par Olivier Bizimana et Bénédicte Kukla, économistes au Crédit Agricole
– Les marchés financiers s’inquiètent des risques liés aux déséquilibres des finances publiques de certains pays membres de la zone euro. En témoigne le fort écartement des spreads entre les rendements des titres d’Etats de la plupart des pays perçus comme étant à risques (Grèce, Portugal, Italie, Irlande et Espagne) et ceux de l’Allemagne, considérée comme la référence.
– Tous les pays ne doivent pas être mis sur le même plan. La situation des finances publiques a évolué différemment selon les pays. En Irlande et en Espagne, la dégradation des soldes budgétaires et l’accumulation de dettes publiques sont des phénomènes assez récents. Dans les autres pays, en particulier du sud de l’Europe (Grèce, Italie et Portugal), les problèmes des finances publiques sont anciens.
– Cet article présente une hiérarchie des risques souverains à court terme et à plus long terme (en lien avec le vieillissement démographique). Les résultats montrent que : 1) à court et surtout à long terme, la Grèce est de loin le pays le plus risqué ; 2) l’Irlande et l’Espagne sont également des pays à risques quel que soit l’horizon de temps ; 3) le Portugal présente des risques importants à court terme ; 4) l’Italie est le pays qui présente le moins de risques.
Les finances publiques en zone euro se sont très fortement dégradées. Cette dégradation est particulièrement visible dans les pays ayant fait preuve par le passé d’un relative « laxisme budgétaire » : la Grèce, le Portugal et dans une moindre mesure l’Italie. C’est aussi le cas des économies qui connaissent aujourd’hui des ajustements cycliques très marqués, après une phase d’euphorie immobilière sur fond d’emballement des prix et du crédit et de forte montée des risques : l’Espagne et l’Irlande. Ces pays pourraient faire face à une montée du risque souverain s’ils ne mettent pas en place des plans crédibles de consolidation des finances publiques à moyen terme.
Cependant, tous les pays ne doivent pas être mis sur le même plan. Cet article tente d’établir une hiérarchie des risques souverains dans les pays à finances publiques dégradées (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne). Après avoir mis en évidence la source des déséquilibres des finances publiques dans ces pays, nous avons tenté d’établir une hiérarchie des risques souverains à court terme à l’aide de différents indicateurs (ratio du solde primaire, ratio dette publique/PIB, taux de prélèvement obligatoire et ratio dépenses publique/PIB).
Enfin, nous évaluons les risques à plus long terme liés au vieillissement démographique, sur la base des résultats des projections de la Commission européenne.
La crise bien sûr, mais aussi des problèmes structurels
La situation budgétaire des pays membres de la zone euro s’est nettement dégradée, du fait de la crise financière et de la récession économique. Un retour sur l’évolution et la source de ces déséquilibres permet d’évaluer l’ampleur des difficultés pour les résorber.
En Irlande et en Espagne, la dégradation des soldes budgétaires et l’accumulation de dettes publiques sont des phénomènes assez récents. Entre 2000-2007, la situation budgétaire de ces pays était plutôt saine avec respectivement, en moyenne des excédents de 0,25 % et de 1,49 % du PIB, contre un déficit en zone euro de 1,85 %.
Dans les autres pays, en particulier du sud de l’Europe, les problèmes des finances publiques sont anciens. L’Italie et la Grèce ont toujours été des pays fortement endettés. Chez eux, les déficits publics sont principalement d’ordre structurel, avec en toile de fond des problèmes d’efficacité des dépenses publiques et un certain laxisme budgétaire. La Grèce et le Portugal, et dans une moindre mesure l’Italie, avaient avant la crise des déficits structurels nettement plus élevés que la moyenne de la zone euro.
Aucun de ces pays n’a profité des années de forte croissance (2000-2005 pour l’Italie, la Grèce et l’Irlande, 1995-2000 pour le Portugal) pour assainir ses finances publiques. Depuis plus de dix ans l’Italie et la Grèce ont des ratios de dette publique supérieurs à 100 % du PIB, et des charges d’intérêt qui sont certes moins importantes qu’avant leur entrée dans la zone euro, mais qui ponctionnent plus de 5 % de leurs PIB par an. Le Portugal, l’Espagne et l’Irlande ont des niveaux de ratio de dette publique nettement plus faibles (respectivement 77 %, 54 % et 65 % du PIB en 2009). En revanche, ces derniers sont ceux qui enregistrent la plus forte dégradation de leurs déficits publics depuis la crise.
Une hiérarchie des risques à court terme
Au vu des projections pour 2010 de la plupart des organismes internationaux (Commission européenne, OCDE, FMI, etc.), ces pressions sur les finances publiques ne vont pas se relâcher dans l’immédiat avec en filigrane la question de leur soutenabilité. Les déficits et dettes publiques sont en effet amenés à croître davantage en 2010 et l’output gap restera très fortement négatif.
Tous les pays ne sont toutefois pas à mettre au même plan. Nous avons tenté de les hiérarchiser selon l’ampleur des déséquilibres anticipés par la Commission européenne en 2010.
Pour cela, nous avons :
- retenu des indicateurs usuels sur la situation des finances publiques (soldes primaires et dettes publiques en pourcentage du PIB), les marges de manœuvre budgétaires (poids des dépenses et recettes publiques dans le PIB) et la position dans le cycle (output gap) ;
- attribué une note allant de 1 à 3 à chaque indicateur selon la gravité des déséquilibres ;
- construit un indice synthétique en additionnant les notes pondérées des indicateurs1.
Les résultats indiquent la hiérarchie suivante des risques d’insoutenabilité des finances publiques à court terme : 1) Grèce ; 2) Portugal ; 3) Irlande ; 4) Espagne et 5) Italie.
