par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
• Les propositions de Donald Tusk, en vue d’un accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, ont été relativement bien accueillies.
• Elles semblent aller dans le sens du meilleur compromis possible pour le Royaume-Uni, dans les quatre domaines couverts. L’immigration et, plus précisément, la question des prestations sociales retiennent l’attention de la presse britannique. Le mécanisme de « frein d’urgence » est généralement jugé décevant.
• Si le prochain sommet de l’UE aboutit à un accord, la date du référendum serait annoncée début mars. Le 23 juin est une date possible mais non certaine, du fait des élections du 5 mai en Ecosse, Irlande du Nord, et au Pays de Galles.
Les propositions de Donald Tusk, président du Conseil européen, qui ont été dévoilées cette semaine, ont donné un coup d’accélérateur au processus de référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne (voir encadré de la page suivante). Ces propositions constituent davantage une base de travail qu’un texte finalisé pour signature. Comme l’a souligné Philip Hammond, ministre britannique des Affaires étrangères, il s’agit d’une étape dans les négociations et ces propositions doivent encore être négociées avant d’être approuvées par les chefs d’Etat et de gouvernement. Comme l’a fait remarquer M. Tusk, « il est trop tôt pour dire quelle sera la position des autres Etats membres ». En résumé, si un accord est possible lors du Sommet de l’UE des 18 et 19 février prochains, il n’est certainement pas acquis. Les propositions de M. Tusk ont été relativement bien accueillies. Ainsi, Jean-Claude Juncker, président de la Commission, juge la proposition européenne « juste » dans le sens où elle répond aux préoccupations du Premier ministre britannique tout en respectant les traités. Du côté des négociateurs britanniques (M. Cameron, George Osborne, Chancelier de l’Echiquier, et M. Hammond) ces propositions ont également reçu un accueil assez favorable.
Le Royaume-Uni a formulé quatre demandes principales portant sur:
- l’immigration,
- la gouvernance économique,
- la compétitivité,
- la souveraineté.
Sur le premier point, M. Tusk propose l’introduction d’un mécanisme de sauvegarde qui permettrait, dans le cas où un Etat membre serait soumis à des pressions migratoires trop fortes, de suspendre (jusqu’à quatre ans) les prestations sociales aux travailleurs arrivés de fraîche date sur le territoire national ; cette procédure devrait être approuvée par le Conseil de l’UE. Le texte de la proposition de M. Tusk, dans sa version in extenso, rappelle également l’ensemble des limitations à la liberté de circulation des personnes qui existent déjà dans les traités en vigueur, soulignant ainsi que les Etats membres disposent déjà d’une grande marge de manœuvre. Sur le deuxième point, la gouvernance économique, M. Tusk s’est montré rassurant à l’égard des pays de l’UE non membres de l’UEM : ils n’auraient pas à se conformer aux règles de la zone euro et les ressources de leurs contribuables ne seraient jamais utilisées pour venir en aide à la zone euro. Le troisième point n’a jamais soulevé de problème particulier dans la mesure où la Commission travaille déjà sur un certain nombre de projets visant à accroître la compétitivité : l’union des marchés de capitaux, la simplification de la réglementation. Quant à la souveraineté, M. Tusk soutient le principe de subsidiarité et propose une solution assez proche des exigences britanniques avec un système de « carton rouge » qui permettrait à un groupe de parlements nationaux de bloquer un projet de loi européen.
De nouvelles discussions vont désormais avoir lieu entre les négociateurs britanniques, les 27 autres Etats membres et les autorités de l’UE. M. Cameron doit se rendre à Varsovie et à Hambourg dans les prochains jours et s’exprimer au Parlement européen le 16 février, tandis que techniciens et sherpas se réuniront à Bruxelles à plusieurs reprises en préparation du sommet européen. En cas d’accord, M. Cameron le soumettrait à la Chambre des Communes et un texte de loi serait adopté, probablement début mars, autorisant le référendum. Le gouvernement soutenant alors officiellement le camp du maintien, les ministres seraient alors libres d’exprimer leur position personnelle, suivant les annonces de début janvier de M. Cameron. D’ici à l’accord, en revanche, il a été demandé aux membres du gouvernement de ne pas faire entendre leur différence et de s’en tenir à la « responsabilité collective du gouvernement ». Cette unité de commande commence déjà à se craqueler. Par exemple, et c’est assez surprenant, Theresa May, ministre de l’Intérieur, considérée auparavant comme l’un des ténors possibles de la campagne en faveur de la sortie du Royaume-Uni, a qualifié les propositions de M. Tusk de « très intéressantes ».
