Quelques repères 
au travers de 13 chiffres clés

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi

Il y a moins d’un mois, nous avons publié nos scénarios et convictions pour 2015 et au-delà. Il s’agit de notre document de référence. L’objectif n’est pas ici de rappeler toutes nos conclusions, mais de resituer notre cadre d‘analyse à la lumière de quelques chiffres clés.

1 % Le taux de croissance moyen pour les prochaines années en zone euro. Voilà ce que la zone euro peut produire, actuellement. Pour faire davantage, il faudra une politique économique davantage tournée vers la croissance : la BCE a définitivement pris cette voie, les instances européennes s’y engagent, et les États font ce qu’ils peuvent au gré de leurs marges de manœuvre (souvent faibles), usant dans le meilleur des cas de politiques de réformes affectant le moins possible le potentiel de croissance, à l’inverse des politiques d’austérité qu’ont mené les pays périphériques. Ces derniers sont certes considérés comme des pays ayant montré leur capacité à réformer (voir le classement de l’OCDE – Economic Policy Reforms – Going for Growth 2013 – OECD Report), mais ils ont anéanti la demande interne et poussé le chômage vers des niveaux considérables…

Conséquence : difficile de croire que les craintes déflationnistes – bien présentes dans l’ensemble des pays de la zone euro – disparaîtront de sitôt.

Risque: un fléchissement additionnel de la croissance en zone euro aviverait les craintes sur la solvabilité des États européens (avec un impact sur les spreads souverains très facile à imaginer). Pour alléger ces craintes, il faut de la rigueur budgétaire (excédents budgétaires ou primaires), et que le taux de croissance soit supérieur au taux d’intérêt (taux moyen du service de la dette), deux conditions qui ne sont pas toujours compatibles.

1trln€ L’expansion attendue du bilan de la BCE. M. Draghi souhaite voir son bilan revenir au niveau qui prévalait en 2012, soit environ une augmentation de 50 %, ou encore 1 trillion €, et un équivalent de 10 % du PIB de la zone. Pour ce faire, les actions de la BCE sont nombreuses (TLTRO, ABS Purchasing Programme (ABSPP), Covered Bonds Purchasing Programme (CBPP), et éventuellement achats d’obligations corporate et souveraines), mais elles doivent toutes être vues sous un angle triple :

  • La volonté de conserver des taux bas (courts et longs) pendant longtemps, afin de favoriser la croissance et améliorer la solvabilité des entités trop endettées ;
  • La volonté de réactiver le crédit bancaire aux PME, pièces essentielles des économies européennes : elles représentent à elles seules près de 70 % de la force de travail en Europe, près de 60 % de la valeur ajoutée, et 85 % des emplois créés depuis 10 ans ;
  • La volonté de décloisonner Europe du Nord (à excédent d’épargne) et Europe du Sud (à déficit d’investissement), afin de parfaire convergence financière et convergence économique.

Les marchés financiers accordent aux banques centrales une grande crédibilité, mais 2015 est sans doute une année clef, aussi bien d’ailleurs pour la BCE que pour la Fed.

Conséquence: l’action de la BCE plaide en faveur d’une abondance de liquidités, de taux bas, de recherche de rendement et de spreads, et de baisse de l’euro… autant de facteurs favorables aux marchés de dettes et d’actions.

Risque : si la BCE n’arrive pas à tenir ses engagements ou déçoit les marchés financiers, les anticipations de croissance et de spreads souverains en seront grandement affectées.

0% Le niveau des taux courts en zone euro… pour encore quelques années. La situation économique et financière de la zone, ainsi que les grandes orientations de la BCE laissent à penser que les taux courts vont rester extrêmement bas en zone euro pour les 3 à 5 prochaines années.

Conséquence : certes, le cash est une façon de réduire le risque du portefeuille, mais se porter sur ce segment annule l’intégralité de la performance de n’importe quel actif. Avoir des taux proches de zéro permet également de valoriser les autres classes d’actifs.

Risque: si la déflation gagne encore du terrain, le fait d’avoir des taux à zéro sera vu de façon négative par la communauté financière.

