par Philippe Vilas-Boas, Economiste au Crédit Agricole
• Les élections législatives régionales de 2016 ont été caractérisées par un affaiblissement des partis traditionnels – CDU, SPD, les Verts – et à l’inverse par une forte progression du parti eurosceptique et anti- migrants Afd, qui obtient dans tous les Länder concernés des sièges au parlement.
• Ce recul des partis de la coalition a été alimenté par la peur d’une immigration incontrôlée, le sentiment d’une hausse de l’insécurité et l’inquiétude grandissante d’une érosion du niveau de vie de la population.
• Pour pouvoir briguer un quatrième mandat, madame Merkel devra composer avec son alliée, la CSU, qui réclame un tournant sécuritaire et migratoire plus drastique. Une concession difficile à effectuer, mais qui pourrait être le contrepoids d’une politique d’intégration ambitieuse que la chancelière souhaite voir réussir.
Le renouvellement des parlements régionaux
– Le bilan des régionales de 2016
Dans l’ensemble des régions concernées par les élections, les partis de l’Union, CDU-CSU, le SPD et les Verts, ont tous essuyé un recul massif par rapport aux dernières élections régionales de 2011. Partout, le mouvement Afd y a effectué une percée significative lui permettant d’accéder à dix parlements sur seize. Son ascension s’est opérée au détriment des partis traditionnels existants, mais également en mobilisant l’électorat absten- tionniste qui se révèle plus concerné par ces élections. L’affaiblissement de la CDU rend inéluctable, de nouveau, une grande coalition comme seule issue.
En mars dernier, les élections dans le Bade- Wurtemberg se sont soldées par la reconduite du ministre-président Verts sortant Winfried Kretschmann, qui a opté pour un changement d’alliance (autrefois Verts-SPD) privilégiant la CDU comme partenaire. Le SPD en forte chute par rapport aux élections de 2011 (-10 points) est relégué en troisième position et se retrouve ainsi évincé du nouveau gouvernement. Il convient toutefois de noter que la CDU, même si elle prend part à ce gouvernement, n’en est pas moins fragilisée au regard de sa faible performance lors de ces élections (-12 points). Dans cette région, l’Afd, parti eurosceptique et anti-migrants, a dépassé 15% des suffrages et obtient ainsi 23 sièges sur les 143 que compte ce parlement régional.
En Rhénanie-Palatinat, Malu Dreyer (SPD) est reconduite à sa place de ministre-présidente, mais est contrainte d’élaborer un gouvernement de coalition élargie SPD-Verts-FDP (parti libéral démocrate) en raison de l’affaiblissement de son ancien partenaire dans la coalition, les Verts (-10 points). L’Afd y atteint 12,6% des voix au détriment des Verts et accède à 14 sièges sur 101.
En Saxe-Anhalt, la CDU conserve son leadership avec la réélection de Reiner Haseloff au poste de ministre-président. Celui-ci opte pour un élargisse- ment de la coalition sortante (CDU-SPD) en y intégrant les Verts. Dans ce Land, l’Afd atteint un niveau historique de 24,3% (au détriment du SPD qui perd 10 points et de Linke, le parti de gauche qui perd 7 points) et s’impose comme deuxième force politique dans la région.
En Mecklembourg-Poméranie Occidentale, le ministre-président sortant Erwin Sellering (SPD) devrait être confirmé à son poste, et l’actuelle coalition (SPD-CDU) vraisemblablement recon- duite. Néanmoins, la CDU se retrouve fragilisée à la troisième place, derrière l’Afd qui franchit à nouveau la barre des 20%. Pour la CDU, il s’agit d’une sérieuse défaite politique, même si l’électorat de l’Afd ne représente que 153 000 personnes.
À Berlin, les législatives locales donnent le gouverneur sortant Michael Müller (SPD) favori pour un nouveau mandat. Mais l’actuelle coalition avec la CDU semble compromise, car le nombre de sièges obtenus est insuffisant pour garantir une majorité à la chambre des députés. Une coalition rassemblant les partis de gauche, SPD-Verts- Linke, devient alors très probable. L’Afd atteint près de 14,2% des voix, ce qui lui permet d’obtenir 25 sièges sur les 160.
