par Pascale Auclair, Directeur de la gestion de la Française des Placements, Michel Didier, Président du Conseil d’Orientation Stratégique et Joël Konop, directeur de la gestion diversifiée chez La Française AM
Décembre n’aura apporté sur les marchés aucune touche finale très positive, dans la continuité d’une année 2011 fort difficile ! A l’heure des bilans, il faut toutefois se garder d’une lecture biaisée par une focale trop européenne qui nous conduirait sans doute à un pessimisme excessif.
Un grand nombre d’actifs européens ont en effet connu des chutes de valorisation conséquentes, l’Eurostoxx en premier lieu, qui conclut l’année sur une baisse de près de 20 %. Les pertes sur les emprunts d’Etat de plusieurs pays de la zone euro sont également très importantes : près de 10 % pour les emprunts d’Etat italiens, 20 % sur le Portugal… L’extraordinaire divergence des dettes publiques masque toutefois des performances plus qu'honorables pour un investisseur sur les OAT 10 ans qui gagne près de 7 % tandis que celui positionné sur la dette d’Etat allemande affiche plus de 12 % de performance. Aux Etats-Unis, entre un S&P 500 finalement à l’équilibre et un rendement à deux chiffres sur les titres gouvernementaux, un allocataire prudent obtient en 2011 un résultat largement positif.
Cette perception négative est donc, pour une large part, centrée sur la zone euro… à juste titre. Elle est également alimentée par les interrogations sur les zones émergentes, dont le plein succès de l'atterrissage n'est pas encore acquis, et dont le comportement boursier en 2011 est particulièrement décevant. Les efforts afin de régler les problématiques propres à la monnaie unique ont été importants, y compris en décembre, mais le résultat n’est pas encore à la hauteur des espoirs malgré l’implication de tous les acteurs européens.
- La BCE continue son assouplissement monétaire en ramenant ses taux directeurs à 1 %. Elle poursuit, à un rythme modéré, ses achats de dette italienne et espagnole, mais surtout soutient vigoureusement les banques au travers du succès de son LTRO puisque 520 banques sont allées refinancer 489 milliards d’euros à 3 ans à un taux de 1 %. Ce "succès" est cependant mitigé. Ce refinancement a certes permis une détente très significative des taux courts des pays les plus fragiles – les taux à 1 an des emprunts d’Etat italiens ont été divisés par 2 en revenant très rapidement en deçàde4%-etle2ansallemandestà0,20%!Lemarché monétaire se détend puisque l’EONIA finit l’année autour de 0,40 % mais, phénomène très frustrant pour la BCE, l'Euribor 3 mois reste au-dessus de la barre des 1,35 %. Enfin, au registre des inquiétudes, et significatifs des tensions bancaires, les dépôts à la BCE des banques commerciales ont bondi à 452 milliards d’euro annulant par là même une grande partie des injections de la BCE.
- Le sommet européen du 9 décembre a montré une cohésion franco-allemande renouvelée, une détermination des dirigeants de la zone euro qui semble intacte, mais au prix de tensions renforcées avec le Royaume-Uni. Les avancées sur le MES ne doivent pas cacher le renoncement de la France, sous la pression de l’Allemagne, à son souhait de voir des Eurobonds se substituer au moins partiellement aux émissions de dette nationales.
- Enfin, les Etats les plus fragiles ont réaffirmé leur volonté de redresser leurs finances publiques avec de nouveaux plans d’austérité en Grèce, en Italie et avec des élections qui portent au pouvoir un gouvernement conservateur en Espagne…
Malgré cette volonté politique d'éviter l'implosion, l’Europe reste fragile avec une situation économique qui ne cesse de se détériorer. Les agences de notation en tirent les conclusions : tous les pays de la zone euro sont menacés de voir leur note dégradée, la France en premier lieu. Heureusement, les signes venant de l’extérieur sont plus rassurants. Les Etats-Unis semblent renouer avec une situation économique plus positive, croissance qui rebondit, baisse du chômage et jusqu’à l’immobilier qui donne quelques signes de frémissement. Dans ce contexte, nous conservons une allocation modérément investie, en favorisant toujours les actifs susceptibles de profiter de la croissance venue de l’extérieur.
