Tout ça pour ça

par Laurence Chieze-Devivier, stratégiste chez Axa IM

L’annonce, mi juin, de la publication des tests de résistance des banques européennes aura été porteuse d’espoir, en matière de transparence et de solidité du système bancaire européen. La publication des résultats de ces tests, vendredi dernier, a certes apporté plus de transparence, grâce au niveau de détail sur les expositions souveraines. Mais en matière de résultats, sur les 91 banques soumises à l’exercice, il n’y a pas eu de véritable surprise : 7 banques seulement n’ont pas atteint le seuil de 6% du ratio Tier one1 (1 banque allemande, 1 grecque et 5 espagnoles) et les besoins de recapitalisation sont inférieurs à 4 mds EUR (2 mds pour l’Espagne, 1,2md pour l’Allemagne, 0,25 mds pour la Grèce).

Nous revenons ici sur les événements ayant requis la conduite de cet exercice, les hypothèses retenues par le régulateur européen et, enfin, les résultats.

Les banques au cœur de la tourmente

La crise financière qui a secoué le monde fin 2008 a requis des moyens considérables de la part des gouvernements des économies avancées afin de soutenir leurs systèmes financiers. Avec la reprise économique amorcée mi-2009 et la mise en place de politiques monétaires extrêmement accommodantes, les banques ont pu restaurer leurs profits et entamer une phase de convalescence relativement sereine. Mais avec les interrogations sur la soutenabilité des finances publiques grecques et européennes, les craintes se sont également portées sur les banques fortement détentrices d’emprunts d’Etat. La BCE s’est vue contrainte de prolonger ses mesures exceptionnelles de fourniture de liquidités au système bancaire et a décidé de procéder à l’achat de titres dette publique.

Ainsi, une partie du système bancaire européen n’a plus accès aux marchés de capitaux et se refinance auprès de la BCE, en particulier des banques grecques, irlandaises et espagnoles. Les montants qui leur ont été prêtés ont récemment atteint de nouveaux sommets, représentant notamment quelques 17% des actifs des banques grecques.

En Espagne, le refinancement des banques auprès de la BCE est seulement légèrement supérieur à la normale, à 2,7% du total de leur bilan. L’Espagne est le troisième demandeur de liquidités auprès de la BCE, à égalité avec l’Irlande, derrière la France (16%) et l’Allemagne (30%). La Grèce se situe en quatrième position avec 11% des liquidités fournies par la BCE.

Hypothèses du stress test

La crédibilité du stress test dépend de la sévérité ou non des hypothèses retenues (cadre macroéconomique et détérioration de la qualité des actifs) et des scénarii alternatifs développés. Rappelons que la publication, en mai 2009, des résultats des tests de résistance aux Etats-Unis avait aidé les valeurs financières, avant la publication des résultats.

En Europe, l’annonce des stress tests a également eu un impact bénéfique sur les valeurs bancaires, extrêmement malmenées depuis l’automne 2009. Dans le cas européen, sous la pression du marché, l’échantillon retenu a été élargi, passant d’une vingtaine de banques, annoncé en juin (comme en octobre 2009, lors de la publication d’un premier stress test européen), à pratiquement une centaine d’établissements financiers le 7 juillet, soit 65% des actifs du système bancaire européen. Les résultats des stress tests concernent 91 banques européennes, cotées ou non cotées, avec par ordre d’importance en nombres d’institutions l’Espagne (27), l’Allemagne (14), la Grèce (6), l’Italie(5), puis la France, le Portugal, le Royaume-Uni (4), soit environ 65% du système bancaire européen et un minimum requis de 50% de chaque système bancaire national. Les tests américains concernaient les 19 plus grandes banques, couvrant les deux tiers du bilan bancaire américain, comme en Europe.

Le scenario de base est celui de la Commission Européenne et de la BCE, qui prévoit une croissance du PIB de 1% cette année et 1,7% l’année prochaine. Le CEBS (Comité européen de supervision bancaire) a également développé un scénario de récession, avec un recul de l’activité de 0,2% en 2010 et de 0,6% en 2011, une rechute de l’activité qui correspond à une déviation cumulée du PIB de 3 points de pourcentage par rapport au scénario central. En comparaison des tests américains, le scénario de rechute européen est plus sévère. De plus, il s’accompagne d’un aplatissement de la courbe des taux, à travers une hausse du taux interbancaire.

Enfin, venant s’ajouter au scenario de récession, un test de résistance des banques au risque souverain a été introduit. Celui-ci intègre des décotes variables sur les dettes publiques détenues dans les portefeuilles des banques, correspondant à des risques de taux différents (Grèce décote de 23,1%, Portugal 14%, Espagne 12,3%, France 5,9%, Allemagne 4,7%). Cette décote a été appliquée au portefeuille de négociation, mais pas au portefeuille bancaire, détenu jusqu’à échéance. Ce parti pris est compréhensible dans la mesure où les régulateurs ont exclu l’hypothèse de défaut ou de restructuration. C’est une faiblesse de l’exercice, mais pas une surprise.

Des résultats complaisants

Au final, seulement 7 banques européennes ne passent pas le test de solvabilité et le besoin de recapitalisation est de 3,5 mds EUR. Rappelons qu’aux Etats-Unis, 10 banques américaines sur 19 avaient eu besoin de se recapitaliser, pour un montant de 75 mds USD. Pour partie, cette différence entre les deux régions reflète les recapitalisations ayant déjà eu lieu en Europe. Depuis le début de la crise, les banques américaines se sont recapitalisées à hauteur de 627 mds EUR (812 mds USD), contre 440 mds EUR pour les banques européennes. On peut douter qu’un surcroit de 3,5 mds EUR suffise. 

