par Alastair Irvine, Product Specialist chez Jupiter AM
Le referendum britannique sur le maintien de la Grande-Bretagne au sein de l’Union Economique Européenne se tiendra le 23 juin. Le Gouvernement britannique a été clair quant au soutien qu’il apporterait au maintien du pays au sein d’une « Europe réformée » (le Brexit étant le nom donné à une sortie de la Grande-Bretagne de l’UE.)
Le coup d’envoi de la campagne a d’ores et déjà été donné et les deux camps vont bientôt nous bombarder de statistiques, de faits, de propagande et de discours, le tout étant bien évidemment passionné, rarement équitable, et par-dessus tout ouvertement partisan. Cela va se jouer sur de nombreux facteurs, et notamment sur l’opinion des citoyens sur les sujets hautement émotionnels que sont la souveraineté, le contrôle des frontières et l’immigration. Au niveau des relations économiques du pays avec l’Union Européenne, contextualiser les choses peut être utile[i] :
- Balance commerciale : en 2014, les échanges avec les pays de l’UE ont représenté 45% des exportations britanniques et 53% des importations.
- Investissement : en 2014, les pays membres de l’UE ont versé 496 milliards de £ d’Investissements Directs Etrangers au Royaume-Uni, soit 48% du total, et le pays est la première destination des Investissements Directs Etrangers de l’UE.
- Financement européen : Le Royaume-Uni est le deuxième plus grand contributeur net au budget de l’UE, derrière l’Allemagne : en 2015, la contribution britannique a été de 8.5 Milliards de £ et les prévisions oscillent entre 7.9 et 11.1 milliards de £ par an entre 2016 et 2020.
L’UE est par conséquent très importante pour la Grande-Bretagne d’un point de vue économique. Cependant les échanges ne se font pas avec un bloc de pays, il s’agit d’une multiplication de négociations entre des pays individuels et des entreprises qui appartiennent à l’UE. De plus, il faut garder en mémoire que le reste des échanges commerciaux de la Grande-Bretagne (environ la moitié du total) se fait avec des pays qui ne sont pas membres de l’UE. Bien que la volonté du gouvernement britannique soit de rester au sein de l’UE, et David Cameron l’a bien spécifié : « Nous n’avons pas de plan B », si d’aventure le pays quittait l’UE, ce serait bien à ce gouvernement de négocier les meilleurs termes possibles pour minimiser les risques liés à ces flux commerciaux.
Répondre à la grande question
Et à la question que pose le Referendum : « Est-ce que la Royaume-Uni doit rester un pays membre de l’Union Européenne ou doit-il quitter l’Union Européenne ?». Les réponses possibles seront simplement « rester » ou « quitter ». Cela semble être une question très directe avec une réponse binaire. Ou non ? En réalité, il y a beaucoup d’inconnues, notamment si on considère l’option du départ.
Pour celui qui vote pour « rester », ce en faveur de quoi il vote exactement est assez clair : la continuité de l’appartenance à l’UE à peu près comme aujourd’hui, aux réformes convenues entre le Royaume-Uni et les 27 pays états membres de l’UE près.
En revanche, voter pour « quitter », c’est voter pour quoi exactement dans ce contexte ? Le gouvernement britannique ne va rien proposer comme alternative puisqu’il va faire campagne pour rester. Pour que le débat soit réellement équilibré, que les implications soient clairement exposées, les partisans du « quitter » vont devoir avoir à leur tête une direction forte et à même d’expliciter clairement sa vision.