Les effets des tensions financières au sein de la zone euro continuent à se propager dans l’économie réelle. L’activité a été touchée et plusieurs pays européens sont en récession. De façon générale, les ménages augmentent leur taux d’épargne, les banques limitent leurs nouveaux crédits et augmentent leurs marges, les entreprises révisent en baisse leurs projets d’investissements et resserrent leurs coûts de production. Ces réflexes de prudence sont rationnels au niveau individuel mais ils conduisent tous à restreindre la demande de biens et services et par conséquent le niveau de l’activité économique. Il semble bien cependant, au vu des données les plus récentes, que le gros des révisions d’anticipations est déjà passé et que la dégradation de la conjoncture européenne ne s’amplifie plus.
La production industrielle globale de la zone euro (connue jusqu’en octobre) a amorcé un léger recul et tous les indicateurs d’opinion ont fortement chuté à l’automne. Cependant, les chiffres de décembre n’accentuent plus le mouvement. Les indices des directeurs d’achat ne baissent plus. En France, la consommation de produits manufacturés est stabilisée. En Allemagne, l’indice du climat des affaires de l’institut Ifo a légèrement rebondi après plusieurs mois de recul. On souligne au passage que les résultats du troisième trimestre se sont avérés bons en Allemagne, avec un rythme de croissance annualisé de 2 % l’an malgré un recul des exportations. Les premiers renouvellements des accords salariaux de la métallurgie ont abouti à une hausse des salaires de 3,8 % et l’indice de confiance des ménages est élevé. Après avoir accusé le choc de la crise de confiance de l’été, l’économie européenne commence peut-être à se stabiliser.
Dans les autres régions du monde, la croissance est restée soutenue tout au long de l’année. Les pays émergents ont retrouvé un rythme plus tendanciel après le fort rebond de 2010. Cela impliquait une modération du rythme de croissance mais ne doit pas s’interpréter pour l’instant comme un retournement conjoncturel. Aux Etats-Unis, l’activité économique a retrouvé un rythme d’expansion modérée qui se consolide de mois en mois.
La liquidation des excès de crédit immobilier est toujours en cours et les prix des maisons anciennes ont légèrement rechuté dans la plupart des grandes villes. On observe en revanche une remontée des autorisations et des mises en chantier de logements neufs. Il est peu probable que cette remontée s’amplifie tant que les prix de l’immobilier restent déprimés mais, compte tenu de la segmentation du marché du logement, on peut envisager que la construction redémarre lentement alors même que des logements restent vacants par ailleurs.
Dans l’industrie comme dans les services, les derniers indices des directeurs d’achat (indices ISM) se sont redressés. Les créations d’emplois se maintiennent autour de 150 000 par mois dans le secteur privé et le taux de chômage continue de refluer lentement. Au total, la croissance mondiale se poursuit, à un rythme sans doute un peu inférieur à sa tendance longue mais assez proche de celle-ci (de l’ordre de 3,5 % par an). Cela explique que le prix du pétrole (Brent) se maintienne entre 100 et 110 dollars le baril.
Nous abordons l’année 2012 sans avoir véritablement levé les incertitudes qui ont cassé le rythme de la croissance européenne en 2011. Nos perspectives pour 2012 restent assez favorables pour l’environnement mondial de l’Europe, avec toujours une interrogation persistante sur les déséquilibres chinois mais plutôt au-delà de 2012. Elles restent en revanche toujours aussi incertaines sur l’issue de la crise interne à la zone euro. Le scénario qui garde notre préférence est celui d’une lente résorption des tensions sous deux hypothèses toutefois. La première hypothèse est que les décisions des Conseils Européens qui ont déjà été prises au cours des derniers mois entrent effectivement en application dans les prochaines semaines, notamment les modalités de renégociation de la dette grecque et de la participation du FMI (et de certains pays non européens) aux prêts relais à consentir aux pays de la zone euro, en particulier à l’Italie. La seconde hypothèse est que les plans de réduction des déficits publics soient poursuivis et réalisés conformément aux engagements. Sous cette double hypothèse, vraisemblable mais qui est encore loin d’être assurée, les tensions financières devraient pouvoir se résorber très progressivement.
