par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management
L'intervention de Mario Draghi, le communiqué commun d'Angela Merkel et François Hollande, celui de Mario Monti et l'interview de Jean Claude Juncker laissent imaginer que les autorités européennes sont désormais prêtes pour une intervention significative susceptible de régler les tensions constatées sur les marchés de la dette en Espagne et en Italie.
Ces propos ont rassuré les investisseurs, se traduisant par une baisse significative des taux espagnols et italiens. L'adjudication italienne de lundi matin s'est faite à des taux d'intérêt beaucoup plus bas: le taux à 5 ans est ressorti à 5.29% contre 5.84%le mois dernier.
En suivant Jean Claude Juncker, l'intervention pourrait s'opérer de la façon suivante: le fonds de stabilisation (EFSF) interviendrait sur le marché primaire alors que la BCE, elle, serait active sur le marché secondaire.
En intervenant de la sorte, les institutions européennes prendraient en charge le financement de l'Etat espagnol, permettant ainsi de réduire durablement les tensions sur les taux. Cela favoriserait un possible retour de la croissance par un coût de financement plus faible tout en laissant anticiper un rééquilibrage à terme des finances publiques.
Outre l'effet mécanique que pourrait avoir une intervention, ces propos reflètent une décision face à une situation espagnole à la dérive. La hausse des taux espagnols indiquait une alerte, la nécessité de décider face à une économie qui en 2012 et 2013 sera en récession.
Les orientations évoquées par les autorités européennes laissent cependant ouvertes de nombreuses questions.
1 – Dans le communiqué de l'EuroGroup sur le plan bancaire espagnol (20 juillet 2012), il est prévu un montant de 30 Mds d'euros, sur les 100, pour satisfaire aux mesures d'urgence. Cela pourrait s'appliquer au gouvernement espagnol mais dans ce cas peut-on espérer que l'EFSF intervienne sans engagement précis du gouvernement espagnol sur ses finances publiques (on peut imaginer un engagement formel sur un objectif de déficit public) et sans demande de ce même gouvernement espagnol? Pas sûr que les espagnols le demande (le ministre de l'économie Luis de Guindos a nié demander de l'aide), pas sûr non plus que les européens accepte une telle intervention de l'EFSF (Le ministre des finances allemand Wolfgang Schaeuble ne le souhaite pas)
2 – Le deuxième point est celui du moment de l'intervention. Jean Claude Juncker parle d'une action rapide alors que ni Mario Draghi, ni les chefs de gouvernements ne donnent d'agenda. Ce point est majeur et pourrait être levé rapidement soit lors de la réunion de l'EuroGroup soit lors de la conférence de presse de Mario Draghi jeudi prochain.
3 – Comment interviendra la BCE? Doit elle le faire comme l'été dernier par le biais de son programme d'achat (SMP)? Ses interventions sur des montants réduits avaient créé des opportunités mais on le voit aujourd'hui sans un impact durable puisque les taux espagnols à 10 ans étaient récemment remontés au delà de 7%. Le montant limité des interventions avait permis d'écrêter les tensions sur les taux d'intérêt sans cependant engendrer un retournement durable de tendance. On peut alors imaginer que la BCE souhaite mettre en place un objectif à partir duquel elle pourrait intervenir. Un écart maximum de taux d'intérêt entre les obligations espagnoles et allemandes à été évoqué. La BCE achèterait de la dette espagnole lorsque cet écart dépasserait un certain seuil. On pourrait imaginer aussi que la BCE achète tous les papiers sans condition.
Cette situation pose au moins deux questions simples
A – Si la BCE ne veut intervenir que sur des montants limités comme lors des achats via SMP, cette position ne sera pas tenable surtout s'il y a un objectif d'intervention. On peut en effet imaginer que les investisseurs iront systématiquement tester ce seuil (le spread Espagne – Allemagne par exemple). En conséquence, si la BCE veut intervenir sur un montant donné et plafonné, alors elle sera obligée d'abandonner la partie assez vite, perdant spontanément une bonne partie de sa crédibilité. Si elle intervient systématiquement pour satisfaire à l'objectif défini, le montant engagé devra forcément être beaucoup plus important, la BCE se transformant alors en prêteur en dernier ressort. C'est sur ce point que la situation peut basculer
B – si la BCE intervient selon un montant illimité elle se transforme en prêteur en dernier ressort. C'est le caractère illimité de l'intervention qui traduit le prêteur en dernier ressort. Mais dans ce cas, l'équilibre des institutions change. L'EFSF et le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui sont les deux armes des gouvernements dans la gestion de la crise européenne perdent leur utilité. Pourquoi interviendraient ils puisque la BCE prendrait alors en charge les opérations nécessaire à la résolution de la crise? Le rapport de force entre la banque centrale et les gouvernements évoluerait alors de façon radicale. Le cadre s'orientant alors vers davantage de fédéralisme afin de définir une contrepartie clairement identifiée pour la toute puissante BCE.
Cependant au regard des résultats du sommet de Bruxelles des 28 et 29 juin, il est peu probable que les gouvernements souhaitent un basculement aussi rapide vers un nouveau cadre institutionnel. En effet, la proposition qui avait été faite par Von Rompuy, Barroso, Draghi et Juncker pour tendre vers le fédéralisme n'avait pas été retenue dans le communiqué final.
En intervenant de la sorte, de façon massive, la BCE forcerait alors la main des gouvernements pour aller vers des institutions plus stables.
Outre le caractère plus stable du nouveau cadre, un tel coup de force permettrait de résoudre une autre série des problèmes posés en zone Euro. En effet, la crise a montré les limites des institutions et de la gouvernance de la zone Euro. Il faut changer de cadre et le plus vite serait certainement le mieux. Cela pourrait réduire l'incertitude qui est un frein à la croissance puisque l'instabilité institutionnelle crée de l'attentisme. La BCE pourrait alors faire d'une pierre deux coups en sauvant l'Espagne et la zone Euro par une intervention sur des montants illimités et en forçant les gouvernements à changer leurs propres caractéristiques.
Conclusion
Les diverses interventions de la semaine dernière ont été un élément nécessaire pour stopper l'ascension sans fin des taux d'intérêt espagnol et italien. La rudesse des propos était une condition nécessaire à une perception nouvelle de la crise européenne. Ce n'est cependant pas une condition suffisante. La magie des mots alors que la situation reste très chaotique ne peut qu'être temporaire. Si cela ne va pas au-delà, la perte de crédibilité sera spectaculaire et renverra les taux vers le haut.
Pour que ces propos soient suffisants, il faut qu'ils s'accompagnent d'instruments d'intervention qui peuvent déboucher sur la mise en place d'un nouveau cadre institutionnel, probablement plus fédéraliste. C'est sur ce point que l'on peut être sceptique et ne pas croire à une solution immédiate puisque les gouvernements ne s'y précipitent pas.