Le 23 juin semble être la date choisie par M. Cameron. Cependant, le vote pourrait être reporté après les vacances d’été, à la demande des Premiers ministres d’Ecosse, d’Irlande du Nord et du Pays de Galles, où des élections auront lieu le 5 mai prochain.
• Encadré : proposition de M. Tusk en vue d’une adhésion renouvelée du Royaume-Uni à La lettre de M. Tusk s’accompagne d’un projet de décision des chefs d’Etat et de gouvernement. Le texte final pourrait être très différent, mais le niveau de détail du projet est intéressant. Nous en donnons ci-après un résumé.
1/ Gouvernance économique. La question dite de la « gouvernance économique » est liée à la relation entre les pays ayant adopté l’euro et ceux qui n’ont pas opté pour la monnaie unique. Londres souhaitait à cet égard obtenir une déclaration reconnaissant que le Royaume-Uni n’adhérerait jamais à l’euro, stipulant que ses contribuables n’auraient jamais à apporter leur aide à la zone euro et auraient le choix d’adopter ou non les changements de la zone euro sans s’exposer aux éventuelles conséquences défavorables de tels changements.
Extrait de la proposition. « En conséquence et aussi longtemps que lesdites dérogations ne seront pas abrogées ou que lesdits protocoles n’auront pas cessé de s’appliquer sur notification ou demande d’un Etat membre concerné, l’euro n’est pas la monnaie officielle de tous les Etats membres ». « Les mesures prises en cas d’urgence ou de crise, destinées à préserver la stabilité financière de la zone euro n’engageront pas la responsabilité budgétaire des Etats membres dont la monnaie n’est pas l’euro, ou, le cas échéant, de ceux qui ne participent pas à l’union bancaire ». « Les mesures ayant pour objet de renforcer l’union économique et monétaire, seront facultatives pour les Etats membres dont la monnaie n’est pas l’euro et seront, dans la mesure du possible, ouvertes à leur participation ». « Il est entendu que les Etats membres ne participant pas à l’approfondissement de l’union économique et monétaire ne créeront pas d’obstacles à un tel approfondissement mais qu’au contraire ils le faciliteront dès lors que le processus lui- même respecte les droits et compétences des Etats membres non participants ».
2/ Compétitivité. La demande de M. Cameron dans ce domaine est celle qui pose le moins de problèmes. Lors de son arrivée à la présidence de la Commission européenne, l’une des priorités de Jean-Claude Juncker était d’approfondir le marché intérieur et de l’étendre au secteur des services et de l’économie numérique, un programme qui bénéficie du soutien de nombreux Etats membres.
Extrait de la proposition : « L’UE doit redoubler d’efforts pour renforcer la compétitivité conformément à la Déclaration du Conseil européen sur la compétitivité ». « Les institutions et les Etats membres de l’UE feront tout ce qui est en leur pouvoir pour renforcer le marché intérieur et pour l’adapter à l’évolution de son environnement. [Ils…] prendront par ailleurs des mesures concrètes en faveur de l’amélioration de la réglementation… en abaissant les charges administratives et les coûts de mise en conformité pesant sur les opérateurs économiques, en particulier les petites et moyennes entreprises, et en abrogeant les textes de loi inutiles… L’Union européenne poursuivra une politique commerciale dynamique et ambitieuse ».
