par Michala Marcussen, Chef économiste Groupe, et Alan Lemangnen Economiste France chez Société Générale
Deux ans après son entrée en fonction, Emmanuel Macron a porté un agenda de réformes visant à tirer parti de certains paradoxes de l'économie française: une productivité élevée malgré un système de formation parfois déficient, une démographie enviable mais un faible taux d’utilisation de la main-d'œuvre, un taux de pauvreté modéré mais une mobilité sociale souvent entravée…
Face à une contestation sociale qui s’est ancrée solidement à partir de l’hiver 2018- 2019, le gouvernement a réagi avec près de 17 milliards d'euros de mesures socio- fiscales en faveur du pouvoir d’achat. L’exécutif a toutefois promis de poursuivre les réformes dans le but de stimuler la croissance potentielle et de renforcer la confiance outre-Rhin. Il reste qu’avec le ralentissement de la croissance mondiale, des réformes encore trop récentes pour produire de véritables résultats et les troubles sociaux récents, poursuivre l’agenda sera une tâche ardue.
Ce Risk&Opportunities s’arrête sur quelques uns des paradoxes de l’économie française et la stratégie de l’exécutif visant à en tirer bénéfice. Il rappelle également nos perspectives de croissance pour 2019-2020, en mettant l'accent sur l'impact des mesures socio-fiscales annoncées par le gouvernement.
Ces paradoxes qui font la résilience de l’économie française en temps de crise…
Lorsqu’Emmanuel Macron prend ses fonctions en 2017, l'économie française est caractérisée (et l’est toujours aujourd’hui) par trois faits saillants, certains d’entre- eux plutôt paradoxaux : la demande est résiliente mais les difficultés de l’offre sont persistantes ; les déséquilibres extérieurs sont contenus malgré une compétitivité dégradée ; l'endettement, tant public que privé, augmente.
– Résilience de la demande, érosion de l’offre
Contrairement à ce qui est communément admis, la croissance de l’économie française s’est relativement bien tenue au cours de la dernière décennie. Le PIB en volume est aujourd’hui supérieur de presque 10 points à son niveau de 2008, au- dessus de la moyenne de la zone euro et au coude-à-coude avec certaines économies du « cœur » de la zone (les Pays-Bas notamment).
Cette performance est grandement attribuable à la résilience de la consommation publique et privée lors de la crise de la zone euro en 2011-2013. La France s’est alors nettement différenciée des économies de la périphérie qui replongeaient dans une violente récession sous l’effet des dévaluations internes.
Toutefois, cette résilience a eu un coût. Elle s’est accompagnée d’une forte hausse de la pression fiscale et de l’endettement public, miroir du maintien de la consommation des administrations publiques. Quant à la demande des ménages, elle a (péniblement) résisté, au prix d’une déformation marquée du partage du revenu en faveur des salaires. En effet, l’ajustement de la masse salariale au cycle (via l’emploi et les salaires) étant fortement encadré, les entreprises ont financé les hausses de salaire en réduisant leurs marges et l’investissement.
La résilience de la demande a donc été financée par une érosion de l’offre, dont l’impact sur les entreprises et l’économie a été mis en évidence par le rapport Gallois en 2012 : accentuation du recul de la profitabilité, de la capacité d’investissement, de la compétitivité coût et hors coût, de la croissance potentielle.
– La compétitivité reste dégradée mais les déséquilibres extérieurs sont contenus
Dans la continuité du rapport Gallois, une partie des réformes lancées sous le mandat de François Hollande a visé à remédier à cette érosion de l’offre, notamment via des mesures d’allègement du coût du travail (CICE, Pacte de Responsabilité) et de flexibilisation du marché du travail (Loi Rebsamen, Loi El Khomri).
Le CICE a contribué à la modération de la croissance des coûts salariaux unitaires et au redressement des marges (aidé par la baisse des prix du pétrole). Toutefois, il n’existe pas encore de véritable consensus quant à l’effet de l’ensemble de ces mesures sur l’économie. Pour l’heure, les indicateurs de compétitivité (parts de marché à l’exportation, poids de l’industrie manufacturière dans le PIB…) continuent de pointer vers une situation dégradée. En témoignent la persistence du déficit de la balance des biens et son creusement en période de reprise, signes que l’appareil productif peine toujours à répondre à l’accroissement de la demande globale.