Si le résultat du référendum est que la Grande-Bretagne doit quitter l’UE, l’article 50 du Traité de l’UE prévoit une période de négociation de 2 ans. C’est à ce moment que le Royaume-Uni aura besoin d’un plan B (et comme dans tout divorce, d’un bon avocat !) Quelles peuvent-être les possibilités pour le Royaume-Uni hors de l’UE ? Voici les 3 options qui nous semblent les plus probables :
1- Rejoindre l’Espace Economique Européen (EEE): l’EEE comprend les 28 états membres de l’UE auxquels s’ajoutent la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. En tant que membres de l’EEE, ces trois pays bénéficient d’un accès total au Marché Unique, mais ils doivent en retour adopter toute la législation le régissant. Cela inclut la libre circulation des biens, des services, du capital et des personnes ; l’adoption du droit de la concurrence et des règles sur les aides de l’Etat ; faire respecter l’égalité des droits et des obligations des citoyens et des agents économiques au sein du Marché Unique ; assurer la coopération dans des domaines tels que la recherche et le développement, l’éducation, l’environnement, etc. Les domaines exclus de l’accord sont l’agriculture et la pêche, la politique étrangère et la politique de sécurité, la justice et les affaires intérieures, et bien sûr l’union monétaire. En tant que membre de l’EEE, les pays ont de nombreuses obligations et responsabilités semblables à celles qu’ils auraient en tant que membre de l’UE, mais ils ne disposent d’aucune représentation politique ni d’aucun droit de vote concernant l’UE. Les trois pays membres de l’EEE contribuent au budget de l’UE : la Norvège contribue à hauteur de 600 millions d’euros par exemple. Si on se réfère à la taille de l’économie norvégienne comme base, on peut estimer que la contribution du Royaume-Uni serait d’environ 4 milliards d’euros si le pays choisissait cette option.
2- Rejoindre l’Association européenne de libre-échange (l’AELE) : l’AELE inclut tous les pays membres de l’EEE plus la Suisse. La Suisse a accès au Marché Unique, mais grâce à un éventail d’accords bilatéraux négociés un par un, le tout sous l’égide de l’UE pour tous les aspects concernant la gouvernance de ce marché. La Suisse contribue également au financement du budget de l’UE. Le Royaume-Uni était membre fondateur de l’AELE jusqu’en 1973, date laquelle il a rejoint le Marché Commun, l’ancêtre de l’UE. Ca n’est un secret pour personne que l’UE trouve certains aspects de l’arrangement avec la Suisse pesants, il s’agit néanmoins d’une des possibilités qui s’offre au Royaume-Uni.
3– Tout quitter : Si aucune des options envisagées plus haut n’est considérée comme possible ou acceptable, le Royaume-Uni pourrait aussi rompre tous liens formels avec l’UE et le Marché Unique. Cela impliquerait qu’il faudrait négocier des accords bilatéraux avec tous les partenaires économiques du pays (y compris les 27 états membres de l’UE) pour conserver la possibilité de négocier ouvertement, équitablement et compétitivement sans craindre de barrières tarifaires ou commerciales. Cela prendrait beaucoup de temps et ne serait pas exempt de risque. Un enjeu évident concernerait la City.
L’Europe continentale, notamment Francfort, envie depuis longtemps la position prééminente de Londres comme place financière internationale. Pouvoir profiter d’une part croissance des flux financiers qui transitent actuellement par Londres ne serait pas pour déplaire aux pays voisins du Royaume-Uni.
Enfin, on ne peut pas exclure la possibilité d’un second referendum si la décision de quitter l’UE était prise, à l’instar des Danois, des Hollandais, des Irlandais et des Français à qui l’ont a demandé sur ces 25 dernières années de retourner dans les bureaux de votes pour reconsidérer la question lorsque le résultat de leur propre référendum n’était malencontreusement pas le « bon » ! Il ne faut pas sous-estimer la volonté de l’élite européenne et des gouvernements pro-européens de garder le projet européen sur des rails (notamment à l’heure où il existe de réelles tensions entre les états membres sur la manière de gérer la crise des migrants).
