par Didier Borowski, Responsable Global Views, et Pierre Blanchet, Responsable Investment Intelligence chez Amundi
Le contexte macroéconomique s’est amélioré, bien qu’à un rythme plus lent ces derniers temps et la réponse européenne à la crise a encore renforcé le moral des investisseurs. Le contexte politique, en revanche, a évolué aux États-Unis durant l’été et s’est dégradé en Europe.
La rentrée des classes démarre avec peu de changement sur le front économique
Une reprise est en cours, mais ne prend pas la forme d’un « V ». L’épidémie n’est manifestement pas encore maîtrisée etunscénarioen«W»nepeutplus être exclu. En revanche, les progrès de la recherche sur les vaccins et l’amélioration des traitements contre la maladie apportent une lueur d’espoir.
Sur les marchés financiers, les taux d’intérêt réels se sont davantage enfoncés en terrain négatif (aux États-Unis notamment) avec la hausse des anticipations d’inflation et d’achats massifs d’obligations par les banques centrales. Les taux d’intérêt réels bas ont été (et restent) l’un des principaux facteurs de soutien des actifs risqués. Une situation qui devrait perdurer.
La BCE et la Fed ne sont pas près d’abandonner leurs politiques activistes. En l’absence de menace inflationniste, les taux nominaux sont sous contrôle et même en cas de légère hausse de l’inflation, les banques centrales ne devraient pas mettre fin à leurs programmes de QE. Dans la zone euro, il semble que la politique de taux d’intérêt négatifs soit parvenue à alimenter la croissance des prêts sans trop d’effets secondaires. En d’autres termes, les effets positifs ont dominé jusqu’à présent. Aux États-Unis, la nouvelle stratégie présentée par le président Jerome Powell à Jackson Hole (ciblage de l’inflation moyenne sur le cycle) confirme l’adoption officielle par la Fed d’une politique de taux « bas pour plus longtemps ». À un moment donné, la BCE adoptera probablement une approche similaire, de sorte que les rendements des obligations d’État continueront à se dissocier de leurs fondamentaux pendant une période prolongée. Grâce à ce soutien sans précédent et durable des banques centrales, les gouvernements continuent à soutenir leur économie sans avoir à se soucier du risque de surendettement ou de la hausse des taux d’intérets. Pas de changement, donc, sur le plan macroéconomique.
Le paysage politique a considérablement évolué depuis le mois de juin
Le sommet de juillet a permis d’élaborer une réponse politique européenne cohérente, mais certains risques sont réapparus. Le Fonds européen de relance constitue un signal positif fort pour les marchés et un effort budgétaire considérable. Toutefois, plusieurs écueils demeurent, dont le risque de désaccord sur les réformes de l’offre, le manque de projets d’investissement éligibles et les retards administratifs. En outre, le thème du Brexit sans accord devrait revenir sur le devant de la scène à partir de septembre. Nous anticipons la mise en place, d’ici la fin de l’année, d’accords de libre-échange (ALE) pour la plupart des produits, mais seulement d’accords sectoriels pour les services. Pour autant, le risque de sortie sans accord, avec des retombées négatives sur les activités commerciales, reste élevé. Parallèlement, des tensions géopolitiques sont apparues à la frontière européenne. Après l’Ukraine, c’est désormais la situation de la Biélorussie qui risque d’affaiblir davantage les relations déjà fragiles avec la Russie. Mais, le véritable talon d’Achille de l’Europe est la Turquie. En plus de la situation macro- financière déjà dégradée, des tensions avec la Grèce (relatives aux droits de forage) sont apparues durant l’été.
Les élections américaines occuperont le devant de la scène au cours des prochains mois, bien que les conventions démocrate et républicaine aient mis en avant des positions plus « mesurées » qu’on ne le craignait initialement.
Côté démocrate, Joe Biden a confirmé son positionnement centriste. Ainsi, la question de la réglementation ou du démantèlement des grandes entreprises technologiques (l’un des sujets les plus déstabilisants pour les marchés) ne devrait pas être à l’ordre du jour. Une majorité démocrate au Sénat semble peu probable, ce qui diminue le risque de hausse significative des impôts par une administration démocrate (la principale inquiétude des marchés actions américains).
Le programme républicain reste assez vague pour l’instant. Toutefois, sa tonalité générale est sans surprise (moins d’impôts, plus de déréglementation, plus de relocalisations d’entreprises américaines implantées en Chine, déglobalisation, moins d’interventionnisme, moins d’immigration). Les sondages indiquent que la campagne du président Trump a repris de l’élan et nous pensons que l’incertitude quant à l’issue de l’élection en réduit le risque inhérent. En effet, si les chances de victoire du candidat sortant deviennent de plus en plus faibles, celui-ci pourrait se montrer de plus en plus imprévisible, ce qui serait source de volatilité pour les marchés.
Instabilité dans et entre les pays émergents
La crise sanitaire et économique combinée au contexte politique des États-Unis (abandon progressif du multilatéralisme par Donald Trump et imminence des élections) pourrait entraîner des tensions géopolitiques et une certaine instabilité nationale dans les pays émergents. Les dirigeants autoritaires sont confrontés à la menace du mécontentement intérieur et pourraient tenter d’« agir » avant les élections américaines pour consolider leur pouvoir ou promouvoir leurs objectifs géopolitiques.
Aucune crise « systémique » avec un impact sur le marché n’a été identifiée pour l’heure, mais nous restons attentifs à un certain nombre de situations comme la Libye, la Grèce/Turquie, le Liban, la Biélorussie, les manifestations en Russie orientale et le conflit frontalier entre l’Inde et la Chine. Pour la Turquie qui se trouve déjà dans une situation particulièrement délicate avec des déséquilibres intérieurs significatifs, les obstacles économiques représentent un risque supplémentaire.