par Raymond van der Putten, économiste chez BNP Paribas
Les conditions sur le marché du travail se sont nettement détériorées. Le taux de chomâge a atteint 5,7% entre juin et août.
Cette tendance devrait se poursuivre dans les prochains trimestres. Le taux de chômage pourrait atteindre 7,5% à la mi-2009.
Le rythme de croissance des rémunérations, primes incluses, est déjà en train de diminuer. La majorité des employeurs ont indiqué leur intention de proposer des augmentations de salaires inférieures à l’inflation en 2009. Selon nos estimations, les salaires hors primes pourraient ne progresser que de 1,8% en 2009, contre 3,6% en 2008.
Depuis quelques mois, les conditions se sont nettement détériorées sur le marché du travail, signe manifeste que l’économie est en train d’entrer dans une récession sévère. Selon les statistiques sur la population active, l’emploi a commencé à diminuer. Ainsi, entre juin et août, l’emploi a reculé de 0.4% par rapport au trimestre précédent.
Les secteurs les plus touchés sont la construction, l’industrie manufacturière et dans le tertiaire, l’hôtellerie et la restauration, la distribution et les services financiers. A l’inverse, l’emploi dans le secteur public, y compris l’éducation et la santé, continue de croître.
Les chiffres du chômage témoignent également de la détérioration de la situation. Entre juin et août, le taux de chômage (au sens du BIT) a progressé de 0,5 point de pourcentage à 5.7% par rapport au trimestre précédent. Le nombre de demandeurs d’emploi indemnisés (claimant count) est également en augmentation et a atteint 2,9% de la population active en septembre, ce qui n’est que 0,5 point de pourcentage au dessus de son point bas du début de 2008.
Selon les agents régionaux de la Banque d’Angleterre, les intentions d’embauche sont en repli constant depuis le milieu de l’année dernière. La plupart des entreprises misent toujours sur les départs volontaires pour adapter le niveau de leurs effectifs à la dégradation des perspectives d’activité. Par ailleurs, un nombre croissant de travailleurs du secteur manufacturier a été mis en chômage partiel, tandis que dans le tertiaire, certaines entreprises ont réduit leurs horaires d’ouverture. De plus, les employeurs ont rencontré moins de difficultés de pourvoir leurs postes vacants.
Ces évolutions n’ont guère d’impact sur les rémunérations pour le moment. Entre juin et août, la progression en glissement annuelle des rémunérations hors primes s’est établie à 3.6%, ce qui n’est pas très surprenant dans la mesure où pour l’essentiel, les contrats de travail font l’objet d’une renégociation en fin d’année. Cependant, le montant des primes et des autres composantes de la rémunération liées aux résultats est clairement orienté à la baisse. Ainsi, si l’on tient compte de ces éléments, le rythme de croissance des rémunérations est en repli constant depuis avril dernier. Cette tendance a également été observée par les agents régionaux de la Banque d’Angleterre.
Performance remarquable durant la décennie Blair
Au cours de la dernière décennie, la situation de l’emploi au Royaume-Uni s’est nettement améliorée.1 Entre le T1 1993 et le T4 2007, le taux de chômage est ainsi passé de 10,8% à 5,3% ; cette embellie résulte en partie de la remarquable performance de croissance de l’économie britannique, due, entre autres à la stabilité de l’inflation obtenue grâce à l’indépendance opérationnelle accordée à la Banque d’Angleterre. Par ailleurs, le gouvernement a mis l’accent sur l’amélioration des services publics, ce qui s’est traduit par une rapide augmentation des créations de postes dans ce secteur.
D’autre part, le gouvernement a mis en œuvre certaines réformes destinées à améliorer le fonctionnement du marché du travail, ce qui s’est traduit par une diminution du NAIRU (ou taux de chômage non accélérateur de l’inflation), de 8,8% en 1993 à 5,3% en 2007 (estimations OCDE). Les principales réformes ont porté sur l’amélioration du service public de l’emploi (Jobcentre Plus) ainsi que sur le renforcement des incitations financières à la reprise d’un emploi. L’introduction de régimes de travail plus flexibles a contribué à faciliter la participation au marché du travail de certaines catégories de population comme les parents isolés.
