par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Dans la nouvelle vague d’aversion pour le risque liée à l’issue des élections grecques et la dégradation de la situation des banques espagnoles, les investisseurs ont beaucoup plus discriminé entre les dettes souveraines des différents pays de la zone euro qu’à l’automne dernier. Ainsi si les taux demandés à l’Espagne ont sensiblement augmenté en avril/mai, les taux italiens 10 ans ont eu tendance à osciller dans une fourchette entre 5,5% et 5,7% et les taux français ont même profité du mouvement d’aversion pour le risque en baissant pour atteindre un point bas à 2,26% début juin.
Cette situation a été de courte durée avec à nouveau le retour du spectre de la contagion et une remontée des taux, notamment italiens qui repassent au dessus de 6%. Alors que la décision du sauvetage des banques espagnoles pour un montant pouvant aller jusqu’à 100Md€ aurait pu rassurer les investisseurs éloignant le risque de faillite bancaire en Espagne, elle est plutôt à la source de la résurgence des inquiétudes des marchés, en renforçant un peu plus l’imbrication entre l’Etat et les banques. Par ailleurs, elle pèsera sur les finances publiques des autres Etats européens.
Rappelons en effet que l’argent des plans de sauvetage des pays en difficultés implique nécessairement un coût pour les autres pays. Or l’Italie comme la France représente environ 20% dans la clé de répartition des garanties pour l’EFSF (Facilité Européenne de Stabilité Financière) ou du capital apporté à l’ESM (European Stability Mechanism qui entrera en vigueur début juillet). Les garanties n’entrent pas dans le calcul du déficit mais viennent cependant alourdir la dette publique. Ainsi, même si la mise en place de l’ESM va permettre de renforcer le dispositif anti crise (500Md€), sa capacité d’intervention serait remise en cause en cas de besoin d’un grand pays…
Au-delà de ce facteur, le fort endettement public et l’ampleur de la récession en cours pénalisent l’Italie. Pour autant, il nous semble important de souligner ses atouts et les différences avec les pays périphériques en difficulté. Si l’Italie souffre depuis de nombreuses années d’un niveau d’endettement public très élevé (122% attendu cette année), elle est plus exemplaire que la plupart des pays de la zone euro avec un excédent primaire qui a atteint près de 2pts de PIB en moyenne depuis 1999. La trajectoire des finances publiques n’est pas explosive : même avec une croissance faible, l’Italie parvient à stabiliser son endettement public. Enfin, la dette publique est en grande partie détenue par des résidents (55%).
Concernant la croissance à court terme, l’Italie est en train de s’enfoncer dans la récession, conséquence de l’ampleur de l’austérité budgétaire mise en place, son PIB devrait reculer de 1,7% en 2012. L’Italie s’est en effet engagée sur une réduction du déficit public de plus de deux points cette année. Pour autant, ses perspectives de croissance à moyen terme ne sont pas si dégradées. Si ses coûts salariaux unitaires ont progressé très vite lors de la dernière décennie avec la faiblesse des gains de productivité et que le niveau d’éducation et des dépenses en R&D reste plus faible que dans les grands pays de la zone euro, l’Italie bénéficie cependant d’une base industrielle développée et d’un coût du travail relativement peu élevé (comparé à la France ou l’Allemagne).
Par ailleurs, son niveau de déficit extérieur est limité avec un déficit courant d’environ 1,5% du PIB, plus faible que ceux des pays attaqués.
Enfin, l’économie italienne ne souffre pas d’un excès d’endettement privé, contrairement à l’Irlande ou l’Espagne. Au total, si les fondamentaux de l’économie italienne sont mitigés, il y a des différences de taille avec les autres pays en difficulté de la zone euro et nous continuons de penser que les craintes sur l’Italie sont exagérées. Comme à l’automne dernier, le risque sur l’Italie nous semble être celui d’une chute auto-réalisatrice. Avec des intérêts sur la dette qui représentent environ 4,5% du PIB, toute augmentation des taux d’intérêt implique une hausse du déficit public total et éloigne la perspective de se conformer aux objectifs affichés. Par ailleurs, si l’Italie fait nettement mieux que la France en terme de déficit public (2,6% d’après nos projections cette année vs 4,5% pour la France), elle est confrontée au renouvellement de sa dette existante. En 2012, le montant des tombées s’élève à 192Md€ portant le besoin de financement total à 242Md€… (178Md€ pour la France). Or elle n’a levé que 41% de son programme d’émissions depuis le début de l’année contre 57% pour l’Espagne ou 60% pour la France. Elle reste donc fortement exposée au marché dans les mois qui viennent.