par Tegwen Le Berthe, Responsable du développement de l'investissement responsable chez CPR AM
L'un des principaux défis que doivent relever les gérants de portefeuille pour réussir dans le domaine de l'investissement environnemental, social et de gouvernance (« ESG ») est de savoir utiliser les données de manière efficace pour stimuler la création de valeur. Aujourd'hui, tout gérant de fonds ESG doit disposer, comprendre et analyser de grandes quantités de données, allant des normes de sécurité au travail aux émissions de gaz à effet de serre, afin de respecter ses engagements et répondre aux attentes des investisseurs, à savoir intégrer l'analyse ESG dans la gestion de leur portefeuille.
Cette nécessité de répondre aux attentes des investisseurs a fait pression sur les prestataires de services de recherche, censés exploiter des quantités d'informations pour fournir des données ESG à jour, fiables et compréhensibles. Des ensembles de données de plus en plus vastes et très hétérogènes doivent être analysés, tout en parvenant à faire la distinction entre les données pertinentes et les tactiques de « green washing » de certaines entreprises. Les analystes ESG doivent surmonter ces obstacles logistiques afin de pouvoir filtrer les données publiques et les informations des entreprises pour trouver des données ESG exactes, pertinentes et à jour.
Comment maîtriser cette surcharge de données ? Des solutions innovantes existent, comme l'intelligence artificielle (IA), l'apprentissage automatique et l'imagerie par satellite. Les propriétaires d'actifs doivent aujourd'hui s'efforcer de regarder au-delà des ensembles de données et des pratiques traditionnelles.
Objectives, évolutives et transparentes, ces techniques peuvent contribuer à faire de la collecte de données ESG un processus cohérent et unifié. Elles permettent aux prestataires de recherche d'améliorer la qualité et la rigueur de leurs données, tout en offrant aux gérants d'actifs une plateforme dotée de fonctionnalités leur permettant d'améliorer la granularité et la qualité des informations mises à disposition de leurs investisseurs.
Bien que l'intégration de l'IA n'en soit qu'à ses débuts au niveau de l'analyse ESG, elle commence déjà à être mise en œuvre dans la construction de portefeuille. Les pionniers en la matière, comme TruValue Labs, collectent des big data et traitent leurs résultats de recherche à l'aide d'un outil d'IA afin d'évaluer, de surveiller et de noter les comportements et les critères ESG en temps réel. Il existe également des exemples de big data utilisées dans le cadre de la stratégie d'atténuation des risques d'un portefeuille. Par exemple, l'imagerie par satellite permet de surveiller les catastrophes naturelles, telles que les inondations.
L'IA et l'apprentissage automatique viennent renforcer la crédibilité et l'autorité de l'intégration ESG. Le logiciel peut contribuer à éviter des allégations de « green washing » et garantir la crédibilité et la fiabilité d'une analyse ESG. Le secteur s'est efforcé de promouvoir l'adoption des critères ESG et d'informer les investisseurs sur les opportunités à long terme que représentent les données ESG. Mais l'enthousiasme à leur égard signifie aussi que le secteur est susceptible de promouvoir des produits qui n'intègrent l'analyse ESG que de manière superficielle. L'IA et le big data seront des moyens d’en évaluer la cohérence.
Ceci dit, l'intégration de l'IA dans l'analyse ESG ne se fera pas sans rencontrer quelques obstacles qui lui sont propres. Les gérants de portefeuille doivent évaluer de façon critique le casse-tête éthique que pose l'IA. Par exemple, quelles mesures doivent être mises en place pour prévenir les erreurs, les fuites ou la manipulation des données ? Comment pouvons-nous protéger les analystes de données ESG dont nous avons besoin face à la vitesse et aux capacités de traitement de la robotique ? Ce sont des questions importantes auxquelles le secteur doit répondre. Nous ne voulons pas compromettre nos réalisations pour des gains à court terme.
L'an dernier, CPR Asset Management a collaboré avec INDEFI, une société de conseil indépendante, en vue d'étudier l'évolution des pratiques d'intégration ESG chez les investisseurs institutionnels et les distributeurs en France et en Europe. Nous avons constaté que les investisseurs utilisent de multiples sources d'information dans leur analyse ESG. Bien qu'ils aient pu ainsi accéder à de nouvelles informations, à de nouvelles perspectives et à nouveaux ensembles de données, ils se sont également retrouvés submergés par l'ampleur des données extra-financières. L'impact de cette « fatigue des données » était double : elle fragilisait leur analyse et augmentait la probabilité de manquer des controverses importantes et coûteuses.
La compréhension, l'évaluation et le suivi des données sont essentiels à la longévité et à la crédibilité du mouvement ESG. Face à la vague de nouvelles données et de nouveaux cadres ESG, nous ne pouvons nous permettre de transiger sur la qualité des données fournies aux investisseurs. Il est de notre responsabilité de trouver des solutions qui soient rentables et qui puissent évoluer en harmonie avec le paysage ESG.
La technologie offre un outil prometteur pour nous aider à mieux déterminer la performance financière des portefeuilles. Les algorithmes de l'intelligence artificielle et du big data dépassent les capacités humaines à bien des égards. Nous devrions adopter ces approches de manière éthique et responsable.