L’afflux de migrants en provenance des nouveaux pays d’Europe centrale et orientale membres de l’Union européenne (UE) a également permis de faire baisser le taux du NAIRU dans la mesure où ils sont plus susceptibles d’être en activité et ont eu un effet modérateur sur les salaires.
Toutefois, la diminution du nombre de demandeurs d’emploi peut aussi être en partie attribuée aux nombreux travailleurs ayant profité du régime d’invalidité pour quitter le marché du travail. Ainsi, en février 2008, près de 2,65 millions de personnes en âge de travailler percevaient une prestation d’invalidité, alors que 900 000 seulement étaient bénéficiaires d’une allocation chômage. Le nombre de bénéficiaires d’une pension d’invalidité diminue lentement, grâce à la nouvelle politique en faveur des personnes handicapées, mais l’impact de ce programme n’est pas très important et n’a concerné que 260 330 personnes entre son lancement, en juillet 2001, et novembre 2006. Ainsi, l’embellie sur le front des prestations d’invalidité est sans doute davantage liée à une conjoncture économique plus favorable au cours des dernières années, une situation qui pourrait facilement se retourner maintenant que l’économie est en récession.
Plus grande flexibilité des salaires
La situation du marché du travail devrait continuer de se détériorer dans les prochains mois. Le taux de chômage pourrait atteindre 7,5% d’ici au milieu de l’année prochaine et continuer d’augmenter par la suite. Toutefois, la marge d’erreur est relativement élevée.
La disponibilité de la main d’œuvre face aux évolutions conjoncturelles constitue un facteur difficile à prévoir. Par le passé, les pénuries de main d’œuvre se sont traduites par une hausse de l’immigration. Sous l’effet du retournement conjoncturel, certains de ces travailleurs étrangers pourraient être tentés de rentrer dans leur pays d’origine où leurs chances de trouver un emploi pourraient être meilleures. En outre, le recrutement des nouveaux immigrants pourrait s’arrêter. Le régime d’invalidité constitue un autre facteur important. En période de ralentissement économique, les travailleurs les plus âgés pourraient en effet chercher à en bénéficier et ainsi quitter le marché du travail.
Autre inconnue, la dynamique des salaires durant cette phase de récession. Les réformes du marché du travail mises en œuvre par le passé devraient avoir eu pour conséquence d’accroître la réactivité des salaires aux évolutions des conditions macroéconomiques. Certains éléments laissent à penser que le phénomène est déjà à l’œuvre. Le rythme de croissance des rémunérations, primes incluses, devrait subir un ralentissement. Certains signes suggèrent également une nette modération des revendications salariales en 2009.
La majorité des employeurs ont d’ores et déjà indiqué leur intention de proposer des augmentations de salaires inférieures à l’inflation l’année prochaine. Quelques-uns ont même décidé de retarder de six mois les prochaines négociations salariales, voire d’imposer un gel des salaires. Compte tenu des craintes croissantes de chômage, il est peu probable que les salariés manifestent beaucoup d’opposition.
Compte tenu de l’évolution du marché du travail britannique depuis dix ans, il est difficile d’anticiper le comportement des salaires face à la nouvelle donne économique. Les réactions en période de forte inflation devraient être très différentes de celles observées en période d’inflation modérée ou faible.
C’est la raison pour laquelle nous avons estimé notre équation sur une période relativement courte entre 1998 et 2007. Nous sommes parvenus à la conclusion selon laquelle le processus d’ajustement des salaires réels est assez lent, ce qui s’explique par le fait que les contrats de travail ne sont renégociés qu’une fois par an. Ainsi, l’ajustement des salaires réels est déterminé à hauteur de 60% par les changements intervenus durant le trimestre précédent ; ce pourcentage monte à 70% dans le cas des salaires hors primes.
Comme il fallait s’y attendre, l’augmentation du taux de chômage a un effet modérateur sur les revendications salariales, fonction de l’écart entre le taux de chômage et le NAIRU. Compte tenu de la hausse du taux de chômage effectif, le NAIRU devrait lui aussi augmenter. En outre, notre équation confirme que la présence de travailleurs étrangers a pour effet de modérer les revendications salariales. Le coefficient est statistiquement significatif. Selon nos estimations, les salaires, hors primes, ne pourraient progresser que de 1,8% contre 3,6% en 2008.