Les décisions du Conseil Européen du 9 novembre ne sont pas négligeables. Les chefs d’Etat ou de Gouvernement de la zone euro ont adopté plusieurs décisions significatives mais dont la portée est à moyen terme : 1/ Un nouveau "pacte budgétaire" selon lequel le déficit structurel annuel ne devrait pas excéder 0,5 % du PIB ("règle d’or") ; 2/ un mécanisme de correction automatique qui serait déclenché si un écart était constaté ; 3/ l’obligation pour les pays concernés de soumettre au Conseil Européen un programme de "partenariat économique" détaillant les réformes structurelles nécessaires pour assurer le retour vers l’équilibre économique et financier. Le problème est que ces décisions rappellent des décisions comparables prises dans le passé et qui sont restées lettre morte.
Pour ce qui concerne les outils de stabilisation à court terme, les deux nouveautés du 9 décembre concernent l’activation de l’effet de levier du Fonds Européen de Stabilité Financière (modalités en discussion), l’avancée de l’entrée en vigueur du Traité sur le Mécanisme européen de stabilité financière au 31 juillet 2012 (le plafond global FESF/MES de 500 milliards d’euros effectivement activables est confirmé), un changement des modes de décision pour le MES (décisions se prenant à l’avenir par une majorité qualifiée de 85 % et non à l’unanimité), enfin une confirmation du principe de la participation du secteur privé si nécessaire (selon des clauses collectives prédéterminées pour éviter de retrouver l’incertitude grecque). On sait aussi que la Grèce, l’Italie et l’Espagne ont pris de nouvelles mesures de réduction des déficits.
Le temps de décantation est un facteur important, les marchés ayant tendance à s’accoutumer à l’incertitude latente et les mesures de stabilisation se mettant en place. Mais c’est aussi un facteur de risque, tout accident de parcours ou mauvaise surprise pouvant en effet dégénérer en nouvelle crise financière. Or, une nouvelle crise serait difficile à gérer et pourrait déboucher sur de véritables ruptures. L’année 2012 commencera donc par une période d’incertitude. La croissance est prête à redémarrer dès que cette incertitude sera levée. Cela devrait être le cas au cours du premier semestre.
Sur la bonne voie…
2011 se termine dans un contexte de visibilité réduite et de volatilité élevée, deux facteurs qui devraient durer et donc, également limiter la prise de risque. La liquidité sur les marchés de taux souverains et du crédit restant faible nous avons maintenu le budget de risque à un niveau conservateur aux 2/3 de notre cible.
Il nous semble en revanche que le marché actions pourrait bénéficier en début d'année des bonnes surprises économiques américaines, et d'une très progressive normalisation européenne grâce aux efforts conjoints des différents pays et acteurs supranationaux. Nous conservons une allocation actions stable globalement mais arbitrons une large part de la poche émergente vers l'Europe qui devrait opérer un rattrapage.
Si la liquidité du marché actions conserve nos faveurs pour bâtir la poche risquée de notre allocation, nous maintenons néanmoins des positions obligataires High Yield et convertibles dont le portage et le potentiel de performance sont attractifs.
Notre seule position en dette périphérique est une ligne du Trésor italien à échéance mars 2012 (10 %). La poche obligataire "core" est réduite via des prise de profits, la protection du portefeuille est désormais assurée par la création d'une ligne d'or (2 %) suite à sa forte baisse, et par des positions en dollars non couvertes.