Manque de fiabilité des sondages
Après les mauvaises prévisions sur le référendum Ecossais et sur les élections générales britanniques en 2015, les instituts de sondage sont attendus au tournant. Pour ce que cela vaut, les sondages donnent aujourd’hui des résultats très variables selon qu’ils sont faits par téléphone (avec une forte majorité pour le départ) ou en ligne (avec une majorité toute aussi forte pour le maintien). Le 14ème sondage des sondages de février donnait les résultats suivants : 49% en faveur du maintien de la Royaume-Uni au sein de l’UE, 41% en faveur du départ et 10% d’indécis (source: National Centre of Social Research).
Un sondage effectué auprès des dirigeants d’entreprise montrait une victoire marquée pour le maintien. Quand on leur demande où va leur préférence d’un point de vue professionnel (et non personnel) 62% des directeurs financiers des entreprises du FTSE350 se prononcent en faveur du maintien, et seulement 6% en faveur du départ le reste étant indécis[ii].
Comment les marchés pourraient réagir en fonction des résultats ?
Sans même juger du bienfondé de rester ou de partir, c’est un fait : les marchés n’aiment pas l’incertitude. Si la perception du risque économique ou d’investissement venait à augmenter, il y aurait selon nous vraisemblablement trois réactions à court terme :
- la livre baisserait probablement ;
- indépendamment des taux d’intérêt officiels, les marchés monétaires exigeraient probablement une prime de risque plus importante donc le coût d’emprunt pour les entreprises britanniques devrait augmenter ;
- de la même façon, le taux des obligations souveraines du Royaume-Uni devraient augmenter et donc leur cours baisser.
A plus long terme, les marchés auront une meilleure appréhension du risque (et de la duration de ce risque) lié à l’économie britannique et sauront s’il y a matière à s’inquiéter ou non ; les primes de risque demandées s’ajusteront en fonction. Il faut aussi souligner que même si les unes des journaux sont monopolisées par la grande fraternité de ceux qui pensent que l’Angleterre coure à sa perte si le « quitter » l’emporte, il est tout à fait possible de dresser des scénarios dans lesquels, à long terme, les perspectives économiques pour le Royaume-Uni sont bien meilleures en-dehors des contraintes de l’UE.
Le débat sur le Brexit est autant politique qu’économique. David Cameron, notamment, a mis en jeu son capital politique dans cette affaire. Si le « quitter » l’emporte, cela pourrait rendre sa position intenable et le parti Conservateur pourrait élire un nouveau chef. Le parti national écossais a clairement fait comprendre que le vote écossais serait massivement en faveur du maintien au sein de l’Union Européenne. Et si le Royaume-Uni dans son ensemble vote sortir de l’UE, ils pourraient organiser un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse.
D’un autre côté, si le Royaume-Uni reste dans l’UE, la réaction la plus probable des marchés actions, des marchés obligataires et des marchés des devises sera de pousser un soupir de soulagement et de s’en retourner gérer des problèmes un peu plus pressants comme la baisse des prix des matières premières et du pétrole, le ralentissement de la croissance chinoise, les inquiétudes à propos de la Chine, etc.
Du point de vue de l’investissement, il y a à l’heure actuelle bien trop d’inconnues pour avoir un avis tranché à propos du Brexit. Les sondages sont peu fiables et n’apportent aucune aide. Le résultat n’est pas couru d’avance et peu de choses sont dites sur ce qui se passera si le « quitter » l’emporte. Dans ce contexte, il est difficile d’avancer une stratégie d’investissement purement centrée sur le Brexit. Selon nous, les investisseurs doivent avant tout suivre des stratégies éprouvées en construisant un portefeuille diversifié avec des actifs de bonne qualité et en se concentrant sur le rendement à long terme. Il va sans dire que les investisseurs vont devoir être vigilants et conscients que les marchés pourraient être très volatiles en amont et après le référendum, mais il ne faut pas que cela les paralyse pour autant.
NOTES
[i] Source: UK-EU Economic Relations, House of Commons Library, January 2016
[ii] Source: Deloitte, January 2016