Dans le scénario de base des stress tests, les pertes en Europe s’élèvent à 329 mds EUR, pour des revenus de 538 mds EUR. Pour la seule zone euro, nous estimons que ces pertes s’élèvent à 267 mds EUR, contre des estimations faites par le FMI (avril 2010) et de la BCE (juin 2010) d’environ 200 mds EUR de pertes à venir sur les actifs privés (immobilier commercial et résidentiel, produits structurés).

Dans le scénario de récession, les pertes estimées sur deux ans (2010-11) du secteur bancaire européen s’élèvent à 473 mds EUR (pour des revenus de 509 mds). Les décotes appliquées sur les différentes dettes souveraines, sur la seule base des portefeuilles de négociations, génèrent des pertes additionnelles de 28 mds EUR. Si l’on applique sur un échantillon partiel ces mêmes décotes aux portefeuilles bancaires, les pertes additionnelles2 seraient de l’ordre de 122 mds EUR. En outre, dans l’hypothèse de restructuration de la dette publique grecque, les pertes sur les portefeuilles bancaires et de négociation seraient de 26 mds EUR (nous avons retenu une perte de 30% de la valeur de la dette grecque).

Compte tenu de ces pertes potentielles, les banques sont-elles suffisamment capitalisées? En termes de ratio de solvabilité, le régulateur européen a retenu un ratio Tier 1 de 6%, au-delà du minimum requis par Bâle I.

Néanmoins, la norme prudentielle (Bâle III, à l’automne prochain) pourrait évoluer vers un ratio Tier 1 de 8% et un core ratio de 6%. Si l’on applique cette règle des 8% à l’exercice européen, ce sont alors 4 banques allemandes et italiennes, 16 espagnoles, les 2 autrichiennes et irlandaises, 1 portugaise et 2 grecques qui ne satisfont plus aux critères de capital, soit au total plus d’une trentaine de banques supplémentaires qui devraient augmenter leur capital.

Si la publication des tests de résistance en Europe a tardé, le processus de recapitalisation a commencé en amont. A la fin du 2T10, le montant des recapitalisations de banques européennes cotées s’élève à 440 mds EUR, pour 436 mds EUR de pertes enregistrées. Les Etats européens ont annoncé leur soutien à leur système bancaire national à l’automne 2008 et ont participé à hauteur d’environ 169 mds EUR. Ainsi, les instruments de recapitalisation publique fonctionnent déjà, la NAMA en Irlande, le FROB en Espagne, la SOFFIN en Allemagne. En Espagne, où le test couvre 95% du système bancaire, les besoins de recapitalisation seront certainement plus élevés que ceux identifiés, du fait d’une hypothèse de baisse des prix immobiliers dans le scénario de récession trop faible (- 28%), pour un scénario de rechute. Le gouvernement a prolongé l’utilisation du FROB de six mois, avec seulement 10 mds EUR utilisés sur les 99 mds EUR du fond. En Allemagne, où le test a été moins large et moins transparent, le chemin de la recapitalisation sera plus lent, mais les fonds sont également disponibles.
 

Conclusions

Les hypothèses économiques retenues par l’exercice sont crédibles, même si elles ne sont pas extrêmes. C’est plus la façon dont ont été testées les dettes publiques qui est discutable. Une prise en compte du portefeuille bancaire induirait 100 mds EUR de pertes et la restructuration de la dette grecque 26 mds EUR, révélant une fragilité supplémentaire de certains systèmes bancaires, notamment pour les pays ayant des Tier 1 proches des 8% (l’Autriche, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie et l’Espagne).
La transparence et la couverture des tests sont somme toute les éléments les plus importants de l’exercice. Ceci permet de mieux évaluer la situation des banques de la zone et devrait contribuer au soutien des valeurs financières ressorties comme les plus solides. L’Espagne nous semble avoir fait les plus grands efforts de transparence. Il reste que pour ce pays, comme pour l’ensemble du système, en prenant des hypothèses plus conservatrices et raisonnables, les besoins de recapitalisations sont toujours là, et bien plus importants que ceux identifiés par les résultats officiels.

Il est impératif que ces recapitalisations se fassent, si possible rapidement. Le retour d’une croissance durable requiert le bon fonctionnement du système bancaire afin de retrouver le flux du crédit. A une demande de prêts faible, conséquence de la crise, il ne faudrait pas ajouter la contrainte de banques réticentes à prêter (« credit crunch »). Entre temps, on peut compter sur la BCE pour continuer à fournir la liquidité nécessaire à des banques encore soumises à la méfiance.
 

NOTES

  1. Le Tier 1 consiste en la partie jugée la plus solide des capitaux propres des institutions financières. Rapporté au total des actifs ajustés du risque, c’est un indicateur très utilisé par les régulateurs afin de mesurer le degré de capitalisation des institutions financières ; le minimum requis selon les accords de Bâle I est de 4%. Le « core » Tier 1 exclue la dette dite « hybride ». 
  2. Quelques banques n’ont pas publié le détail de leur exposition souveraine : 5 allemandes (Deutsche Bank, Hypo, LB Berlin, WGZ), 1 grecque (ATE). Deutsche Bank a finalement annoncé cette semaine détenir 10mdsEUR de dette souveraine européenne, dont 8mds sur l’Italie, 1md sur la Grèce et 1md sur l’Espagne.