Pour autant, l’érosion de l’offre n’a pas entraîné l’accumulation d’importants déséquilibres courants. Les profits rapatriés par les multinationales sont plus importants que le déficit structurel de la balance des biens, garantissant à la France le quasi-équilibre de sa balance courante. La désindustrialisation que connaît la France depuis maintenant trois décennies est en grande partie le miroir d’importants investissements directs à l’étranger (IDE) des entreprises françaises : en 2018, leur stock représente 60 % du PIB, contre un peu plus de 35 % en Allemagne. Plutôt que d’exporter1, les entreprises françaises ont souvent opté pour la délocalisation d’une part importante de leur chaîne de valeur2, dont les revenus (2,2 % du PIB en 2018) couvrent aujourd’hui le déficit de la balance des biens (1,9 % du PIB en 2018). D’après l’INSEE, les ventes des filiales à l’étranger des multinationales industrielles françaises représentaient ainsi 40 % du PIB national en 2011, contre 22 % pour les exportations.
En grande partie grâce à ses multinationales, l’économie française bénéficie donc d’une forme de « privilège exhorbitant », celui de percevoir des revenus nets du reste du monde alors que sa position nette vis-à-vis de celui-ci est débitrice.
– La vulnérabilité face à une remontée des taux d’intérêt augmente
La hausse continue des ratios d’endettement depuis la grande crise financière a augmenté la vulnérabilité de l’économie française à une hausse durable des taux d’intérêt. Cette tendance concerne les administrations publiques (avec un ratio de dette sur PIB en hausse de 33 points à 99 % en 2018), la résilience de la demande publique sur la période ayant en partie été financée par la dette (cf. supra). Mais elle concerne également les agents privés non-financiers. A cet égard, la France se positionne à contre-courant des autres grandes économies de la zone euro où l’endettement recule ou se stabilise. Du côté des ménages, la progression de l’endettement (+ 12 points de PIB entre 2008 et 2018) reflète celui des prix immobiliers, qui ne se sont ajustés que marginalement avec la crise. Néanmoins, les emprunts étant réalisés dans leur grande majorité à taux fixe, les ménages sont relativement bien protégés en cas de remontée des taux d’intérêt.
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Du côté des entreprises, l’endettement (+ 23 points de PIB entre 2008 et 2018) a financé de l’investissement en France3 et à l’étranger. Il a aussi contribué au reforcement des trésoreries. A cet égard, la dette nette (qui tient compte de la détention de liquidités) progresse (+6 points de PIB), mais à un rythme inférieur à la dette brute. Enfin, beaucoup de multinationales ont saisi l’opportunité de l’environnement de taux bas pour s’endetter et prêter à leurs filiales à l’étranger. Une fois ajusté de ces facteurs, le ratio d’endettement est ramené à environ 25 % du PIB. Malgré tout, les entreprises sont aujourd’hui beaucoup plus exposées à une remontée des taux d’intérêt.
… Mais qui grèvent son potentiel de croissance
La liste des paradoxes français ne s’arrête pas là. La France compte ainsi des multinationales de premier rang et dispose d’excellentes infrastructures, mais compte étonnamment peu d’entreprises de taille moyenne. Ses voisins européens lui envient sa démographie, pourtant le taux d’utilisation de la main d’œuvre est faible. La productivité horaire est élevée, mais les scores des élèves aux enquêtes internationales (de type PISA) révèlent d’importantes disparités de niveau en matière d’éducation et de qualification. Et si les taux de pauvreté sont faibles par rapport aux grandes économies avancées, la mobilité sociale reste souvent entravée.
Dans les deux ans qui ont suivi son entrée en fonction, Emmanuel Macron a présenté une série de réformes visant à tirer parti de chacun de ces paradoxes, en mettant notamment l’accent sur la flexibilité et l'éducation.