-5 Le niveau des taux allemands à 2 ans. Le mouvement de baisse des pb taux a gagné la totalité de la partie courte de la gamme des taux, une bonne nouvelle pour les entités encore endettées. Conséquences : deux conséquences majeures pour l’investissement :

  • En premier lieu, la nécessité d’être long duration pour aller chercher quelques points de base de rémunération. Le taux 10 ans allemand est évidemment très faible, mais à risque identique, il livre, à 0,75 %, un spread de 80pb par rapport au 2 ans (le taux 5 ans est, quant à lui à 0,10 %).
  • En second lieu, il est évident qu’être long duration ne saurait apparaître comme une stratégie de macro-hedging face à des portefeuilles par exemple plus exposés aux actifs risqués, tant le potentiel de baisse des taux est limité. Nous l’avons bien vu en octobre, la hausse de l’obligataire (y compris sur des maturités extrêmement longues) ne compensant pas la – lourde – chute des marchés d’actions.

Risque: propagation du niveau extrêmement bas des taux de la partie courte de la courbe des coupons sur la partie longue, déjà à des niveaux de taux très faibles.

80% La part du spread de crédit dans le taux d’intérêt total, en zone euro. Il est toujours important de voir à quel point les niveaux de spreads protègent des hausses de taux d’intérêt. Deux bonnes nouvelles :

  • Le marché européen protège davantage que le marché américain, où la part du spread dans le taux n’est que de 40 % ;
  • Le risque de hausse des taux courts et longs est bien moindre en zone euro que sur le marché américain ;

Une nuance cependant : même si la part du crédit dans le taux global est élevée en pourcentage, le niveau des spreads est faible, ce qui relativise l’argument.

Conséquences: dans un tel contexte, il est recommandé de surpondérer le crédit européen par rapport au marché américain. Cela a du sens pour peu que le caractère protecteur soit jugé comme étant un critère d’investissement important.

Risque: une hausse des taux brutale et soudaine aux États-Unis éliminerait l’avantage du portage, et ce d’autant plus que les spreads sont étroits, et pourrait favoriser des ventes en cascade des actifs de crédit, par nature assez peu liquides.

85% La proportion de l’univers de crédit (souverains compris) qui donne un rendement inférieur à 2 % en Europe, contre 40 % environ en début d’année. L’effondrement des taux et des spreads a encore été très puissant en 2014.

Conséquences: la recherche de rendement force à se porter vers les ratings plus bas et les durations plus longues, ce qui accroît le risque des portefeuilles. Préférer les entreprises bénéficiant des liquidités BCE, dont l’offre de papier est en baisse, à plus forte capacité à rembourser des dettes…

Risque: comme nous l’avons évoqué précédemment, un effondrement de la croissance aurait des impacts certains sur les spreads de crédit.

320 Le portage de la dette émergente (EMBI Global Diversified) par pb rapport aux obligations américaines longues (5,5 % vs 2,3 %). Le ratio rendement dette émergente par rapport au taux 10 ans US est en moyenne depuis 2010 près de 1,4 fois supérieur au niveau des taux américains, contre un peu plus de 1,3 entre 2000 et 2007.

Conséquence: la dette émergente offre un portage attractif, un atout dans un environnement encore à la recherche de rendement et de spreads, à crainte de hausse des taux faibles (Europe) ou modérées (États-Unis)

Risque: une très forte remontée des taux longs américains, ou une nouvelle dégradation des grands pays émergents, qui mettraient sur le devant de la scène les problèmes structurels et la vulnérabilité financière de certains pays. La baisse des prix pétrole devrait, par ailleurs, peser sur la performance des dettes souveraines haut rendement étant donné le nombre important de pays producteurs de pétrole émettant dans ce segment.

12,5% La hausse des profits européens qui, en moyenne, découlerait d’une dépréciation de 10 % de l’euro. Ce thème a été développé dans notre édition du mois d’octobre, et nous mettions en évidence l’effet mécanique (nul n’est besoin d’une hausse de la croissance ou des chiffres d’affaires) qu’aurait une nouvelle dépréciation de l’euro. Bien évidemment, certaines entreprises sont plus sensibles que d’autres au cours de change (degré d’exposition à l’international, flexibilité des politiques de couverture de change…).

Conséquence : favoriser dans les investissements européens, les entreprises à forte sensibilité au cours de change.

Risque : toutes les entreprises ne sont pas capables de répercuter l’effet change dans leurs prix et en profiteront pour restaurer leurs marges. Un effet négatif pour la croissance, mais positif pour les politiques de dividendes.

0%−3% Le niveau d’inflation compatible avec des PER les plus élevés. Historiquement, dès que l’inflation est supérieure à 3 %, les PER diminuent, et dès que la déflation s’installe, PER et Bénéfices par action chutent.