Les raisons du recul des partis traditionnels
– Une politique d’accueil des migrants qui divise
La première explication provient d’une politique d’accueil des migrants jugée trop généreuse. La décision de la chancelière Angela Merkel d’ouvrir l’an dernier les frontières aux migrants bloqués en Hongrie est au fil du temps perçue comme une erreur politique. Ce choix a provoqué l’afflux de près d’un million de personnes fuyant la guerre en Syrie, en Irak, mais aussi d’autres en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Le mécontentement de la population allemande s’est fait croissant sur fond d’insécurité et de peur d’un flux incontrôlé de personnes arrivant sur le territoire. Le choix, très controversé, de la chancelière de ne pas fixer de limite à l’accueil des réfugiés avant le mois de mars dernier a cristallisé le rejet d’une immigration estimée comme massive dans un pays pourtant en proie à un vieillissement démographique croissant.
Bien que l’Allemagne bénéficie d’une situation économique enviable avec une croissance sou- tenue, un taux de chômage faible et un budget excédentaire, le sentiment d’insécurité domine. Les agressions survenues en gare de Cologne la nuit de la Saint-Sylvestre, et les deux attaques terroristes commises cet été, une par un Afghan dans un train et l’autre à la sortie d’un concert, sont venues alimenter la plus grande méfiance vis-à-vis des migrants. Le débat sur un nombre « accep- table » de réfugiés dans le pays se fait de plus en plus prégnant.
– La crainte d’un appauvrissement
Une partie de la population, la frange la plus modeste, se sent menacée par l’arrivée des migrants, car elle a peur de voir son niveau de vie se dégrader et que les accès au logement, à la formation et à l’emploi soient facilités pour les migrants au détriment du reste de la population. Les classes moyennes craignent d’être davantage mises à contribution pour financer le coût d’accueil et d’intégration des réfugiés. Or, l’intégration pro- fessionnelle ne pourra se faire rapidement pour un grand nombre d’entre eux, car la maîtrise de la langue et la mise à niveau des compétences s’acquièrent au fil du temps. Quant au coût d’un tel effort d’intégration, il reste encore difficilement mesurable.
– La communication des politiques
Tout débute par la décision unilatérale de la chancelière d’ouvrir les frontières sans prendre la peine de consulter sa propre classe politique. Le président de la CSU (l’aile bavaroise de la CDU), Horst Seehofer, s’est notamment offusqué de ne pas avoir été sollicité et s’est très vite démarqué de la position de la chancelière pour finalement lui adresser les plus virulentes critiques. La propo- sition d’un accord UE-Turquie afin de stopper l’afflux des migrants en mars dernier a été vécue comme un passage en force de la chancelière. Il marque, en même temps, une certaine forme de prise de conscience de l’impossibilité de laisser les frontières durablement ouvertes. De son côté, le président du SPD, Sigmar Gabriel, qui avait initia- lement soutenu la politique d’accueil de la chancelière, a récemment changé de position et en appelle à l’instauration d’une limite au nombre de réfugiés accueillis.
Tout au long de l’année, l’immigration, la sécurité et la limitation du nombre de réfugiés ont été au cœur du débat politique allemand. Mais les luttes partisanes pour conserver son électorat dans les régions soumises à des échéances électorales, ont encouragé les critiques envers la coalition, ainsi que les discours nationalistes, ce qui a favorisé la montée du parti Afd.
Quelle stratégie pour convaincre en un an ?
– Crise de méfiance mais pas de légitimité !
Les élections législatives régionales ont sévère- ment ébranlé la CDU, qui a perdu plusieurs sièges dans les parlements concernés. A travers de ces résultats, c’est surtout la politique d’accueil de la chancelière qui est sanctionnée par les urnes. Les électeurs lui reprochent son obstination à ne pas vouloir limiter le nombre de réfugiés sur le territoire et son manque de communication et de pédagogie dans les moyens mis en œuvre pour limiter l’afflux et favoriser une intégration rapide des migrants. Aujourd’hui encore, la cote de popularité de la CDU avec, à sa tête la chancelière, est au plus bas depuis 2009, mais demeure néanmoins dix points au-dessus de celle du SPD. De même, il ne semble pas y avoir dans la classe politique actuelle de personnalité forte qui émerge, et qui soit en mesure de rivaliser avec la chancelière.
Le ministre des Finances, Wolfgang Schauble ou le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, tous deux très appréciés de l’électorat, ne s’aventurent pour l’instant pas dans ce sens. Le vice-chancelier, Sigmar Gabriel semble plutôt affaibli dans les sondages et ne pourra pas rassembler sur son aile droite. Le président de la CSU, Horst Seehofer, devrait vraisemblablement se focaliser sur son mandat de ministre président de Bavière, mais tentera néanmoins de négocier son soutien à madame Merkel pour un nouveau mandat.