– Flexibilité et formation au cœur de l’agenda des réformes
Les PME représentent une part substantielle de l’emploi présent et futur. Elles constituent par ailleurs le vivier dont émergeront certainement les grandes entreprises de demain (rappelons à cet égard que les GAFA sont des sociétés relativement nouvelles). Or les données de l'OCDE montrent que 95 % des entreprises françaises ne comptent que 1 à 9 personnes employées, contre 82 % en Allemagne et 93 % pour la moyenne de la zone euro. Le fait que peu de micro- entreprises grandissent est un sujet de préoccupation, souvent attribué aux exigences découlant des seuils réglementaires selon lesquels les obligations des employeurs augmentent avec le nombre d'employés.
La littérature économique a ainsi montré que les entreprises situées juste en dessous de 50 salariés sont moins susceptibles d'embaucher du personnel et préfèrent investir en capital, évitant ainsi les exigences associées au dépassement du seuil (renforcement de la représentation des salariés, conditions de licenciement moins flexibles et plus coûteuses, cotisations patronales plus élevées…). Cette réalité contribue également à expliquer le bon niveau de productivité mais la faible utilisation de la main-d’œuvre, comme en témoignent des taux d’emploi faibles et un chômage structurellement élevé.
Un autre problème affectant le marché du travail relève de la qualité du système de formation. Certes, les dernières données de l’étude PISA de l’OCDE (2015) révèlent que le score global de la France est proche de la médiane de l’OCDE. Néanmoins, celui-ci cache de profondes disparités : en effet, si la moyenne des élèves les plus performants en sciences, en lecture et en mathématiques est supérieure à celle de l’OCDE (18,4 % contre 15,3 %), celle des élèves les moins performants l’est également (14,8 % contre 13 %). Les résultats de la formation continue sont un autre sujet de préoccupation : près d’un quart de la population active (23 %) est considérée comme sous-qualifiée, plaçant la France dans la tranche supérieure de la fourchette établie par l’OCDE, qui s’étend de 7% à 30%. Cette image offre une première idée de la raison pour laquelle la société française, malgré des taux de pauvreté peu élevés, est aussi caractérisée par une faible mobilité sociale.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que le travail et la formation aient été au premier rang des priorités du programme électoral d’Emmanuel Macron. Une plus grande flexibilité des marchés de biens et services améliorerait également les performances du secteur privé, ce qui allégerait in fine une partie du fardeau sur les finances publiques. Passons en revue certaines réformes majeures mises en place au cours des deux premières années du présent quinquénat.
– Une rafale de réformes
A peine investi en 2017, le gouvernement adopte une réforme du marché du travail (Ordonnances 2017) visant à la fois à introduire davantage de flexibilité et à renforcer les droits des salariés. L’objectif est de relever le niveau global de l'emploi et de réduire la dualité du marché du travail. Les principaux aspects de la réforme comprennent (1) la décentralisation des négociations collectives pour permettre un rôle accru du dialogue social au niveau de l’entreprise, (2) l’allégement des clauses de rupture du contrat de travail, notamment en réduisant l’incertitude judiciaire liée aux licenciements et en fixant à la fois un seuil et un plafond pour les indemnités- chômage, (3) le renforcement de l'accès au travail à domicile, (4) l’augmentation des indemnités de licenciement et (5) la simplification du dialogue social via la fusion des différents conseils représentatifs en un seul organe.
À l'automne 2017, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé un « Grand Plan d'investissement » de 57 milliards d'euros (2,5% du PIB 2017) pour la durée du mandat du gouvernement actuel jusqu'au printemps 2022. Le plan définit quatre priorités : (1) la neutralité carbone, (2) l’accès à l'emploi, (3) la compétitivité et (4) la numérisation des services publics. Il est prévu que ce plan soit neutre sur le plan budgétaire.
Début 2018, la réforme de l'enseignement supérieur (Loi sur l’orientation et la réussite des étudiants) propose une rationalisation du processus de sélection pour les études supérieures (avec la nouvelle plateforme Parcoursup). Au mois de juin 2018, la réforme de l’alternance, de la formation continue et de l’allocation chômage (Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel) a été mise en place, visant à stimuler la formation continue en (1) simplifiant les programmes de formation professionnelle et (2) en allouant davantage de fonds aux personnes peu qualifiées et au chômage. Les apprentis bénéficieront (1) d'un meilleur salaire et (2) d'une certification plus forte de leur formation. Enfin, en matière d’allocation chômage, les indépendants et les salariés qui démissionnent bénéficieront, sous certaines conditions, de meilleures prestations. La loi pour une école de confiance de 2019 a rendu obligatoire la scolarisation à partir de trois ans (contre six ans auparavant) et réduit la taille des salles de classe dans les zones défavorisées.