Ce classement s’explique en grande partie par les niveaux des déficits primaires et de dettes publiques prévus pour 2010. L’Italie ressort ainsi avec le risque le plus faible, du fait de son faible niveau de déficit primaire attendu cette année (-0,6 % du PIB). En revanche, la Grèce affiche le risque le plus élevé en cumulant à la fois un déficit primaire initial élevé et une dette abyssale (125 % du PIB). Les autres indicateurs de risques retenus n’apparaissent pas discriminants suivant les pays.
Le vieillissement démographique : un risque sur les dépenses à long terme…
Au vu des projections démographiques défavorable et de l’impact du vieillissement sur les dépenses de l’Etat, la situation des finances publiques va inévitablement se dégrader à moyen et long terme. En effet, la part des personnes âgées dans la population européenne ne cesse d’augmenter sous les effets concomitants d’un allongement de l’espérance de vie et d’une diminution du taux de fécondité.
Selon les projections de la Commission européenne, le vieillissement démographique va peser lourdement sur les finances publiques en diminuant les recettes et en accroissant les dépenses, particulièrement en matière de santé et de retraite2. Cela est particulièrement vrai pour les pays d’Europe du sud, où les mutations démographiques sont encore plus marquées, et les systèmes de retraite particulièrement généreux avec des niveaux de prestations élevées par rapport aux contributions des assurés3.
De plus, les durées des cotisations et l’âge légal de départ à la retraite ne sont pas adaptés à l’espérance de vie. Des réformes importantes ont été mises en place en Italie et au Portugal pour faire face à ces problèmes. En revanche, l’Espagne et surtout la Grèce n’ont pas encore introduit des mesures suffisamment convaincantes pour amortir l’ampleur du choc démographique. A l’horizon 2060, les dépenses liées au vieillissement augmenteront le plus en Grèce (+16 points de pourcentage du PIB), et en Espagne (+8,3 points). Si les réformes sont bien mises en place, la hausse des dépenses sera moins prononcée au Portugal (+2,9 points) et en Italie (1,6 point).
Mais en Italie, la faible augmentation des dépenses se ferait à partir d’un niveau déjà élevé (26 % du PIB).
En Irlande les projections démographiques sont moins alarmantes, grâce à un taux de fécondité relativement élevé et à une pyramide des âges plus favorable. Cependant, du fait du manque de réformes importantes, l’Irlande n’échappera pas à la hausse des dépenses publiques liées au vieillissement (+8,7 points).
…et donc sur la soutenabilité des finances publiques
Les hausses des dépenses publiques liées au vieillissement démographique accroissent les risques d’insoutenabilité des finances publiques à long terme. Le tableau ci-dessous présente les résultats des projections de la Commission européenne pour évaluer les risques d’insoutenabilité des finances publiques à l’horizon 2060 :
- l’amélioration des soldes primaires structurels requis (hors dépenses liées au vieillissement) pour réduire les dettes publiques à 60 % du PIB à l’horizon 2060 ;
- l’effort lié aux seules dépenses de vieillissement démographiques, compte tenu des réformes déjà mises en œuvre ;
- l’effort budgétaire total (variation du solde primaire structurelle incluant les dépenses liées au vieillissement) ;
- l’effort supplémentaire, si les réformes sont reportées de cinq ans.
Les résultats des simulations indiquent ainsi que :
- L’Irlande est le pays qui va devoir fournir l’effort budgétaire le plus important (12,1 points de PIB), vu la dégradation récente mais très forte de son déficit primaire structurel.
- La Grèce va devoir aussi produire un effort budgétaire conséquent, en raison de l’importance des dépenses de vieillissement (+16 points de PIB). Le vieillissement implique à lui seul un effort budgétaire supplémentaire de 7,7 points de PIB à l’horizon 2060.
- L’Italie présente le risque le plus faible (effort lié au vieillissement de 1,4 point). Cela tient à la fois à la situation budgétaire initiale, moins dégradée, et aux hypothèses de réformes structurelles ambitieuses.
Enfin, un report de cinq ans des réformes structurelles implique un effort budgétaire de plus de 1 point de PIB dans tous les pays, sauf en Italie et au Portugal, compte tenu des réformes des retraites déjà mises en œuvre.
Conclusion : des situations hétérogènes
Les situations sont hétérogènes parmi les pays perçus aujourd’hui comme étant à risque élevé :
- A court et surtout à long terme, la Grèce est de loin le pays le plus risqué : elle cumule un fort endettement public, une situation budgétaire initiale très dégradée et des enjeux démographiques importants;
- L’Irlande et l’Espagne sont également des pays à risque à court et à long terme : la détérioration de leur finance est rapide mais elle se fait à partir de niveaux d’endettement public initiaux moins lourds ;
- Le Portugal présente des risques importants à court terme. A long terme, les risques liés au vieillissement sont plus faibles. En revanche, les faiblesses structurelles de l’économie portugaise (productivité et compétitivité) continueraient à peser sur les finances publiques à long terme ;
- L’Italie est le pays qui présente le moins de risques liés aux finances publiques, du fait des efforts budgétaires consentis ces dernières années et des réformes structurelles importantes introduites en matière de retraites.
NOTES
- En réalité, il n’existe pas de norme objective pour définir la soutenabilité des finances publiques. Nous avons défini arbitrairement les normes pour évaluer la gravité des déséquilibres des différents indicateurs. Quant aux pondérations retenues pour construire l’indice, elles traduisent l’importance des différents indicateurs pour décrire la situation des finances publiques.
- Voir le rapport sur la soutenabilité des finances publiques : Sustainability Report 9/2009, European Commission, Brussels, 2009.
- Voir Eclairages N°138, décembre 2009.