Royaume-Uni : Pas de « super jeudi » pour la BoE

par Slavena Nazarova, économiste au Crédit Agricole

•  La réunion du Comité de politique monétaire (MPC) la Banque d’Angleterre (BoE) du 5 novembre dernier s’est révélée être un non- événement. Contrairement à ce qu’avait pro- mis il y a quelques mois le Gouverneur Mark Carney, le relèvement du taux directeur ne semble plus être d’actualité en cette fin d’année, et les marchés sont encore plus dans l’incertitude concernant son calendrier.

•  La BoE a laissé sa politique monétaire inchangée (taux directeur à 0,5% et pro- gramme de rachats d’actifs à 375 milliards de livres). Conformément à nos prévisions et à celles du consensus, les minutes de la réunion n’ont révélé aucun changement du résultat des votes. Il avait été pourtant question, avant la réunion, de la possibilité d’un ou deux votes dissidents supplémentaires.

•  La tonalité du rapport trimestriel sur l’inflation du mois novembre était accommodante et a suggéré que le processus de normalisation de la politique monétaire interviendrait plus tard que ce qui avait été anticipé en août.

•  Une fois encore, la BoE a réduit ses prévisions d’inflation pour les deux années à venir, en raison d’une inflation plus faible que prévu et de facteurs externes persistants tirant l’inflation vers le bas (faiblesse des prix des matières premières, appréciation passée de la livre sterling).

•  Néanmoins, nous avons remarqué quelques signaux hawkish dans la communication de la BoE, à la lumière notamment d’une inflation prévue au-dessus de la cible à horizon de deux-trois ans, sous l’hypothèse d’un taux directeur suivant les anticipations de marché. Selon le Gouverneur Carney durant la conférence de presse, un tel scénario pour l’inflation n’est pas celui que privilégie le Comité de politique monétaire (MPC).

  Bien que les marchés n’anticipent pas de relèvement de taux avant 2017, les perspectives de remontée des pressions inflationnistes domestiques devraient, selon nous, entraîner un premier resserrement de la politique monétaire en 2016. Notre scénario central d’une hausse de taux au deuxiè- me trimestre 2016 paraît toutefois optimiste. Il est probable que le processus de normalisation sera reporté à la seconde moitié de l’année prochaine.

L’objectif d’inflation atteint dans « environ deux ans »

La BoE a gardé sa politique inchangée en novembre dans un contexte d’inflation négative (-0,1% en septembre) et de risques extérieurs menaçant la croissance britannique. Par huit voix contre une, le MPC a voté pour le maintien de son taux directeur à 0,5%. À l’unanimité, le programme de rachats d’actifs a été maintenu à 375 milliards de livres.

Seul Ian McCafferty a voté en faveur d’une hausse du taux directeur de 25 points de base (pdb) : il pense en effet que l’inflation sera supérieure aux prévisions du MPC à moyen terme, en raison de pressions domestiques sur les prix. Avant la réunion, il était possible qu’un ou deux autres membres du MPC rejoignent sa position (Kristin Forbes et/ou Martin Weale).

– Révision à la baisse des perspectives de croissance en raison des incertitudes qui pèsent sur la demande mondiale

D’une manière générale, le MPC s’est montré plus prudent au sujet de la croissance et de l’inflation. Les prévisions de croissance ont été revues de 0,1 point de pourcentage (pp) par an (soit 2,7% pour 2015, 2,5% pour 2016 et 2,6% pour 2017) et assorties de risques baissiers liés aux perspectives économiques incertaines dans les marchés émergents. Après un probable ralentissement dans les prochains mois, la croissance devrait s’accélérer mi-2016 sur fond d’amélioration des fonda- mentaux de la demande intérieure. Le taux de chômage devrait notamment accuser un recul plus prononcé que prévu et atteindre 5,3% au premier trimestre 2015, au lieu de 5,5% prévu en août.

– Forte révision à la baisse des prévisions d’inflation à court terme

Deux forces contradictoires influencent à l’heure actuelle les perspectives d’inflation britanniques : la désinflation importée, d’une part, et l’hypothèse d’une accélération des pressions inflationnistes domestiques, d’autre part. La désinflation importée (en raison de la faiblesse des prix des matières premières et des effets persistants de l’appréciation passée de la livre) a provoqué une forte révision à la baisse des prévisions d’inflation à court terme du MPC. L’inflation devrait ainsi rester au-dessous de 1% jusqu’à l’été prochain, ce qui devrait contraindre le Gouverneur à envoyer de nouvelles lettres au Chancelier de l’Échiquier pour expliquer les raisons de la faiblesse de l’inflation. Toutefois, le renforcement anticipé des pressions inflationnistes domestiques devrait pousser l’inflation CPI jusqu’à l’objectif de 2% au quatrième trimestre 2017, et au-delà par la suite.