En avril 2019, de nouvelles mesures visant à améliorer la compétitivité des PME (loi PACTE) ont été adoptées. Elles introduisent : (1) la simplification de la création de nouvelles entreprises et diverses procédures administratives, (2) la réduction du nombre de seuils sociaux à trois niveaux seulement i.e. 11, 50 et 250 employés (contre 10, 25, 100, 150 et 200 auparavant), (3) le renforcement mécanismes d’accompagnement à l’export, (4) le renforcement des mécanismes d’épargne salariale dans les PME et (5) diverses initiatives en faveur de l’innovation. En soutien aux diverses réformes structurelles, le gouvernement a repensé certains transferts sociaux et impôts, notamment (1) une augmentation en 2018 de la CSG de 1,7 pp, permettant une réduction des cotisations sociales des employés d'environ 3 pp, (2) le remplacement de l'impôt sur la fortune (ISF) par un impôt centré uniquement sur les actifs immobiliers (IFI) et (3) un impôt forfaitaire sur les revenus du capital de 30%, un dégrevement progressif de la taxe d’habitation et une revalorisation de la prime d'activité. Du côté des entreprises, les mesures comprennent (1) une réduction permanente des cotisations sociales employeur d’environ 4 pp, remplaçant le CICE, et (2) une réduction prévue du taux d’impôt sur les sociétés à 25% d’ici à 2022.
– Les réformes mettent du temps à porter leurs fruits
L’impact économique d’une réforme structurelle dépend logiquement de sa mise en œuvre effective et de sa complémentarité avec les autres réformes, mais aussi (i) de la réception qu’en fait le public, (ii) du contexte économique dans lequel elle est conduite et (iii) de son accueil par les marchés financiers. Les réformes conduites par Emmanuel Macron font l’objet d’une contestation assez vive. Toutefois, elles ont été menées dans un contexte économique porteur et l’accueil des marchés financiers leur a été favorable. Ces deux facteurs devraient limiter les effets négatifs sur l’activité à court-terme.
Une approche assez répendue pour évaluer l'impact économique des réformes structurelles consiste à comparer le pays concerné aux pays affichant les meilleurs résultats dans le domaine de la réforme considérée. Le graphique ci-dessous illustre certains domaines dans lesquels la France est moins bien positionnée que ses meilleurs pairs européens. En appliquant cette approche, Varga et Veld (2014)4 ont constaté que si la France réduisait son écart à la moyenne des trois États membres les plus performants de l’UE dans chaque domaine (sur un échantillon de domaines plus large que celui du graphique ci-dessous), le PIB serait supérieur de 7,7 % à horizon 10 ans (par rapport au scénario de référence). En suivant la même méthodologie, l’OCDE5 estime que les réformes mises en œuvre jusqu’à présent pourraient faire augmenter le PIB par habitant de 5,1% après 10 ans (toujours par rapport au scénario de référence).
Une approche alternative consiste à intégrer les hypothèses relatives à l’efficacité des réformes dans un modèle macro-économétrique plus traditionnel, tel que NiGEM6. Prenons l’exemple du taux de participation sur le marché du travail. Il s’établit en France à 71,5% en 2017 pour la population en âge de travailler (15 à 64 ans). L’INSEE estime qu'il augmentera à 75,7% d'ici 2040, essentiellement sous l’effet des réformes des retraites mises en œuvre par les gouvernements précédents. La moyenne des taux de participation des trois Etats membres où ils sont les plus élevés atteint 80,4%7 en 2017. En supposant que les réformes structurelles du marché du travail mises en œuvre à ce jour augmentent le taux de participation de 0,5 pp. par an sur cinq ans (pour avoisiner 80,5 %), il en résulterait une augmentation de 2,0 pp. du PIB à l'horizon de 10 ans.
