Sommet européen : Brady et Marshall au secours d’Athéna

par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole

L’Europe a su délivrer une réponse convaincante et crédible lors du sommet exceptionnel du 21 juillet. Pour traiter la crise grecque encore fallait-il établir le bon diagnostic. C’est chose faite avec une Europe qui admet aujourd’hui l’insolvabilité patente de la Grèce et offre un traitement plus adapté à ce problème de surendettement, et ce avec l’aide du secteur privé. La stratégie qui consistait à ré-endetter l’État grec à des conditions punitives est, en effet, abandonnée au profit d’une thérapie plus adéquate alliant allègement du stock de dette et modalités de refinancement plus concessionnelles.

Comme elle l’avait déjà fait au printemps 2010 lorsque l’intégrité de l’Union semblait sérieusement menacée, l’Europe a su délivrer une réponse convaincante et crédible lors du sommet exceptionnel du 21 juillet. En allant au-delà des attentes des marchés, les Européens espèrent bien créer un électrochoc sur la confiance de manière à apaiser durablement les tensions sur les souverains de la périphérie. À en juger par la réaction positive des marchés, le pari semble gagné, même s’il paraît encore trop tôt pour crier victoire. Le diable est toujours dans les détails.

Les grands principes

Des changements notables sont intervenus au cours de ce sommet :

  1. l’Europe a finalement admis que la Grèce faisait face à un problème de solvabilité. La stratégie qui consistait à ré-endetter l’État grec à des conditions punitives est abandonnée au profit d’une thérapie plus adaptée alliant réduction du stock de dette et modalités de refinancement plus concessionnelles (allongement des maturités et baisse des taux).
  2. une telle acceptation a pour conséquence de briser le tabou du défaut en zone euro. Le plan d’inspiration « Brady » pour impliquer le secteur privé dans ce sauvetage devrait conduire les agences de notation à abaisser la note souveraine de la Grèce en catégorie défaut. Néanmoins, les Européens ont bien soupesé les conséquences sur le système bancaire grec, avec des garanties offertes (via des techniques de rehaussement de crédit) à la BCE pour qu’elle continue à accepter les 35 obligations grecques le temps de ce défaut.
  3. Enfin l’idée d’un « plan Marshall » pour la Grèce fait son chemin. S’il est toujours question d’une cure d’austérité sévère en Grèce, l’Europe reconnaît que de tels sacrifices ont leurs limites et qu’une vraie stratégie de croissance est nécessaire pour sortir le pays de l’ornière.

Les détails

Pour traiter la crise grecque encore fallait-il établir le bon diagnostic. C’est chose faite avec une Europe qui admet aujourd’hui l’insolvabilité patente de la Grèce et offre un traitement plus adapté à son problème de surendettement, et ce avec l’aide du secteur privé.

La participation officielle à ce nouveau plan de sauvetage de la Grèce s’élève à 109 milliards d’euros et transitera via le Fonds Européen de Stabilisation Financière (FESF), doté à ce jour d’une enveloppe d’aide de 440 milliards d’euros. Ce montant dépasse, selon nous, les besoins stricts de refinancement de l’État grec, évalués autour de 80 Mds d’euros jusqu’en 2014 (après prise en compte des 57 Mds d’euros restant à débloquer dans le cadre du premier plan de sauvetage, d’une participation minimum de 30 Mds d’euros du secteur privé et des 50 Mds d’euros de recettes attendues des privatisations). Il semble que cette enveloppe prenne aussi en considération le financement des opérations de collatéralisation incluses dans l’offre d’échange de titres émanant du secteur privé (cf. plus bas) et les besoins de recapitalisation des banques grecques participantes.

Les conditions attachées à cette aide sont nettement assouplies, avec un allongement notable des maturités comprises entre quinze et trente ans (contre 7,5 ans aujourd’hui) et une baisse des taux (autour de 3,5% contre un surcoût de 200 pdb au-dessus des taux de marchés jusqu’à présent), l’ensemble étant assorti d’une période de grâce – i.e. sans remboursement en principal – de dix ans.