Les anticipations de taux par le marché, qui sous- tendent les prévisions du MPC, se sont nettement réduites depuis le mois d’août, reflétant une plus grande aversion au risque en lien avec les inquiétudes relatives à la vigueur de la demande mon- diale. Elles suggèrent une première augmentation de 25 pdb du taux directeur au plus tôt au début de 2017. Selon les anticipations de marché, le taux directeur se situerait à 0,75% au deuxième trimestre 2017 (versus T3-2016 en août) et à 1,25% au quatrième trimestre 2018 (versus T3-2017 en août).

Sous l’hypothèse que le taux directeur suit les anticipations de marché, le scénario central du MPC (reflétant l’opinion de la majorité de ses membres) prévoit un taux d’inflation légèrement au-delà de l’objectif dans deux ans. L’inflation devrait même se renforcer légèrement au cours de la troisième et dernière année de la période de prévision, accusant un léger dépassement de l’objectif de 0,22 pp.

– Les effets de l’appréciation passée de la livre sterling sur l’inflation seraient « persistants »

Selon les estimations de la BoE, la faiblesse des prix à l’importation explique 80% de la déviation de l’inflation par rapport à son objectif. Facteur essentiel : l’appréciation passée de la livre (près de 20% entre mi-2013 et mi-2015). Habituellement la BoE considère comme temporaire l’impact sur l’inflation des mouvements sur les prix des matières premières et des fluctuations du taux de change. La situation lui paraît toutefois différente cette fois-ci : « Il faut s’attendre à ce que l’appréciation de la livre continue à freiner l’inflation, cette pression ne diminuant que lentement à l’horizon des prévisions du MPC» et maintenant son effet sur l’inflation dans deux ans.

Le taux de change se révèle ainsi un élément particulièrement important pour les prévisions d’inflation, d’autant que l’inflation devrait rester au- dessous de l’objectif pendant une période pro- longée. La BoE serait peut-être tentée de limiter toute nouvelle appréciation de la livre, si elle veut maintenir bien ancrées les anticipations d’inflation publiques et des marchés, en privilégiant une approche encore plus prudente de la normalisation de sa politique monétaire.

– Le renforcement prévu des pressions inflationnistes domestiques devrait ramener l’inflation à la cible à moyen terme

Selon la BoE, l’évolution des indicateurs internes de hausse des prix depuis le mois d’août a été en ligne avec les attentes. La croissance du coût salarial unitaire aurait été de 2,2% en glissement annuel au troisième trimestre 2015 et devrait atteindre 2,25% au premier trimestre 2016 et 2,75% en moyenne en 2016. Une telle progression des pressions inflationnistes domestiques devrait compenser la désinflation importée et assurer le retour du taux d’inflation à la cible d’ici environ deux ans.

Quelques signaux hawkish

La tonalité accommodante du rapport trimestriel sur l’inflation et les révisions globalement bais- sières sur la croissance et l’inflation suggèrent qu’un début du processus de normalisation de la politique monétaire au cours de de la première moitié de 2016 est moins probable, et peut-même attendre fin 2016. On remarque toutefois quelques signaux hawkish dans la communication de la BoE, dénonçant un excès de prudence dans les anticipations de taux de marché. La BoE a notamment insisté sur son intention de retrouver sa cible d’inflation « de façon durable » – « ce qui signifie sans dépassement une fois disparues les forces désinflationnistes persistantes ».

En outre, le Gouverneur Carney a déclaré d’em- blée que «de l’avis du Comité, le recul des anticipations de taux de marché devrait plus que suffire à soutenir la demande intérieure de façon à ramener l’inflation à la cible, même en cas de faiblesse de la demande mondiale ». Durant la séance de questions-réponses de la conférence de presse, le Gouverneur a clairement exprimé qu’un dépassement de la cible à horizon de deux-trois ans n’est pas le scénario privilégié par le MPC.

Bien que les marchés n’anticipent pas de relèvement de taux avant 2017, nous continuons de croire en une hausse de taux au cours de l’année prochaine. Le resserrement du marché du travail devrait pousser la croissance salariale à la hausse, ce qui compenserait la faiblesse des prix à l’importation et entraînerait une reprise progressive de l’inflation sous-jacente. De plus, le raffermissement très probable des prix de l’immobilier dans les mois à venir devrait faire resurgir les inquiétudes concernant la stabilité financière.

En conclusion, au regard du caractère globalement dovish du rapport trimestriel sur l’inflation de la BoE, notre scénario central d’un relèvement des taux au deuxième trimestre 2016 semble assorti de risques baissiers ; un report du début de normalisation au second semestre 2016 semble plus probable.

Quant au devenir du programme d’assouplisse- ment quantitatif, la BoE a communiqué de manière plus explicite : aucune réduction à attendre « tant que le taux directeur n’aura pas atteint un niveau à partir duquel il pourra être réduit significative- ment». À l’heure actuelle, le MPC considère ce niveau du taux directeur à environ 2%. En prenant pour hypothèse un processus de normalisation du taux directeur de 50 pdb par an, le montant du programme d’assouplissement quantitatif devrait donc, selon nous, rester inchangé au moins jusqu’à fin 2018.

Retrouvez les études économiques de Crédit Agricole