Toutefois, l’accroissement mécanique du taux d'activité augmente le taux de chômage, toutes choses égales par ailleurs. Pour éviter cet écueil, nous trouvons qu’une augmentation de 7% de la productivité totale des facteurs est nécessaire pour accroître le revenu et pleinement intégrer les nouveaux arrivants sur le marché du travail. C’est pourquoi réformer en période d’expansion économique est préférable (les nouvelles capacités sont plus facilement absorbées). L’intéraction des réformes entre elles est également clé. Dans le cas présent, la montée en compétence, la réduction des formalités administratives et le soutien à l’investissement sont par exemple autant de possibilités de stimuler davantage l’emploi et la productivité.
Sur la base de ces observations, nous estimons que la mise en œuvre intégrale du programme d’Emmanuel Macron augmenterait la croissance potentielle de 0,5 pp. de 1,2 % à 1,7 % sur un horizon de long terme. Pour l’heure, cette mise en œuvre est incomplète, mais l’exécutif s’est engagé à poursuivre les réformes: sont actuellement discutées une nouvelle réforme des retraites, de l’administration, de la santé, des institutions et des transports.
Si la volonté d’Emmanuel Macron de faire avancer son programme reste intact, l’opposition plutôt vives aux réformes pourrait néanmoins contraindre l’exécutif à poursuivre une politique budgétaire bien plus expansionniste qu’anticipé initialement.
L’impulsion budgetaire devrait compenser un environnement extérieur moins porteur
– Le pouvoir d’achat au centre de la politique budgétaire
Durant la crise des « gilets jaunes » de l’hiver 2018-2019, le gouvernement a acté une réorientation de sa politique budgétaire : initialement axée sur la réduction de la dépense publique et le transfert de revenu des inactifs vers les actifs (en contrepartie notamment de l’accroissement de la flexibilité sur le marché du travail, voir supra), elle privilégie dorénavant le soutien généralisé au pouvoir d’achat.
Après un premier train de mesures socio-fiscales d’environ 10 Mds EUR (0,4 point de PIB) en décembre 2018, l’exécutif a ainsi annoncé à l’issue du « Grand Débat » un deuxième train estimé à environ 7 Mds EUR (0,3 point de PIB). Le détail des modalités de financement reste encore à définir, particulièrement pour le deuxième train de mesures.
– La politique budgétaire en soutien à la croissance en 2019-2020
L’impact du premier train de mesures, une fois financé, serait de 0,2 point de croissance supplémentaire en 2019, suffisamment de quoi compenser l’impact négatif de la contestation sociale. La politique budgétaire lissera ainsi le profil du ralentissement attendu de l’activité sur l’horizon de prévision : après 1,6 % en 2018, la croissance se tasserait à 1,4 % en 2019 et 1,2 % en 20208. L’impact qu’aura le deuxième train de mesures sur la croissance en 2020 reste encore à définir au prisme des mesures de financement, mais il pourrait s’élever à 0,1 point de PIB. L’une des hypothèses de travail qui sous-tend notre scénario est la persistance d’une certaine défiance sociale en 2019, à mesure que le gouvernement poursuivra l’agenda des réformes. Cette situation, conjuguée à l’incertitude liée aux évolutions mondiales, devrait conduire les consommateurs à rester prudents et à thésauriser le pouvoir d’achat gagné en fin d’année 2018. Mais en cas d’amélioration de la situation politique et sociale, tant en France qu’à l’étranger, la consommation des ménages pourrait être bien plus forte que ce que nous anticipons actuellement.
Les trains de mesures socio-fiscales de décembre 2018 et mai 2019
En décembre 2018, Emmanuel Macron a annoncé (1) l'annulation de la hausse de CSG sur les petites retraites (entre 1 200 et 2 000 €), (2) défiscalisation et désocialisation des heures supplémentaires, (3) défiscalisation et désocialisation (dans une certaine limite) d’une prime exceptionnelle versée au titre 2018 par les employeurs et (4) une augmentation de 100 € du revenu autour du salaire minimum mensuel sans imposer de charges supplémentaires aux employeurs (notamment via la prime d’activité), progressivement d'ici 2022.