Comme une manière de réaffirmer son caractère purement volontaire, l’Institute of International Finance (IIF), l’association regroupant les grandes institutions financières mondiales fait, dans un document séparé, une proposition d’échanges de titres pour impliquer le secteur privé dans le sauvetage grec. Ce programme s’inspire du plan Brady qui avait en son temps (fin des années 80) réglé la crise de la dette en Amérique Latine. Au menu, quatre options sont offertes aux créanciers de la Grèce :

  1. deux formes d’échanges au pair (Par Bond), soit par swap pur, soit par rollover (autrement dit une fois le titre arrivé à maturité) avec, dans les deux cas, une extension de la maturité jusqu’à trente ans et des taux progressifs allant de 4% les cinq premières années à 5% au-delà de dix ans. Du point de vue grec, cette option allège le stock de dette en réduisant le coupon et donc le service annuel de la dette.
  2. deux options d’échanges avec décote de 20% du principal (Discount Bond), avec dans le premier cas une maturité de trente ans et un coupon dont la valeur augmente avec le temps (6% entre un et cinq ans, 6,5% entre six et dix ans et 6,8% au-delà) et dans le deuxième cas, une maturité de quinze ans et un coupon fixe annuel de 5,9%. Pour la Grèce, une telle option induit une baisse immédiate du stock de dette via la décote.

Toutes ces options offrent une garantie en capital via des mécanismes de collatérisation. Pour les trois premières options la Grèce, acquiert, via le FESF, des obligations AAA à zéro coupon servant de garantie totale de remboursement du principal des titres émis à trente ans, pour la dernière option à quinze ans la garantie n’est que partielle, ce qui explique le niveau plus élevé du coupon. Dans tous les cas, les options sont calibrées de manière à avoir une décote en valeur actualisée équivalente (21% selon les calculs de l’IIF avec un taux d’escompte de 9%).

À toutes ces options s’ajoute la possibilité de participer à une opération de rachat de créances sur le marché secondaire (debt buybacks), dont les détails ne sont pas précisés. Mais au total, en comptant sur un taux de participation de 90%, la contribution nette du secteur privé au sauvetage grec devrait s’élever à 50 milliards d’euros entre 2011 et 2014 (37 Mds d’euros pour l’offre d’échange et 12,6Mds d’euros pour les buybacks) et à plus de 100 Mds d’e6u0ros sur la période 2011-2019.

C’est clairement une avancée à l’écueil près que les conditions financières facialement avantageuses le sont un peu moins une fois pris en compte les mécanismes de garantie. Dans tous les cas, la décote de 20% en valeur actualisée de la dette grecque détenue par le privé ne suffira pas à resolvabiliser la Grèce mais si on ajoute à cela les concessions officielles, il est certain que les problèmes de soutenabilité de cette dette se sont nettement allégés. Cependant, seul le retour d’une croissance saine et durable permettra à la Grèce de remettre ses finances sur une trajectoire viable. À cet égard, l’esquisse d’un « plan Marshall » pour la Grèce est d’une importance vitale. L’analogie a du sens puisqu’il s’agit bien de reconstruire le pays pour lui donner un avenir.

Le petit plus

Si l’Europe était surtout attendue sur le dossier grec, elle est allée un cran plus loin afin de réaffirmer sa détermination à sauvegarder l’intégrité de l’Union. Ainsi, le FESF est doté d’une plus grande flexibilité et pourra agir de manière préventive. Il est désormais prévu que le fonds puisse exceptionnellement, sur les conseils de la BCE, intervenir sur le marché secondaire de la dette pour pallier ses dysfonctionnements. Autrement dit, si la BCE conserve son pouvoir d’intervention dans le cadre de son programme de rachats d’obligations (SMP), elle pourrait être épaulée, voire supplée par le FESF, si la contagion touche l’Italie ou l’Espagne. Les États fondamentalement solvables faisant face à des problèmes temporaires de liquidité (et via ces États, les banques ayant un besoin de recapitalisation) pourraient accéder au fonds européens jusqu’à présent exclusivement réservé aux pays sous-programme de la Troïka.

L’ensemble de ces mesures a pour objectif de stopper les phénomènes de contagion entre États et via le système bancaire selon un schéma circulaire à caractère auto-réalisateur. Néanmoins, la capacité de tir du fonds semble insuffisante en cas de de panique généralisée, la BCE étant de ce point de vue la seule institution européenne ayant des munitions potentiellement illimitées.

Si tout n’est pas réglé, les solutions aujourd’hui proposées permettent de franchir une nouvelle étape dans la résolution de la crise des dettes souveraines, en même temps qu’elles apportent une nouvelle pierre à l’édifice Europe pour en fortifier les fondations.

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