– politiques permettant d’éviter les effets déstabilisants des flux de capitaux excessifs : par exemple taille anormalement élevée des banques (Islande), excès de distribution de crédit, surtout en devises (Hongrie, Pays Baltes, Inde, mouvements excessifs des taux de change.
• Des objectifs de type « institutionnel » :
– donner un poids suffisant aux grands pays émergents dans les décisions monétaires internationales, au FMI ;
– accroître les moyens d’intervention du FMI, en raison de la taille des flux de capitaux.
Si les objectifs macroéconomiques ne sont pas atteints, il est à craindre que les crises se répètent : quelles que soient les réglementations et les améliorations institutionnelles, s’il y a excès de liquidité et de ce fait flux de capitaux incontrôlables, il y aura à nouveau excès d’endettement et bulles sur les prix des actifs.
Les décisions de la réunion de Washington du 15 novembre.
Reprenons les trois catégories utilises plus haut.
(1) objectifs microéconomiques.
Ont été mentionnés pas le G20 :
− l’extension de la surveillance à « tout intervenant, tous les produits et tous les marchés » ;
− le besoin de « transparence sur les actifs hors bilan et les instruments financiers complexes notamment le CDS » ; en parallèle, des initiatives sont prises pour créer un marché « organisé » des CDS ;
− la demande que les « régulateurs s’assurent que les agences de notation répondent aux normes les plus exigeantes » ;
− des « missives pour protéger le système financier mondiale des juridictions non coopératives qui présentent un risque d’activité financière illégale » ;
− la « remise à plat des aspects de la régulation qui exacerbent les crises » et « l’harmonisation des normes comptables » ; la « révision des pratiques de rémunérations des dirigeants des banques pour éviter des prises de risque excessives ».
On voit que, même s’il s’agit pour l’instant de déclarations assez vagues, et même si la régulation restera faite sur une base nationale, ce qui peut compromettre les objectifs d’extension du champ de régulation, ces points couvrent à peu près la liste des objectifs microéconomiques mentionnés plus haut.
(2) Objectifs institutionnels.
Le G20 mentionne la « révision du mandat, de la gouvernance et des besoins en capitaux des institutions financières internationales », incluant une place plus importante pour les pays émergents, ce qui va clairement dans le bon sens.
(3) Objectifs macroéconomiques
C’est ici qu’apparaît en réalité l’absence de volonté de coopération internationale.
Après l’engagement de relancer les négociations de l’OMC, le G20 ne fournit aucune proposition visant à améliorer la gouvernance macroéconomique du Monde.
Suggérer l’utilisation « de mesures budgétaires pour stimuler la demande interne avec des résultats rapides » ou des baisses de taux d’intérêt consiste simplement à reprendre ce que les pays font de manière massive sans aucune coordination réelle (hausse importante des dettes publiques ; baisse forte des taux d’intérêt, programmes de soutien des banques.
On sait d’ailleurs que l’absence de coordination risque d’empirer, puisque plusieurs pays ont mentionné la possibilité de déprécier leur taux de change pour soutenir leur économie (Chine, Russie), ce qui est évidemment très non coopératif. Ce n’est pas parce que les pays passent tous à des politiques budgétaires et monétaires stimulantes qu’il y a coordination puisque :
− les programmes en faveur des banques diffèrent d’un pays à l’autre ;
− les politiques monétaires expansionnistes peuvent avoir comme objectif la dépréciation du change.
La réduction des « déséquilibres globaux » nécessiterait, non pas des mesures expansionnistes dans tous les pays, mais un effort pour réduire le déficit extérieur aux Etats-Unis et un effort pour accumuler moins de réserves de change dans les pays ayant des excédents extérieurs (Chine, Moyen- Orient…).
Il n’y a clairement pas au G20 de consensus sur les causes macroéconomiques de la crise : pour les Etats- Unis « les déséquilibres mondiaux persistants et les excès ne peuvent pas être attribués à une seule Nation ».
Les déséquilibres globaux ne sont donc pas mentionnés, apparemment à la demande de la Chine.
Comme il a été dit plus haut, si les déséquilibres globaux persistent, la liquidité mondiale continuera à croître beaucoup trop vite, et il y aura d’autres crises financières.
La vraie cause fondamentale de la crise (le financement du déficit extérieur des Etats-Unis par les banques centrales des pays à excédents extérieurs) va donc persister. Il est clair que les Etats ont souhaité corriger les biais de comportement de la finance, mais pas leurs propres biais de comportement.