La date officielle des prochaines élections législatives fédérales n’est pas encore fixée, mais celles-ci devraient se dérouler dans le courant de l’automne 2017. D’ici là, la chancelière fera tout pour récupérer l’électorat perdu et mettra en avant son bilan économique, tout en répondant aux critiques qui lui sont adressées. Reste encore à convaincre et à proposer un cap qui soit accepté par la plus grande majorité possible.
– La poursuite du conservatisme pragmatique
La stratégie de madame Merkel devrait s’orienter vers une reconquête de son électorat, et passera nécessairement par l’apport de gages à ses partenaires politiques et notamment la CSU.
Sur le plan économique, la promesse d’une réduction d’impôts de 15 Mds € (soit 0,5% du PIB) à partir de 2018 devrait satisfaire partiellement la demande de la CSU qui revendiquait un allégement de 35 Mds € afin de compenser l’absence de geste fiscal sur l’ensemble du mandat actuel. Enfin, le budget alloué aux réfugiés, 19 Mds € en 2016, ne remettra pas en cause l’équilibre budgétaire et la réduction de la dette sous le seuil des 60% d’ici 2020.
Sur les moyens mis en œuvre pour faciliter l’intégration et l’emploi, le gouvernement a inten- sifié ses propositions auprès des entreprises afin que celles-ci participent davantage à l’effort d’insertion professionnelle des réfugiés. Les parte- naires sociaux de l’industrie mécanique et de l’ingénierie électrique, ainsi que l’agence fédérale pour l’emploi, vont ainsi lancer un programme d’intégration alliant un stage de trois mois dans une entreprise (pour l’apprentissage de la langue) et un programme de qualification professionnelle sur six mois. En échange, les entreprises parti- cipantes recevront des subventions salariales. De son côté, l’association du patronat allemand (BDA) a demandé à ce que le gouvernement lève les exigences en matière de rémunération minimale sur les stages de douze mois, ainsi que la suppression de la loi qui interdit aux réfugiés d’avoir un emploi temporaire au cours des quinze premiers mois dans le pays.
Sur la question de la limitation du nombre de réfugiés acceptés dans le pays, la chancelière n’a jusqu’ici pas statué sur un chiffre à proprement parlé. Elle s’est contentée d’expliquer que le nombre de demandeurs d’asile avait considérable- ment diminué depuis la mise en place de l’accord UE-Turquie. La demande d’instauration d’une limite de 200 000 réfugiés par an, par le président de la CSU, n’est pour l’instant pas actée. La chancelière s’est néanmoins engagée en faveur du reclassement d’un certain nombre de pays tiers comme étant des pays réputés sûrs, afin de limiter le nombre de personnes considérées comme des demandeurs d’asile. C’est notamment le cas des pays des Balkans. De plus, madame Merkel devrait exercer davantage de pressions sur ses partenaires européens, pour créer un mécanisme durable de répartition des demandeurs d’asile entre États-membres.
Sur le plan de la sécurité intérieure, la chancelière a annoncé un renforcement significatif du personnel de police et de sécurité. En matière de coopération internationale, l’effort sera porté sur un renforcement du contrôle des frontières extérieures de l’Europe.
Angela Merkel a admis des erreurs dans sa politique d’accueil des réfugiés, mais ne fait pour autant pas machine arrière et tente, par une politique de petits pas, de cicatriser les plaies ouvertes par ses décisions. La classe politique allemande traditionnelle devra se confronter à un électorat déçu par la coalition et apporter des solutions plus proches des préoccupations de la population. Le malaise est partout visible et le remède reste encore à expérimenter.
ENCADRE Fonctionnement des élections régionales
En Allemagne, il existe seize parlements régionaux « Landtage », chacun pourvu d’un mandat d’une durée de cinq ans à l’exception de Brême (quatre ans). Les députés sont élus au scrutin proportionnel plurinominal et les sièges répartis proportion- nellement en fonction des résultats obtenus, pour tous les partis ayant franchi le seuil de repré- sentativité de 5%. Le parti remportant la première place est libre de former les alliances qu’il souhaite afin d’organiser un gouvernement obtenant la majo- rité parlementaire. Ce type de scrutin favorise une plus grande représentativité des partis au parlement et la recherche de coalitions qui peuvent s’avérer assez variées. Il a l’avantage d’assurer une bonne représentation des opinions des électeurs et de garantir leur respect dans le choix de la coalition, Cette année, le renouvellement des parlementaires allemands concernait cinq régions : le Bade- Wurtemberg, la Rhénanie-Palatinat, Saxe Anhalt, Mecklembourg-Poméranie-Occidentale et Berlin.