Royaume-Uni : qui finance le déficit extérieur ?

par Nathalie Dezeure et Hinda Sobaihi, économistes chez Natixis

La première estimation du PIB du T1 2012 est venue jeter un coup de froid sur l’économie britannique. En effet, selon les chiffres publiés, le PIB a reculé de 0,2% au T1 2012. Cette baisse est à mettre au compte de la chute de l’activité dans la construction (-3% T/T) et dans l’industrie (-0,3% T/T), alors que l’activité dans les services n’a que très légèrement augmenté (+0,1% T/T). Ainsi, la contribution du secteur des services à la croissance a été faible (+ 0,1 point de PIB) et largement insuffisante pour compenser celles, négatives, de l’industrie et de la construction.

Cette évolution est d’autant plus préoccupante qu’il s’agit du deuxième trimestre consécutif de repli de l’activité (le PIB avait déjà perdu 0,3% au T4 2011) ce qui formalise une nouvelle entrée en récession du Royaume-Uni.

La croissance britannique semble particulièrement mal engagée. En effet, la prise en compte des résultats préliminaires dans notre scénario se traduit par un abaissement de notre prévision de croissance 2012 de 0,5 point à 0,1%.

En outre, les résultats du premier trimestre semblent concrétiser les craintes affichées par les membres du comité de politique monétaire. En effet, dans les minutes de la dernière réunion de politique monétaire (publiées le 18 avril), le comité n’excluait pas une baisse du PIB au premier trimestre liée à la chute de l’activité dans la construction. De même, il soulignait la possibilité d’une autre baisse du PIB au deuxième trimestre 2012 liée aux célébrations du jubilé de diamant (qui se dérouleront du 2 au 5 juin 2012) et en particulier à l’octroi d’un jour férié supplémentaire à cette occasion.

L’année 2012 sera effectivement marquée par la succession d’évènements exceptionnels qui auront des effets plus ou moins favorables sur l’activité. Si le jubilé de diamant risque d’amputer la croissance au T2 2012, à l’inverse les Jeux Olympiques de Londres (du 27 juillet au 12 août) devraient générer un surcroit de croissance au T3 de l’ordre de 0,2 point selon nos estimations. La trajectoire trimestrielle du PIB s’annonce donc particulièrement erratique.

Mais au-delà des événements exceptionnels, c’est l’absence de reprise durable de la demande qui devrait continuer de freiner l’activité britannique pendant encore plusieurs trimestres.

Dans ce contexte, les résultats du premier trimestre rendent la prévision du gouvernement d’une croissance annuelle de 0,8% en 2012 particulièrement difficile à atteindre. Ils remettent également en question les objectifs de réduction du déficit public. Avec une croissance du PIB sur l’année fiscale 2011-2012 de finalement 0,3 % (contre 0,5% estimé dans le budget 2012) et une croissance 2012-13 amputée de 0,4 point en raison du seul effet d’acquis (passant de 1% à 0,6%), les effets sur l’évolution de l’output gap et, par conséquent du déficit public, ne sont pas négligeables.

Si le déficit devrait être plus élevé de seulement 0,1 point de PIB en 2011-12, l’écart se creuse plus nettement dès 2012- 13 (+0,5 point) et atteint 0,9 point sur la fin de l’horizon de prévisions. Par ailleurs, l’objectif d’un déficit budgétaire inférieur à 3% en 2015-16 est repoussé d’un an.

Les marchés ont peu réagi aux résultats du PIB du T1 2012 et aux effets induits sur la consolidation budgétaire. Le taux 10 ans n’a subi aucune tension et a même enregistré une nouvelle baisse au cours des dernières séances. De son côté, le sterling a poursuivi son appréciation, en particulier face à l’euro.

Si la probabilité d’une nouvelle hausse du programme d’achat d’actifs (APF) de la BoE s’est vraisemblablement renforcée avec la baisse de la croissance au T1 (bien que les membres du comité s’attendaient vraisemblablement à une telle évolution, ce qui écarte selon nous une hausse de l’APF lors de la prochaine réunion) soutenant le marché des titres de la dette publique, la résistance du sterling apparaît plus étrange.

Qui finance le déficit extérieur?

En effet, l’économie britannique se caractérise par une récession, des perspectives de croissance faibles, des finances publiques dégradées couplées à une consolidation budgétaire ralentie et, enfin, un déficit courant récurrent. Certes, ce déficit a eu tendance à diminuer au cours des dernières années, en raison du rétrécissement du déficit de biens et services et la tendance devrait vraisemblablement se poursuivre (sous l’hypothèse d’un rééquilibrage de la demande en faveur de la demande extérieure).

Le déficit courant restera néanmoins significatif, à 1,9% du PIB cette année et 1,7% l’an prochain selon nos prévisions, ce qui représente entre 27 et 30 Mds£ de besoins d’entrées de capitaux.

L’analyse des transactions financières du Royaume-Uni avec le reste du monde au cours de la période récente permet de dégager plusieurs tendances.

Par type d’investissements, l’année 2011 s’est soldée par des sorties nettes d’investissements directs (après deux années positives) et d’investissements sur les titres de dette privée et publique. Ces sorties nettes ont été compensées par des entrées nettes d’investissements sur les actions et autres (dérivés, trade credit, prêts, monnaie et dépôts).