Dans les annonces de mai qui ont suivi le « Grand débat », Emmanuel Macron a en outre annoncé une réduction d'impôt de 5 milliards d'euros ciblant les ménages à revenu modeste et une augmentation des petites pensions de retraite (1,4 milliard d'euros), fixant à 1 000 euros la pension minimale pour une carrière complète. S'adressant à la presse, le ministre des Finances, Bruno Le Maire, a indiqué qu'il envisageait de réduire les impôts d'environ 12 millions de ménages dans les tranches d'imposition de 14% (revenus de 9 807 € à 27 086 €) et 30% (revenus compris entre 27 086 et 72 617 euros).
Le débat entourant le financement de ces mesures reste ouvert. Le gouvernement a déjà proposé de supprimer certaines niches fiscales. La France dispose actuellement de 474 niches fiscales qui ont coûté environ 100 milliards d'euros en 2018, dont environ 40 milliards d'euros au bénéfice des entreprises. L’exécutif s’est engagé à ne pas remettre en question les 60 milliards d'euros d'allégements dont bénéficient les ménages. En ce qui concerne les entreprises, Bruno Le Maire a déclaré qu'il ne toucherait pas aux 6 milliards d'euros alloués au crédit d'impôt à la recherche (CIR), ni aux 20 milliards d'euros du CICE (qui est devenue une baisse de charge permanente cette année), ni au taux de TVA réduit sur la restauration. Cela laisse les 7,8 milliards d’euros d’allégements fiscaux sur la TICPE (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques) comme cible principale. À noter que le gouvernement avait déjà prévu certaines réductions de cet allégement fiscal, mais celles-ci ont été annulées en même temps que les taxes sur le carburant en réponse au mouvement des « Gilets Jaunes ».
Bien entendu, la réduction des dépenses publiques peut également faire partie de l'équation. Mais l’économie dans les dépenses n’étant jamais populaire (particulièrement dans le contexte actuel), la probabilité que ces mesures soient financées par davantage de déficit public et/ou de nouveaux impôts est élevée.
– Des risques majoritairement orientés à la baisse
Les risques baissiers sur notre scénario sont nombreux. En raison de son plus faible taux d’ouverture et d’un poids relativement faible de l’industrie dans le PIB (cf. supra), l’économie française a pour le moment bien résisté au ralentissement global observé depuis 2018. Néanmoins, l’intensification de la guerre commerciale sino- américaine et les difficultés persistentes de l’industrie allemande risquent à terme de peser sur la croissance. Au T1-19, la forte accumulation de stocks au Royaume- Uni (les agents se préparant à un Brexit désordonné), pourrait avoir artificiellement soutenu la production et les exportations françaises, expliquant par la même occasion la divergence entre les données d’enquête et les données dures dans l’industrie. L’impact d’un éventuel contre-coup sera donc à surveiller au cours des prochains trimestres.
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NOTES
- En Allemagne, les entreprises n’ont délocalisé que certaines parties de la chaîne de valeur (IDE dit « vertical ») et maintenu les fonctions « cœur » (assemblage, R&D, marketing…) pour exporter le bien final. Par conséquent, le poids de l’industrie dans l’économie est resté globalement stable depuis le début des années 2000.
- Quitte à ensuite réimporter une partie des biens produits. Par exemple, Buigues et Lacoste (2016) montrent que Renault devient importateur net de véhicules au cours de la décennie 2000.
- Le taux d’investissement des sociétés non-financières a retrouvé son niveau d’avant-crise et atteint un plus haut historique, à 24 % de la valeur ajoutée, soit 1,3 point au-dessus du plus haut de 2007. En Allemagne, en Italie et en Espagne les taux d’investissement restent inférieurs de respectivement 1 point, 2,3 points et 4,6 points à leur niveau de 2007.
- Varga, Janos and Veld, Jan in’t (2014), The potential growth impact of structural reforms in the EU, a benchmarking exercise, European Commission, Economic Papers 541, December 2014
- OECD (2019), France, OECD economic Surveys, April 2019
- Le modèle NiGEM a été développé par NIESR et est estimé dans un cadre « néo-keynésien » où les agents sont censés avoir des anticipations rationnelles mais où les rigidités nominales ralentissent le pro- cessus d'ajustement aux événements externes.
- Cette moyenne pourrait évidemment augmenter sur un horizon 10 ans.