par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
En 20121, le FMI montrait que la « rigueur expansionniste » pouvait se vérifier à une condition : qu’elle s’accompagne d’une politique monétaire très accommodante et/ou d’une dépréciation du change. Les Etats-Unis en donnent une bonne illustration : entre 2009 et 2012, le déficit fédéral structurel a été réduit de 0,9 point par an2, soit plus rapidement qu’en zone euro (0,7point), sans replonger l’économie dans la récession, la Fed contribuant à soutenir la demande des titres des dettes publique et hypothécaire, ce que la BCE n’a pas fait.
L’austérité a été adoptée par la quasi-totalité du monde développé, avec des succès divers : croissance faible pour les mieux lotis, récession profonde pour les autres. La frontière se dessine clairement entre pays ayant bénéficié de conditions monétaires et financières accommodantes (Etats-Unis, Royaume- Uni) et ceux pour qui les taux d’intérêt sont resté trop élevés au regard de leur croissance nominale (Europe du Sud). Mais, même aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, l’expérience récente semble indiquer que la politique monétaire ne peut que partiellement atténuer les effets récessionnistes de l’austérité budgétaire.
Les banques centrales, bien que confrontées au seuil des taux zéro, tentent d’assouplir encore leur politique. La semaine dernière, la Banque du Japon confirmait son objectif de doublement de la base monétaire en deux ans. Cette semaine, la Fed a déclaré que le rythme d’achats mensuels de titres pouvait être accéléré, et la BCE a baissé son principal taux directeur tout en se déclarant maintenant prête techniquement à appliquer des taux de rémunération négatifs aux réserves excédentaires des banques. Pour la BoE, il faudrait attendre la semaine prochaine pour de nouvelles annonces, ce que nous n’anticipons pas: les détails de la fixation d’un objectif intermédiaire ne seront probablement pas dévoilés avant l’été et l’arrivée du nouveau Gouverneur, Mark Carney.
L’objectif, clairement énoncé comme au Japon, ou plus implicite ailleurs, est de soutenir l’inflation. Les données publiées cette semaine ont montré qu’elle ralentissait dans la zone euro, notamment sa composante sous-jacente. Cette évolution est, pour partie, due à des effets de base : les augmentations de taux de TVA avaient poussé l’inflation à la hausse l’année dernière, et cet effet disparaît à présent. D’autres facteurs techniques ont également joué. Reste qu’au vu de la faiblesse de la demande intérieure et de ses perspectives, une croissance des prix faible n’est pas surprenante. Les capacités de production sont excédentaires, ce qu’illustrent des output gap négatifs et un taux de chômage toujours plus élevé. Les pressions sur les salaires sont à la baisse et, pour écouler leur production, les entreprises concèdent des rabais. Aux Etats-Unis aussi l’inflation ralentit. En mars, le déflateur de la consommation privée n’a progressé que de 1% en glissement annuel. Les banques centrales sont donc confrontées à un problème de taille : alors que pour relancer l’économie, une inflation un peu plus élevée que leurs objectifs respectifs serait bienvenue – ce dont la Fed ne fait pas secret – celle-ci ralentit. La tendance est préoccupante, avec un risque déflationniste de moins en moins nul. Les décisions récentes des banques centrales vont dans ce sens, mais la question de leur efficacité se pose.
Malgré toutes ses actions et toutes ses déclarations, la Fed n’est pas parvenue à faire remonter les anticipations d’inflation3. Dans la zone euro, c’est le Sud qui a le plus désespérément besoin de conditions monétaires et financières assouplies. Des taux d’intérêt réels négatifs, ce qui nécessite à la fois des taux d’intérêt nominaux plus faibles et des taux d’inflation plus élevés, permettraient de soutenir l’investissement des entreprises mais aussi d’alléger la charge de la dette pour l’ensemble des agents, privés ou publics.
Aux Etats-Unis, si l’avenir tranchera quant à l’efficacité des mesures adoptées, on ne peut douter de la volonté de la Fed de mettre en place tout ce qui est nécessaire pour éviter la déflation. Dans la zone euro, l’activisme de la BCE reste pour l’heure contraint par ses statuts. Elle ne peut financer les Etats, et de cette règle, certains, notamment en Allemagne, concluent qu’elle ne peut utiliser l’assouplissement quantitatif de la même façon que la Fed ou la BoE, d’où les conditions strictes qui entourent l’OMT, programme qui n’a pour l’heure toujours pas été lancé, mais simplement annoncé. Les actions de la BCE se sont donc surtout concentrées sur la fourniture de liquidité au système bancaire, avec une nouvelle prolongation des opérations de refinancement spéciales (montants illimités, taux fixe). Si la BCE en venait à acheter des titres de dette publique, ce serait sous stricte conditionnalité, tellement stricte que l’Espagne continue à tout faire pour y échapper. Quant à la possibilité de voir la BCE adopter les autres aspects de l’actuelle politique de la Fed, elle se heurte aussi bien à ses statuts qu’à ses habitudes.
La forward- guidance, qui la verrait s’engager à une politique accommodante sur la durée, qu’elle soit fixée par le calendrier et l’évolution de l’économie, heurterait sa volonté de ne jamais s’engager (never pre- commit). Quant à se dire prête à laisser filer l’inflation ne serait-ce que pour un temps, il est difficile de concevoir évènement plus improbable. La BCE a, par ailleurs, une obligation d’égalité de traitement : toutes nouvelles mesures doit pouvoir bénéficier à tous les pays. Mais comment assure-t-on l’égalité : doit-on traiter tout le monde de la même façon ou adapter les règles aux besoins spécifiques de chacun ? A l’heure où Angela Merkel déclare que l’état actuel de l’économie allemande justifierait des taux plus élevés, la deuxième solution semble plus adaptée. Mais la notion de discrimination positive est malheureusement trop américaine pour être adoptée en Europe.
NOTES
- «The good, the bad and the ugly: 100 years of dealing with public debt over hangs» World Economic Outlook, October 2012.
- L’effort a été bien plus marqué si l’on considère l’ensemble des administrations publiques. A quelques exceptions près, les Etats et collectivités locales doivent équilibrer leurs budgets ex ante. Lorsque l’activité plonge, des déficits apparaissent ex post, et ils doivent être corrigés. Cette austérité budgétaire est illustrée par une baisse de 6,4% des dépenses réelles et une réduction de 2,9% des effectifs salariés de ces entités entre 2009 et 2012.
- 2,30% tel qu’estimé par la différence entre le rendement des T-Bonds et des TIPS à 10 ans, soit 30 pb au-dessus de son plus bas de l’année.