3/ Souveraineté. Le Royaume-Uni souhaitait qu’il soit mis fin à l’obligation d’œuvrer en faveur d’une « union toujours plus étroite » et demandait une plus grande souveraineté des parlements nationaux, un engagement plus net de l’UE en faveur du principe de subsidiarité et la reconnaissance de la responsabilité des Etats en matière de sécurité nationale.
Extrait de la proposition : « Il y a une différence entre les références faites [à] une union toujours plus étroite […] et l’objectif d’intégration politique… ». « La [proposition de décision des chefs d’Etat ou de gouvernement] reconnaît que, au vu de la situation particulière qui est celle du Royaume-Uni en vertu des traités, ce dernier n’est pas tenu de prendre part à une intégration politique plus poussée ». « L’objectif du principe de subsidiarité est de faire en sorte que les décisions soient prises le plus près possible des citoyens. […] Les avis motivés émis par les parlements nationaux […] sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité doivent être dûment pris en compte par toutes les institutions concernées par le processus de prise de décision de l’Union. Des dispositions appropriées seront prises dans ce sens ». « Lorsque des avis motivés sur la non-conformité d’un projet d’acte législatif de l’Union au principe de subsidiarité représenteront plus de 55 % des voix attribuées aux parlements nationaux, la Présidence du Conseil [réexaminera le projet de loi] » et « sauf modification du projet d’acte législatif pour prendre en compte les préoccupations soulevées dans lesdits avis motivés… les représentants des Etats membres, agissant en leur qualité de membres du Conseil, mettront fin à l’examen du projet d’acte législatif en question ». « L’article 4(2) du Traité sur l’Union européenne confirme que la sécurité nationale relève de la responsabilité exclusive de chaque Etat membre. Cela ne constitue pas une dérogation au droit de l’Union et ne doit pas par conséquent être interprété dans un sens restrictif. Dans l’exercice de leurs pouvoirs, les institutions de l’Union respecteront pleinement les responsabilités des Etats membres en matière de sécurité nationale ».
4/ Immigration. M. Cameron avait initialement demandé que les travailleurs non britanniques résidant au Royaume-Uni depuis moins de quatre ans ne puissent bénéficier des prestations liées à l’emploi ni des aides au logement, ainsi que l’interdiction de verser des allocations familiales aux résidents au Royaume-Uni ayant des enfants à l’étranger.
Extrait de la proposition : « Il est légitime de […] prévoir […] des mesures permettant d’éviter ou de limiter un afflux de travailleurs d’une ampleur telle qu’il pourrait avoir des effets négatifs à la fois sur les Etats membres d’origine et les Etats membres de destination ». « Les mesures […] doivent tenir compte du fait que les Etats membres ont le droit de définir les principes fondamentaux de leur système de sécurité sociale et qu’ils disposent d’une large marge d’appréciation pour définir et mettre en œuvre leur politique sociale et de l’emploi, y compris la fixation des conditions d’accès aux prestations sociales ». « La Commission soumettra des propositions en vue de modifier le droit dérivé existant de l’Union européenne comme suit :
(a) une proposition visant à […] accorder aux Etats membres, concernant l’exportation des allocations familiales vers un Etat membre autre que celui dans lequel le travailleur réside, la possibilité d’indexer lesdites prestations sur le niveau de vie dans l’Etat membre de résidence de l’enfant ;
(b) une proposition […] portant sur la création d’un mécanisme d’alerte et de sauvegarde permettant de faire face à des situations d’une ampleur exceptionnelle caractérisées par un afflux de travailleurs en provenance d’autres Etats membres sur une longue durée ».”
C’est ce que l’on appelle le mécanisme de « frein d’urgence ». Dans le cadre de cette procédure, l’Etat membre demandant l’application d’un tel mécanisme devrait en informer la Commission et le Conseil ; après examen de la requête par la Commission, le Conseil autoriserait ledit Etat membre à limiter l’accès aux prestations liées à l’emploi pendant quatre ans au maximum à compter de l’embauche ; la décision du Conseil serait d’une durée limitée et s’appliquerait aux travailleurs migrants originaires des autres pays de l’UE arrivés de fraîche date.