Rien n’est routinier en ce qui concerne la Grèce…

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

… Même si c'est devenu une routine pour nous d'écrire sur le pays (presque toutes les semaines, dernièrement). Il y a deux semaines, Standard & Poor’s a, une fois de plus, dégradé la note à long terme de la Grèce. Celle-ci se trouve désormais à quelques crans au- dessus de la pire notation possible (D pour défaut). La même semaine, des manifestations frisant l'émeute à Athènes ont poussé M.Papandréou, le Premier ministre, à remanier son cabinet. Conjugués à la cacophonie désormais habituelle des dirigeants européens, ces facteurs ont contribué à pousser les rendements grecs à 2 ans au-dessus de 30 %.

La semaine suivante a apporté des nouvelles plus positives. Le nouveau gouvernement de M. Papandréou a obtenu son vote de confiance au Parlement, tandis que les ministres des Finances de la zone euro ont annoncé que le MES (Mécanisme européen de Stabilité, le fonds de renflouement permanent qui prendra le relais du Fonds européen de Stabilité financière à partir de 2013) serait dépouillé de son statut de créancier privilégié. Si l'un des trois pays actuellement renfloués venait à faire défaut, le FMI serait remboursé en premier, comme c'est toujours le cas, mais le MES serait traité comme les autres investisseurs privés et ne bénéficierait donc plus de son statut privilégié. De plus, les aspects techniques de l'augmentation de la capacité de prêt du FESF (à hauteur de EUR 440 mds, soit EUR 750 mds disponibles auprès de la Troïka) ont été dévoilés. Ceci a permis aux taux d'intérêt grecs de se détendre. Le 28 juin, le rendement à 2 ans était, néanmoins, encore de 28 %.

Cette semaine, des nouvelles importantes sont parvenues d'Athènes et de Paris. En Grèce, le Parlement a adopté un plan d'austérité de cinq ans, ce qui est fort bienvenu : quelques jours auparavant, Olli Rehn avait clairement indiqué qu'il n'y avait pas de plan B. En outre, les 155 députés du Pasok ont tous voté en faveur du plan : la pression internationale a calmé les cinq députés qui exprimaient leur mécontentement peu avant le vote. Du côté des dépenses, le plan prévoit un gel des retraites, une diminution des prestations sociales et la suppression d'environ 150 000 postes dans le secteur public (16% des effectifs). Du côté des recettes, la TVA des bars et des restaurants sera relevée et une nouvelle taxe sera instituée. Les particuliers seront soumis à un « impôt de solidarité » de 1% à 4% de leur revenu. Grâce à ce nouvel ensemble de mesures, le gouvernement espère atteindre son objectif d'un déficit de 7,5 % en 2011.

L'Initiative de Paris

L'information la plus importante est venue de Paris, où les banques françaises ont dévoilé un plan de participation du secteur privé au casse-tête de la dette grecque. Ce plan a été discuté à Rome lundi dernier, sous l’égide de l'Institut de la Finance internationale, une association mondiale d'institutions financières, et les ministres des Finances de la zone euro devaient en débattre lors de leur réunion du 3 juillet.

Fondamentalement, les investisseurs disposés à participer au plan réinvestiraient 70 % de la dette grecque arrivant à échéance (d’ici à la mi-2014) dans de nouveaux emprunts d'État grecs à 30 ans. Ceci se traduirait par un financement net du pays à hauteur de 50 % des tombées de dette, avec la garantie pleine et entière d'un véhicule ad hoc (SPV) domicilié à la BCE, qui en serait le fiduciaire, investi en obligations à zéro coupon de première catégorie (emprunts d'État notés AAA ou obligations émises par le FESF, le MES et/ou la Banque européenne d'Investissement). Les obligations grecques nouvellement émises porteraient un taux d'intérêt indexé sur la croissance du PIB, avec un plancher de 5,5 % et un plafond de 8%. Enfin, la négociation des nouveaux emprunts d'État grecs serait limitée jusqu'en 2022. 

L'Initiative de Paris comprend également un plan B : une conversion quasi pure des obligations grecques arrivant à échéance en nouveaux emprunts d'État grecs à 5 ans portant un taux d’intérêt de 5,5 %, sans restriction de négociation.

D'ici à mi-2014, un montant total de EUR98mds d'obligations grecques arrivent à échéance. En retenant l'hypothèse que les investisseurs prêts à accepter l'Initiative de Paris détiennent actuellement EUR 58 mds1, la Grèce émettrait EUR 41 mds de nouveaux emprunts, achetés à l'émission par les membres de l'Initiative de Paris. La Grèce garderait EUR 29 mds pour couvrir ses besoins de financement et placerait EUR 12 mds dans le SPV devant servir de garantie pour le montant global reporté. Comme nous prévoyons une contraction du PIB réel cette année, puis une stagnation l’année suivante, le taux d'intérêt payé pour rémunérer les emprunts d'État grecs à 30 ans serait le taux plancher de 5,5 % ; celui-ci augmenterait à partir de 2013 et se stabiliserait à 7,5 % à partir de 2014.

