par Christophe Morel, Chef Economiste de Groupama AM
La déflation ne se limite pas à la seule baisse des prix des biens et services, mais se définit comme la baisse du niveau général des prix. Donc, pour aboutir à un diagnostic sur la déflation, il convient d’analyser l’évolution des prix sur tous les marchés.
Notre analyse d’une batterie de statistiques de prix (sur les biens et services, salaires, immobilier, marchés d’actions, taux de change) et d’indicateurs avancés des prix (écart de production, crédit) nous conduit à raisonnablement conclure qu’il n’y a pas de déflation dans la Zone euro considérée dans sa globalité, mais qu’il y a bien en revanche une déflation en Espagne, Portugal et Grèce.
Pour les pays cités, la sortie de la déflation sera d’autant plus longue que :
- les conditions monétaires sont insuffisamment accommodantes en effet, l’évolution de leur croissance nominale justifierait depuis longtemps des politiques monétaires spécifiques bien plus accommodantes que celle définit pour la Zone euro dans son ensemble ;
- le processus de désendettement public et privé a peu progressé. Par exemple, pour l’Espagne, le ratio de dette publique rapportée au PIB s’établit à 94% en 2013 (contre 40% en 2008) ; l’endettement des ménages est désormais de 80% (84% en 2008) et celui des entreprises à 129% (136% en 2008). Face à des endettements toujours élevés, l’ajustement à venir des bilans devrait soutenir l’épargne, peser sur la demande (consommation, investissement et dépenses publiques), et constituer une pression toujours baissière sur les prix.
Au total, le mouvement sur les émergents n’est pas systématique et concerne, pour l’essentiel, les pays du troisième groupe.
L’ajustement à la baisse des prix fait partie d’un processus de rééquilibrage des économies
Pour autant, on ne peut pas d’un côté regretter ces baisses de prix, et d’un autre côté, les considérer comme nécessaire dans un processus de rééquilibrage des économies. Dans un environnement où le rééquilibrage ne peut plus s’effectuer par la dépréciation de la devise, il s’effectue alors entièrement par la dévaluation domestique. Dit autrement, si on peut regretter les baisses de salaires, elles sont aussi nécessaires pour regagner en compétitivité et permettre aux balances courantes de revenir vers l’équilibre.
Il est nécessaire que les baisses de prix ne se diffusent pas
Pourtant, il peut venir un moment où ces baisses de prix aujourd’hui « souhaitables » deviennent demain, dangereuses. Et c’est la menace d’un processus déflationniste.
En fait, la déflation devient dangereuse lorsqu’elle se diffuse. Elle peut se diffuser de deux façons, géographiquement et/ou dans le temps :
- la diffusion géographique intervient lorsque la baisse des prix se propage à des pays qui ne sont pas initialement concernés. C’est pourquoi, il est nécessaire de suivre des indicateurs de diffusion géographique. Pour le moment, cette diffusion spatiale reste contenue ;
- la diffusion dans le temps intervient lorsque les baisses courantes de prix alimentent des anticipations de baisse future. Dans ce cas, la déflation devient un processus auto-réalisateur. En effet, l’anticipation d’une poursuite de la baisse des prix conduit les agents à reporter leurs projets de consommation et d’investissement, si bien que la compression de la demande valide in fine la baisse des prix qui alimente à son tour les anticipations, etc … C’est pourquoi, il convient de surveiller très étroitement les anticipations d’inflation dans les enquêtes de conjoncture telles que la perception de prix des ménages ou des industriels, les perspectives d’achat des ménages, les points-mort d’inflation et les indicateurs de diffusion dans les postes de consommation. Dans l’ensemble, ces indicateurs ont plutôt tendance à légèrement se détériorer depuis 4/5 mois sans que cela soit, pour le moment, alarmant.
En tout état de cause, il va falloir s’habituer à la menace déflationniste. Elle va persister : les niveaux toujours élevés d’endettement font peser durablement un risque de processus déflationniste en Zone euro. Nul doute que si ces anticipations se dégradaient, la BCE n’aura plus aucun tabou : parce qu’elle agira dans son mandat de stabilité des prix, sa politique monétaire sera plus durablement et plus fortement accommodante. Et comme elle l’a souligné à plusieurs reprises, l’institution européenne saura trouver les instruments adaptés à son mandat pour poursuivre sa politique monétaire non conventionnelle.