Quelles politiques monétaires non conventionnelles en 2013 ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Depuis la faillite de Lehman en 2008, la Réserve Fédérale américaine et la Banque Centrale Européenne ont largement modifié la conduite de la politique monétaire en mettant en œuvre des politiques non conventionnelles. Ces dernières ont consisté en une forte hausse de la taille de leurs bilans, de respectivement 6,6% du PIB mi-2008 à 18,3% actuellement pour la Fed et de 15,7% à 32,4% pour la BCE.

Les politiques menées sont très différentes, la Fed mettant en place des programmes d’achats d’actifs (MBS, Titres du Trésor,…) et n’hésitant pas à monétiser la dette publique alors que la BCE privilégie les prêts aux banques, minimisant les achats de titres qu’elle stérilise (SMP). Les objectifs sont également différents même si le but ultime des deux banques centrales est de favoriser la croissance. Du côté de la Fed, l’objectif est de rendre les conditions monétaires et financières plus accommodantes de façon à faire baisser le taux de chômage alors que la politique menée par la BCE vise à éviter une crise de liquidité au niveau des banques (VLTRO1) et à rétablir les canaux de transmission de la politique monétaire (OMT2) dans les pays périphériques. En 2013, les politiques monétaires devraient rester très expansionnistes des deux côtés de l’Atlantique mais il subsiste une plus forte incertitude dans la zone euro, la Fed ayant levé le voile sur ses intentions lors de son dernier FOMC.

En effet, la Fed a annoncé son nouveau programme d’achats de titres du Trésor de 45 Md$ par mois. Par ailleurs, elle a une nouvelle fois innové sur le front de la transparence et de la communication, en conditionnant la remontée des taux à un niveau précis de taux de chômage (6,5%) (vs la date de mi-2015 précédemment). Pour éviter les critiques sur l’émergence d’un éventuel risque inflationniste, la Fed la conditionne également au fait que l’inflation prévue ne dépasse pas 2,5% (1/2 point supérieur à l’objectif d’inflation) et que les anticipations d’inflation restent bien ancrées. Ces mesures visent à renforcer la transparence de la politique monétaire mais elles pourraient néanmoins semer le trouble en cas de divergence des objectifs (taux de chômage encore supérieur à 6,5% et anticipations d’inflation orientées à la hausse).

Avec un programme d’achats de titres de 85 Md$ par mois (40Md$ de MBS3 déjà annoncés en septembre dernier et 45Md$ de titres du trésor), le bilan de la Fed augmentera de 1020Md$ en 2013, pour atteindre près de 3 900Md$.

Face à la menace du « fiscal cliff »4 (en corollaire à la forte incertitude qui en découle) et à la nécessaire consolidation budgétaire, la Fed prend le contre-pied en évitant un resserrement du policy-mix aux Etats-Unis et en rendant la politique monétaire plus transparente. La question de l’efficacité de la politique monétaire menée reste posée.

Dans un environnement de désendettement des ménages, l’expansionnisme de la politique monétaire n’a que peu d’impact sur la croissance via le canal du crédit. Pour autant, les effets de la politique de la Fed sont nombreux et peuvent d’ailleurs être parfois critiquables. 1/ En baissant l’ensemble des taux d’intérêt, elle permet à de nombreux ménages de renégocier leurs prêts profitant de conditions plus favorables et améliorant ainsi leur solvabilité. 2/ Elle soutient le marché immobilier en acquérant des MBS, facilitant ainsi le financement immobilier. 3/ En achetant des titres du Trésor, elle incite les investisseurs à se reporter sur des financements plus risqués. 4/ En donnant plus de transparence sur le processus de sortie de la politique monétaire à taux zéro, elle crée un environnement plus stable pour les investisseurs. 5/ Elle permet à l’Etat Fédéral de se financer à moindre coût, réduisant les charges de la dette. Si la monétisation favorise le désendettement, elle est cependant critiquable à d’autres égards et pose évidemment des questions d’aléa moral. 6/ Elle essaie de freiner l’appréciation du dollar liée au décalage conjoncturel et au rôle de valeur refuge de la devise américaine.

Du côté de la BCE, il subsiste encore d’importantes incertitudes. Sur le front de la politique de taux, il ne fait maintenant guère de doute que la BCE procèdera en début d’année à une nouvelle baisse du refi de 25pb (le portant à 0,50%). En revanche, l’évolution du bilan de la BCE dépendra d’une part du montant de remboursement des VLTRO par les banques (à partir de fin janvier) et d’autre part de l’éventuelle demande d’aide d’un pays en difficulté pour que les OMT soient mis en place, deux facteurs que la BCE ne maîtrise guère. A court terme, il est vraisemblable que la taille du bilan diminue avec certains remboursements des VLTRO. Même si nous pensons que l’Espagne finira par demander l’aide européenne activant ainsi les OMT, il n’est pas sûr que la BCE soit obligée d’acheter d’importants montants de titres pour stabiliser les taux d’intérêt.

NOTES

  1.  Very Long Term Refinancing Operations, les deux opérations de refinancement à 3 ans pouvant donner lieu à un remboursement anticipé.
  2.  Outright Monetary Transactions, achats de titres souverains par la BCE ; SMP (Securities Market Programme), 1er programme d’achat
  3.  MBS d’agences (Mortgage Back Securities)
  4.  Falaise budgétaire (choc fiscal de 600Md$ en début d’année 2013)

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