Un bon plan correspond à une situation où les deux parties sont gagnantes. Les investisseurs privés qui choisiraient de rejoindre l'Initiative de Paris bénéficieraient indéniablement d'un tel plan : 

  • Aujourd'hui, ils portent un risque de 100 % sur la Grèce ; dans le cadre de l'Initiative de Paris, leur risque serait limité à 15 % sur un horizon de 30 ans. En effet, avec un rendement à 30 ans de 3,70 % en Allemagne2, la valeur future (sans prendre en compte l'inflation) de EUR 12 mds d'obligations à zéro coupon est de EUR 35 mds, ce qui signifie que le risque de défaut est limité aux EUR 6 mds. En résumé, si la Grèce devait ne rembourser que la moitié de sa dette (ce qui n'est PAS notre scénario central !), les investisseurs perdraient 50 % de leur investissement sans l'Initiative de Paris, mais seulement 7,5% en adhérant à l'Initiative de Paris ;
  • Apporter des fonds à la Grèce réduit le risque de défaut de paiement à court terme. Par ailleurs, le risque de défaut est nettement plus faible sur le long terme (comme l’atteste la forte inversion de la courbe des taux grecs) : il faut bien un horizon à 30 ans pour bénéficier du plein effet des réformes structurelles ;
  • La reconduction de la dette vient dans la continuité de l'engagement, pris par les banques de la zone euro vis-à- vis de la BCE, de ne pas revendre leurs obligations grecques. En outre, aider la zone euro à se sortir de la crise de la dette souveraine sert les intérêts du secteur bancaire (mondial) lui-même ;
  • Le taux d'intérêt de 5,50% ajouté au taux de croissance du PIB est assez intéressant pour rendre le plan attrayant. Sur la base de nos prévisions de croissance, le plan représente EUR 93 mds de paiements d'intérêts. Il est clair qu'il subsiste un coût d'opportunité, puisque le rendement actuel des emprunts d'État grecs à 30 ans est de 11,40 %. Notons, cependant, que les prix actuels des emprunts d'État grecs sur le marché secondaire ne sont pas très significatifs, les volumes de transaction étant réduits à leur plus simple expression.

Et l'intérêt de la Grèce dans tout ça ?

L'intérêt pour la Grèce est moins évident. Il est indéniable que le plan apporte de la liquidité au pays. Mais le prix à payer est plutôt prohibitif: si (et en fait, quand, puisque les reprises sont généralement assez marquées après des récessions profondes) la croissance réelle atteindra 2,5 %, le taux d'intérêt payé sur la nouvelle émission d'emprunts d'État à 30 ans touchera le plafond de 8%. De plus, alors que le pays ne disposera que de EUR 29 mds pour couvrir ses besoins de financement, il paiera des intérêts sur la somme de EUR 41 mds, soit un taux d’intérêt moyen de 10,3%. Ceci ne devrait avoir qu’un impact limité sur la charge de la dette, tant que la Troïka finance la Grèce à un taux d'intérêt relativement faible (4,2 % à ce jour). 

L'aspect positif du plan est que l'Initiative de Paris plaira aux contribuables allemands (et aux électeurs, et donc à Frau Merkel). L'Allemagne a milité énergiquement en faveur de l'implication du secteur privé dans la résolution du casse-tête de la dette grecque. Un accord sur l'Initiative de Paris, ou un plan similaire, permettrait aux ministres des Finances de la zone euro de finaliser le plan de financement de la Grèce sur 12 mois. Cela permettrait, à son tour, au FMI (et avec lui, aux pays de la zone euro) de verser la tranche prévue pour juillet (EUR 12 mds, dont EUR 3,3 mds du FMI) du premier plan de renflouement. Cet accord était très attendu : la Grèce doit payer des intérêts en juillet et un des ses emprunts arrive à échéance fin août.

L'accord sur un deuxième plan de sauvetage de la Grèce assurera son financement à un taux d'intérêt raisonnable (le premier plan de renflouement porte un taux d'intérêt de 4,2%) sur les cinq prochaines années. Au-delà de cette date, nos calculs montrent que le ratio dette/PIB devrait se stabiliser. Celui-ci demeurerait cependant encore trop élevé, à environ 165 %, ce qui rend le pays vulnérable à d’éventuels chocs externes. Il est probable que la Grèce demeurera encore longtemps sous perfusion, que ce soit dans le cadre du mécanisme actuel de la Troïka ou par l'intermédiaire d'une agence européenne de la dette. Cela reviendrait, pour l'Europe, à adopter un semblant de fédéralisme. L'improbabilité d'une telle évolution du MES diminue de jour en jour. En effet, l'idée d’un fédéralisme plein et entier gagne du terrain : la Commission européenne a récemment demandé la levée d’un impôt européen pour financer son budget…

NOTES

  1. On estime que la BCE et les banques centrales des pays de la zone euro détiennent EUR 25 mds d'emprunts d'État grecs arrivant à échéance avant juillet 2014. Nous avons, par ailleurs, retenu l’hypothèse d’un taux de participation des détenteurs privés de80%.
  2. Le taux d'intérêt au-dessus duquel la valeur future du SPV couvre le montant reporté est de 4,26 %.

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