Revoir la hiérarchie de la dette souveraine en zone euro

par Nathalie Navarre, économiste chez Amundi Asset Management

La crise et le recours au soutien public ont entraîné une forte hausse des déficits publics et de la dette de tous les États de la zone euro. On a beaucoup parlé de la Grèce dont la notation a été dégradée par toutes les agences. Mais l’évolution de la dette des autres pays de la zone, y compris les plus grands, a également de quoi inquiéter. Selon la Commission européenne, la moitié des pays de la zone euro ont un risque élevé en terme de soutenabilité de la dette publique*, quasiment tous les autres** ont un risque jugé moyen.

A long terme, dans un contexte de croissance faible et de dépenses additionnelles liées au vieillissement de la population, ce n‘est qu’au prix d’efforts budgétaires marqués que les gouvernements réussiront à contenir l’évolution de la dette publique. Aujourd’hui, les différences entre pays ne nous paraissent pas traduites dans les écarts de taux souverains : les investisseurs semblent avoir trop confiance dans les grands pays et pas assez dans les petits.

Dégradation générale des finances publiques

La soutenabilité de la dette souveraine est fonction du niveau de croissance du pays, du taux d’intérêt auquel il s’endette et des déficits primaires (hors charges d’intérêt). En effet, le remboursement de la dette devient problématique lorsque, de façon durable, la richesse créée par l’économie en une année ne suffit plus à payer les intérêts de la dette et à compenser le déficit. Le pays doit alors s’endetter davantage pour rembourser ses dettes. On parle alors d’effet « boule de neige » de la dette publique. Ainsi, les pays en forte croissance peuvent davantage se permettre d’avoir des déficits élevés, à condition que le service de la dette ne soit pas trop important. Outre ce facteur comptable, le niveau de la dette va également jouer sur la confiance des ménages et des entreprises et leur propension à consommer (effet éviction). Un niveau élevé de dette pèsera sur les dépenses publiques et privées, donc sur la croissance, accentuant le risque d’insoutenabilité.

Au sein de la zone euro, l’Allemagne fait figure de bon élève avec à la fois un niveau de dette et de déficit structurel relativement faibles ainsi qu’un coût de financement des plus bas. En revanche, l’Irlande, dont la dette s’est envolée en raison d‘une recapitalisation massive du secteur financier, et la Grèce, affichent des déficits publics à deux chiffres. Les notations de ces deux pays ont fait l’objet de dégradations de la part des agences de notation et leurs écarts de taux par rapport à l’Allemagne ont nettement augmenté. Nous pensons que la dynamique de la dette publique grecque peut redevenir soutenable, à condition que le gouvernement réussisse, grâce à son plan d’austérité, à dégager un surplus primaire. Avec une croissance de moyen terme potentiellement forte, le ratio dettes/PIB retourneraient alors sur le chemin de la baisse.

A long terme, l’Italie n’est pas en meilleure posture. Le poids de la dette publique est le même qu’en Grèce ce qui lui coûte chaque année 4,9% du PIB en charge de la dette. Malgré un déficit budgétaire contenu, la faiblesse des perspectives de croissance italienne qui fait face à d’importants problèmes de compétitivité, laisse difficilement entrevoir un retournement de la tendance de la dette publique. En France et en Allemagne, la charge de la dette représente respectivement 2,5% et 2,7% du PIB. En cas de retour du déficit au niveau de 3% du PIB (Maastricht), il faudrait une croissance nominale supérieure à 5,5% pour stabiliser la dette. Dans tous les pays, le chemin vers l’assainissement des finances publiques sera donc difficile et la qualité des dettes souveraines va globalement diminuer.

Des rémunérations attractives dans certains petits pays

Les risques de poursuite de la dégradation de la notation de certains pays sont importants. En particulier, la dette grecque, si elle perd encore deux notes chez Moody’s, pourrait ne plus être acceptée comme collatéral auprès de la BCE dès 2011. Nous ne croyons pas à cette hypothèse étant donné que les conséquences auraient probablement un caractère systémique, et nous estimons l’écart de taux grec trop élevé. Ce risque est cependant un facteur de marché qui devrait continuer d’amener de la volatilité sur la dette grecque. Par ailleurs, d’un point de vue fondamental, le décalage entre l’état des finances publiques française et allemande ne nous paraît pas bien intégré dans le marché avec un écart de seulement 21 pb sur le 10 ans, compte tenu des différences actuelles de déficit public et de défi posé par le financement des retraites. Le risque d’écartement du spread France-Allemagne semble élevé.

Enfin, du point de vue d’un investisseur ayant la possibilité de conserver la dette à maturité, les obligations gouvernementales à haut rendement dans la zone euro (comme la Grèce ou l’Irlande) nous paraissent particulièrement attractives. Il est extrêmement peu probable qu’un État de la zone euro soit en défaut de paiement dans les 10 ans, et encore moins sur les 3 années à avenir. Ainsi, la rémunération apportée par les emprunts grecs (6,1% à 10 ans ou 335 pb pour les CDS à 3 ans) est particulièrement attractive. Par ailleurs, l’écart avec le taux des dettes souveraines émergentes (à 6,23% pour le JPM JBIEM) n’a jamais été aussi faible. Les investisseurs ont là une occasion de profiter d’une rémunération digne d’un emprunt émergent en investissant dans la zone euro.

NOTES: 

* Irlande, Grèce, Espagne, Chypre, Malte, les Pays-Bas, Slovénie et Slovaquie
** Belgique, Allemagne, France, Italie, Luxembourg, Autriche, Portugal