Par secteur, des entrées nettes d’investissement ont également été enregistrées dans le secteur financier tandis que les flux nets d’investissements ont été négatifs dans les « autres secteurs ». Mais les données révèlent essentiellement l’attractivité confirmée des titres du gouvernement. Il faut par ailleurs noter que, depuis 2005, il s’agit du seul secteur pour lequel les flux nets ont été constamment positifs, avec des entrées nettes qui ont atteint en moyenne 35,5 Mds£ par an entre 2005 et 2011. Ainsi, le déficit des investissements sur les titres de dette est dû aux sorties d’investissements sur les titres privés (corporate).

Les transactions sur les Gilts représentent plus de 90% des investissements étrangers en titres publics (en raison de la taille du marché). En 2011, les non-résidents ont acheté 40,3 Mds£ de Gilts (un niveau élevé bien qu’en retrait par rapport au 78,5 Mds£ de 2010) et 4,1Mds£ de Tbills (8,4 Mds£ en 2010). Toutefois en termes de détention du stock de titres, la part des non-résidents est nettement plus élevée sur les Bills (45,5% fin 2011) que sur les Gilts (31,1%).

S’agissant plus précisément des Gilts, l’encours détenu par les non-résidents a quasiment doublé depuis 2008, passant de 204 Mds£ à 389 Mds£ (+91%), en ligne avec l’évolution de l’encours total de Gilts (+102%).

Cette augmentation des achats de Gilts par les non résidents s’explique en partie par la hausse des achats par les banques centrales étrangères (avec 69 Mds£ détenus fin 2011, contre 36 Mds£ fin 2008) mais surtout par les « autres investisseurs étrangers » (320 Mds£ contre 204Mds£). 

Parmi eux, les banques détiennent environ un tiers de l’encours correspondant. Par ailleurs, dans son rapport annuel 2010-11, le DMO (Debt Management Office) attribuait notamment les achats de Gilts aux hedge funds et aux fonds souverains (SWF), ces derniers constituant désormais un acteur majeur.

Cette évolution caractérise la forte croissance des fonds souverains dont les actifs sont estimés entre 2 800 Mds$ et 4 000 Mds£ pour 2010 (FMI, Global Financial Stability Report, avril 2012). Elle traduit plus particulièrement la stratégie d’investissement de certains fonds (fonds de stabilisation, fonds de réserves intergénérationnels, fonds d’investissements de réserves) qui privilégient à un degré plus ou moins élevé les investissement dans les « actifs sûrs » en particulier les titres de dette publique (AAA ou AA des pays de l’OCDE). Selon le FMI, la part de titres de dette publique dans l’allocation de ces fonds peut aller de 19% à 69% des actifs.

Les informations publiées par certains de ces fonds confirment cette évolution. Ainsi, la part des obligations souveraines dans le portefeuille d’actifs varie entre 10% et 20% pour ADIA (Abu Dhabi Invesment Authority, premier fonds avec 630 Mds$) et pour China investment Corporation (5ième avec 332 Mds$) elle était d’un peu plus de 10% en 2010. De leur côté, les fonds russes (Reserve Fund avec 62 Mds$ en avril 2012, National Wealth Fund avec 89 mds$) suivent une allocation d’actifs définie par le gouvernement où les titres de dette souveraine de certains pays1 sont privilégiés. Dans le Reserve Fund, les titres de dette publique représentent entre 50 et 100% du portefeuille du fonds. Alors qu’il a été abondé en février dernier, l’encours d’actifs en sterling est passé de 1,58 Mds£ en décembre 2011 à 3,88 Mds£ fin février (avec vraisemblablement une part significative consacrée aux Gilts).

Enfin, des données particulièrement précises sont publiées par le fonds norvégien GPFG (Government Pension Fund Global, 2ième fonds avec environ 570 Mds $ fin 2011). Elles montrent notamment la forte progression des achats de titres de la dette britannique depuis 2009 (+70% entre 2009 et 2011). Cette évolution ne s’explique pas uniquement par la hausse de l’actif du fonds norvégien (+25% sur la période considérée) mais relève d’un choix d’investissement. Fin 2011, le GPFG détenait ainsi 3,1% de l’encours de Gilts détenus par les non résidents (3,8% en excluant les banques centrales). On peut d’ailleurs noter que l’appétit du fonds norvégien pour les titres de la dette publique ne se limite pas au Royaume-Uni. Ainsi, l’encours de titres du trésor français détenu pas GPFG a augmenté de 115% entre fin 2009 et fin 2011.

Le FMI estime que les fonds souverains détenaient fin 2010 1% de l’encours mondial de dette souveraine. Alors que les projections annoncent une forte croissance de ces fonds, ils peuvent, dans le cas des fonds de stabilisation et, dans une moindre mesure, des fonds de réserves intergénérationnels et des fonds d’investissements de réserves, être des vecteurs de stabilité du financement des économies développées, ce dont semble bénéficier clairement le Royaume-Uni.

NOTES

  1. Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Suède, Royaume-Uni, Etats-Unis pour le Reserve Fund, liste à laquelle s’ajoute l’Espagne pour le National Wealth Fund

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