par Olivier Ginguené, Chairman Pictet Asset Management Strategy Unit
Les marchés ont pris un chemin proche de celui du scénario catastrophe que nous avions évoqué il y a trois mois en appelant à la prudence: une inflation faisant fi des cycles de resserrement dans de nombreux pays émergents, y compris la Chine, un effet de contagion lié à la crise de la dette souveraine européenne et une croissance qui s’épuise aux Etats-Unis – tout cela survenant simultanément.
Pour l’instant, nous restons patients, nous poursuivons notre politique de placement prudente et recherchons des opportunités d’achat à court terme. Les marchés sont actuellement caractérisés par un fort dysfonctionnement, et un resserrement des liquidités s’est développé à l’échelle de la planète. Une réponse mondiale à ce problème de liquidité est donc un préalable à toute nouvelle prise de risque de notre part. les spreads achat/vente sont historiquement larges s’agissant d’instruments aussi liquides que les Bunds allemands et les bons du trésor américain. la capacité du marché à absorber une offre supplémentaire d’obligations d’Etat s’est affaiblie, car les banques réduisent leur endettement et les gouvernements du monde développé resserrent leur politique budgétaire.
Une réponse mondiale à la crise de liquidité est nécessaire afin de restaurer la propension au risque
Aux Etats-Unis, un accord a été conclu entre les Républicains, qui contrôlent la Chambre des Représentants, et le sénat principalement tenu par les Démocrates, afin de relever le plafond de la dette publique et éviter un possible défaut de paiement sur les obligations d’Etat. toutefois, l’accord impose aux Etats-Unis une cure d’austérité inopportune à un moment où l’économie chancelle. la conjoncture a donné de nouveaux signes de fléchissement à l’issue d’un premier semestre déjà faible. Cette situation survient à un moment où la Réserve fédérale est en train de clore son deuxième programme d’assouplissement quantitatif (Qe2), mettant fin aux apports de liquidités, avec pour conséquence prévisible une baisse des prix des actifs.
De ce fait, vendredi dernier, S&P a abaissé la note de la dette publique américaine à AA+ avec perspective négative, ce qui risque d’avoir des répercussions sur celles de nombreux Etats et municipalités des Etats-Unis ainsi que sur celles de Fannie Mae et de Freddie Mac, des acteurs essentiels du marché du logement.
Nous estimons que la BCE a raison d’inverser sa politique de liquidité
Le programme supplémentaire d’aide à la Grèce consenti par l’Union européenne a sensiblement réduit le coût de la dette et reporté la maturité des emprunts de ce pays, ainsi qu’à l’Irlande et au Portugal. Il a également accru la taille du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et sa capacité d’acheter de la dette souveraine sur le marché secondaire, ce qui constitue à notre avis une amélioration substantielle des tentatives précédentes en vue de contenir la crise de la dette souveraine européenne. Il n’en reste pas moins que seule l’intervention de la Banque centrale européenne (BCE) consistant à acheter des obligations publiques italiennes, espagnoles et irlandaises a permis de réduire les écarts de taux par rapport à l’Allemagne.
Il s’agit là, selon nous, d’un important retournement dans la politique de la BCE qui s’était entêtée, au cours de ces derniers mois, à éponger tout excès de liquidité et à procéder à un resserrement monétaire à un moment où de nombreux gouvernements européens commençaient à mettre en place leurs programmes d’austérité budgétaire. Nous avions estimé que le ratio dette/PIB de l’Italie était élevé mais gérable, aussi longtemps que cette dernière aurait la possibilité de refinancer sa dette sur les marchés. C’est précisément l’objectif de l’intervention de la BCE.
Au-delà de la mauvaise santé des marchés développés, la persistance du cycle de resserrement dans les pays émergents – et, en premier lieu, en Chine – n’a jusqu’ici pas permis de juguler l’inflation. Bien qu’il existe une réelle probabilité que la publication de l’indice des prix à la consommation en Chine marque un pic d’inflation, le risque d’atterrissage brutal s’est accru, ce qui renforce les inquiétudes au niveau mondial.
Au cours des trois derniers mois, nous avons atteint un niveau de distorsion des marchés qui justifie une action politique volontariste. Après la baisse des taux de la Banque nationale suisse, l’intervention monétaire de la Banque du Japon et l’achat par la BCE de dette publique émise par des pays de la zone euro, nous attendons une approche plus accommodante de la part de la Réserve Fédérale américaine lors de sa réunion du 9 août. Un plus haut de l’indice des prix à la consommation en Chine, cette semaine, contribuerait également à améliorer la disponibilité de liquidités. Par conséquent, nous mettons en garde contre un pessimisme excessif à l’heure actuelle. en effet, dans un contexte de fluctuation des marchés entre aversion au risque et recherche du risque, notre attitude d’aversion au risque s’est avérée payante au cours des trois derniers mois.
Nous ne modifierons pas notre allocation d’actifs avant d’avoir perçu des signes clairs d’expansion des liquidités sous l’effet de mesures politiques
Globalement, notre analyse – qui évalue des facteurs de valorisation, de liquidité et de sentiment – ne nous rend toujours pas enclins à prendre davantage de risques. S’il est vrai que les indicateurs de valorisation et le sentiment désormais négatif des investisseurs pourraient confirmer une situation survendue des marchés actions et présager d’un rebond à venir, notre analyse ne montre pas encore de signes nets d’expansion des liquidités. Pour cette raison, nous ne modifions pas notre allocation d’actifs, telle qu’elle figure dans le Baromètre d’août.