Quels effets si les autorités chinoises mettent en place une forte dépréciation du RMB ?

par Patrick Artus,
 Alicia Garcia-Herrero, Evariste Lefeuvre, économistes chez Natixis

Depuis le début des années 2000, l’évolution spontanée du taux de change du RMB chinois est l’appréciation, qui est limitée par l’accumulation de réserves de change.

Depuis 2014, l’évolution spontanée du RMB est la dépréciation, avec les sorties très importantes de capitaux qui viennent de la chute de la rentabilité du capital en Chine. La dépréciation a été arrêtée jusqu’en août 2015, par la perte de réserves de change.

Que se passe-t-il si les autorités chinoises laissent maintenant les sorties de capitaux entrainer une dépréciation importante du RMB ?

  • l’anticipation de cette dépréciation peut entrainer à court terme des sorties de capitaux plus importantes encore depuis la Chine et une tendance à une dépréciation effective forte du RMB ;
  • la « guerre des changes » déclarée par la Chine doit entraîner, par réaction, des politiques monétaires plus expansionnistes dans les pays concurrents de la Chine (Japon, Corée, émergents …), d’où une dépréciation des devises de ces pays vis à vis du dollar et de l’euro ; la dépréciation du RMB va aussi conduire à une plus grande prudence de la Réserve Fédérale ;
  • avec l’amélioration de la compétitivité coût de la Chine, on doit s’attendre à un recul des cours boursiers dans les pays concurrents de l’industrie chinoise (Japon, Corée, Allemagne etc…) ;
  • cette politique monétaire globalement plus expansionniste et l’arrêt de la baisse des réserves de change en Chine doit conduire à une baisse généralisée des taux d’intérêt à long terme ;
  • le soutien de l’industrie chinoise doit conduire à une hausse des prix des matières premières.

Renversement de la tendance du taux de change en Chine

1. Depuis la fin des années 1990 et jusqu’en 2013, la tendance d’évolution du taux de change du RMB est l’appréciation, qui est d’abord empêchée puis (à partir de 2005) freinée par l’accumulation de réserves de change en Chine.

La tendance spontanée à l’appréciation du RMB, à cette époque, vient :

  • de l’excédent commercial énorme de la Chine avec la faiblesse de ses coûts de production ;
  • des entrées de capitaux, attirés par la forte croissance de la Chine, la faiblesse des coûts de production, l’appréciation du taux de change.

2. Depuis 2013, la tendance spontanée du taux de change du RMB s’est inversée et est devenus une dépréciation arrêtée de la mi 2014 à mi 2015, par la perte de réserves de change.

Que s’est-il passé ? La Chine a connu une très forte perte de compétitivité- coût avec la hausse rapide de ses coûts salariaux.

Ceci a provoqué :

  • un recul très important des exportations, mais pas une dégradation de la balance commerciale avec le recul parallèle des importations, le contenu en importations des exportations étant très important ;
  • un freinage très important de la production industrielle ;
  • une très forte dégradation de la rentabilité du capital, la sous-utilisation des capacités de production faisant apparaître un recul des prix alors que les coûts salariaux unitaires augmentent rapidement ;
  • avec le recul de la rentabilité du capital, le passage d’entrées de capitaux à des sorties de capitaux, qui explique le passage à une tendance à la dépréciation du RMB ;

Quelles conséquences si le RMB se déprécie maintenant ?

Depuis août 2015, il semble que les autorités chinoises ont décidé d’arrêter d’empêcher la dépréciation spontanée du RMB. Que se passe-t- il si le RMB se déprécie maintenant fortement ?

1) le passage à une anticipation de dépréciation du RMB doit renforcer les sorties de capitaux depuis la Chine, donc renforcer le potentiel de dépréciation du RMB ;

2) la « guerre des changes » déclarée par la Chine doit entrainer par réaction des politiques monétaires plus expansionnistes dans les pays concurrents de la Chine (Japon, Corée, émergents …) d’où la dépréciation des taux de change de ces pays vis à vis du dollar et de l’euro. Plus le RMB se déprécie, plus la vitesse de remontée des taux d’intérêt par la Réserve Fédérale sera lente. Cependant, nous ne croyons pas que ceci empêche la Réserve Fédérale de commencer cette remontée des taux en septembre.

3) avec l’amélioration de la compétitivité-coût de la Chine et le soutien induit à l’industrie chinoise, on doit s’attendre :

  • à un recul des cours boursiers dans les pays dont l’industrie est concurrente de l’industrie chinoise, comme le Japon, l’Allemagne, la Corée ;
  • à une hausse des prix des matières premières. A très court terme cependant, le changement de politique de change de la Chine passe un signal négatif sur l’économie chinoise qui peut au contraire faire reculer les prix des matières premières.

4) avec la politique monétaire plus expansionniste en Chine (arrêt de la baisse des réserves de change) et dans les pays concurrents de la Chine (volonté d’affaiblissement de leurs taux de change), la politique monétaire mondiale devient plus expansionniste, ce qui doit conduire à une baisse généralisée des taux d’intérêt à long terme.

Synthèse : ne pas oublier de conséquences de la « guerre des changes »

Si la Chine décide d’entrer dans la « guerre des changes » pour améliorer sa compétitivité-coût, il faut identifier toutes les conséquences de ce changement de stratégie :

  • politiques monétaires plus expansionnistes, en Chine et en réaction dans les pays concurrents de la Chine, d’où dépréciation par rapport au dollar et à l’euro des devises de ces pays et baisse des taux d’intérêt à long terme ;
  • difficultés pour les industries des pays concurrents de la Chine, d’où recul des taux de change de ces pays, et amélioration de la situation de l’industrie chinoise, d’où probablement hausse des prix des matières premières.

Une dépréciation du RMB est-elle une bonne nouvelle pour la Chine ? Si elle devient importante :

  • l’industrie chinoise milieu-bas de gamme sera en meilleure situation ;
  • mais la hausse de l’inflation va freiner la consommation. Cet effet sera cependant affaibli par la situation déflationniste de la Chine ;
  • et l’incitation pour l’industrie à monter en gamme en raison de l’appréciation réelle du change deviendra moins forte ; en particulier la modernisation des SOE peut être découragée.

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