Conséquence: la stabilisation des taux d’inflation et la maîtrise de la hausse des prix restent des objectifs majeurs pour les banques centrales, mais également déterminants dans les stratégies d’investissement.

Risque: le risque le plus important, notamment en zone euro, n’est pas le dérapage de l’inflation, mais bien la poursuite de la diffusion de la déflation.

40% L’écart entre États-Unis et Europe en termes de « niveau des earnings ». Les États-Unis ont subi une crise, la zone euro en a connu deux (la crise financière de 2008 et la crise de la dette souveraine). La reprise économique a été plus rapide et plus solide outre-Atlantique, la politique économique plus proactive, et le retour plus rapide des profits plus solides. Au total, le marché américain a de nouveau atteint ses plus hauts, ce qui n’est pas le cas des marchés européens. Cet écart devrait être graduellement comblé, au gré des mesures économiques, de la baisse de l’euro…

Conséquence : à ce stade du cycle, préférer la zone euro semble raisonnable. Risque : les mesures pro-croissance déçoivent, et l’euro ne se déprécie pas.

3,5 Le rapport entre le rendement du dividende et le taux long sans risque (taux 10 ans allemand). Cette situation découle du fait qu’en l’espace de 25 ans, alors que la politique de dividende a relativement peu varié, le taux long sans risque s’est écroulé : il est désormais 10 fois plus faible.

Conséquence: la faiblesse des taux longs est une incitation forte à se tourner vers les marchés d’actions.

Risque : une remontée des taux longs, une baisse des dividendes

  • Difficile de miser sur une hausse des taux longs en zone euro, sauf à considérer une hausse des taux longs américains et une contagion forte. La remontée des taux longs outre-Atlantique devrait provenir – lorsque cela arrivera – de la hausse des taux courts, et on peut miser sur la capacité de la zone euro à poursuivre une déconnexion relative des taux longs compte tenu de l’orientation bien différente des politiques monétaires. La BCE s’est engagée dans la voie de la liquidité abondante et la poursuite de taux bas, et cela devrait favoriser la divergence, et le creusement des écarts de taux avec les États-Unis.
  • L’histoire récente ne milite pas pour une baisse des dividendes: l’Europe reste la zone qui paie le plus de dividendes.

1,8 Le ratio entre le rendement du dividende en Europe et celui de ses homologues américain ou japonais.

Conséquence: le scénario de croissance est favorable aux États-Unis, mais la valorisation du marché et les impacts de change sur les profits plaident en faveur de l’Europe.

Risque : une modification drastique des politiques de dividendes.

2/3 Le poids du dividende dans le rendement à long terme des actions. Dans un contexte de faible croissance, le poids du dividende est encore plus important s’agissant de la performance des marchés d’actions.

Conséquence: dans les stratégies d’investissement, nous recommandons de préférer les zones, les secteurs et les entreprises qui, dans un contexte de plus faible croissance, continuent de payer des dividendes.

Risque: un changement dans les politiques de dividendes, notamment dans certains pays d’Europe. Risque non palpable jusqu’ici.

Au total, notre allocation d’actifs s’inscrit dans un monde en reflation, mais de faible croissance économique et de faible inflation dans la sphère réelle. Sur les marchés d’actions, nous recommandons les actions d’entreprises qui payent des dividendes, qui sont sensibles au – bas – niveau des taux d’intérêt, qui sont également sensibles au cours de change (la dépréciation de l’euro est un des éléments-clés de notre scénario central), et qui pourraient faire l’objet d’opérations de M&A. En ce qui concerne les obligations souveraines, ce sont encore les spreads qui orientent les allocations d’actifs, les taux du noyau dur étant bien trop bas et trop peu protecteurs. Sur les obligations d’entreprises, sensibles au niveau de taux d’intérêt, nous recommandons de conserver des stratégies de portage qui conduisent à aller vers des ratings plus bas, à favoriser duration et high yield… et le marché européen contre le marché américain.

Toutes ces stratégies sont dans la continuité, dans les grandes lignes, de ce que nous avons préféré tout au long de 2014… à une différence près : les perspectives de croissance – et non la liquidité ou les hausses de taux longs – représentent désormais le risque le plus grand. Qu’elles s‘essoufflent de nouveau, et toutes ces stratégies – ou presque – devront être remises en question.