Un été « en pente douTe » ?!

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Il n’y a pas eu de grand stress sur les marchés cet été et le bilan boursier de l’année reste logiquement positif en illustration d’une amélioration économique mondiale et de bons résultats des entreprises. Mais depuis mai/ juin, les marchés actions rebaissent (légèrement), de même que les taux d’intérêt obligataires. Montée des tensions géopolitiques, « démonétisation » de Donald Trump et de son programme de relance, baisse du dollar, moindre lisibilité des politiques monétaires… La visibilité d’ensemble a baissé. Comment analyser cette situation et quelle stratégie adopter ?

Les mouvements de marché récents montrent une perte de dynamique globale du scénario de reflation qui avait été largement anticipé ces derniers mois.

En effet, depuis les plus hauts niveaux atteints en début d’été, les actions américaines ont perdu près de 3 %, les actions européennes un peu moins de 5 % (dividendes inclus). Parallèlement, les taux longs gouvernementaux à 10 ans sont passés d’un plus haut de 2,40 % à 2,15 % aux États-Unis et de 0,60 % à 0,33 % en Allemagne. Ces mouvements ne sont certes pas d’une énorme ampleur, mais « l’ambiance a changé ».

Il y a eu également deux événements notables : le plus important est la baisse du dollar, surtout vis-à-vis de l’euro. En quelques mois, la parité euro/dollar est passée de 1,04 à 1,20. Cela met fin à une période de calme sur les parités de changes entre les grandes monnaies internationales qui avait été décidée au sommet du G20 à Shanghai en février 2016. Le second événement notable est la hausse des actions chinoises locales : elles ont progressé de près de 15 % depuis leur plus bas de mai.

L’environnement a donc changé de façon imperceptible, mais bien réelle. L’évolution prochaine des marchés dépendra de 5 questions clés :

1 – Le dollar

Nous avons à plusieurs reprises expliqué que la stabilité des parités de changes entre les grandes monnaies était un facteur positif pour la bonne orientation générale des marchés. De ce point de vue, l’évolution récente du dollar est préoccupante, même si, à notre avis, il vaut mieux qu’il baisse plutôt qu’il soit trop fort. Un dollar fort s’accompagne souvent d’une baisse des matières premières, déstabilise les marchés émergents et pèse sur Wall Street, le marché directeur au plan mondial. Un dollar faible est en revanche surtout pénalisant pour les entreprises européennes exportatrices, mais enlève de la pression sur les autres marchés.

Quelles sont les raisons de cette baisse récente du dollar ? Il y en a plusieurs, mais l’inversion de la dynamique politique entre la zone Euro et les États-Unis est un facteur primordial selon nous. D’un côté, les craintes de voir les mouvements populistes gagner en Europe se sont évanouies avec l’élection d’Emmanuel Macron. Au contraire, il semble qu’il y ait désormais une prise de conscience et une volonté de faire progresser la construction européenne, qui est partagée entre la France et l’Allemagne, où la stabilité et la continuité politique semblent assurées car Angela Merkel a de grandes chances de gagner les élections de septembre. Alors que, parallèlement aux États-Unis, la présidence chaotique de Donald Trump se poursuit avec des risques de destitution, une absence de consensus avec le Congrès sur les questions budgétaires et, très bientôt, la question du plafond de la dette qui devra être négocié avant octobre. De même il y a une dynamique économique plus positive actuellement en zone Euro, alors qu’aux États-Unis les espoirs d’une accélération de la croissance stimulée par le programme de reflation de Donald Trump s’estompent. Par ailleurs, après un long cycle haussier de près de 5 ans, le dollar était devenu surévalué par rapport à l’euro selon les estimations basées sur les parités des pouvoirs d’achat. Elles donnent dans l’ensemble un niveau « objectif » autour de 1,25 vis-à-vis l’euro. Enfin, les antici- pations de hausse des taux de la Fed se réduisent alors que l’éco- nomie n’accélère pas vraiment. La probabilité implicite d’une hausse des taux en décembre est tombée à 20 %. À court terme, la hausse récente paraît un peu rapide et un retour vers la zone de 1,15 semble possible avant d’atteindre ensuite un objectif autour de 1,23/1,26. C’est au-delà de cette zone que la tendance haussière long terme du dollar serait remise en cause.

2 – Les politiques monétaires

Les derniers discours des banquiers centraux à Jackson Hole n’ont pas donné de feuille de route aux marchés, et pour cause : la soudaine volatilité du dollar brouille les cartes. Maintenant que la croissance en zone Euro est bien établie et synchronisée, Mario Draghi avait toutes les raisons pour commencer à préparer les investisseurs à un changement d’orientation de sa politique, et particulièrement en ce qui concerne le plan de marche sur la réduction du programme d’achat de dettes. Il n’a rien annoncé de concret, de même que Janet Yellen. Pourtant, la baisse du dollar crée des conditions monétaires plus accommodantes pour les États-Unis et une indication sur la poursuite de la hausse des taux aurait été logique a priori. Dans le courant du mois de septembre, les Banques Centrales tiendront un discours sur leurs bilans. Les marchés attendent un éclairage sur les montants des programmes d’achat et une communication concertée entre la BCE et la Fed serait bienvenue et contribuerait à calmer le marché des changes.

3 – La croissance et le scénario de reflation

La croissance mondiale reste assez solide dans l’ensemble, même si cela ne constitue plus une surprise pour les investisseurs et que ce scénario a déjà été intégré. L’attention se porte surtout sur les États-Unis où le marché est passé de « Trump on » à « Trump off ». Le taux de croissance de 3 % visé par l’ancien candidat à la Maison Blanche ne sera pas atteint car il n’a réussi à faire passer aucune réforme jusqu’à présent, ni sur le plan de dépenses d’infrastructures, ni sur la réforme fiscale. Un plan sera annoncé sur ce sujet, qui pourrait être bien accueilli si ses hypothèses de financement s’avèrent crédibles. Il faudra alors s’accorder sur la renégociation du plafond de la dette d’ici octobre, période qui devrait engendrer de la volatilité sur les marchés, même si historiquement les corrections boursières s’avèrent mineures : depuis 1976, il y a eu 18 « shutdown », avec une baisse de 0,6 % en moyenne de l’indice S&P 500. La croissance américaine a donc été légèrement révisée à la baisse par le FMI qui anticipe un taux de 2,1 % cette année et l’année prochaine. Pour le reste, la croissance reste solide en zone Euro avec 1,9 % attendu cette année et 1,7 % l’année prochaine, avec une bonne synchronisation entre les pays. Pour la France, les estimations sont de respectivement 1,5 % et 1,7 %. Parmi les autres pays, la croissance ralentit légèrement en Chine après un premier semestre à près de 7 %. Les objectifs du gouvernement seront atteints et le FMI anticipe 6,7 % cette année et 6,4 % en 2018. Les autres grands pays émergents sont aussi en rétablissement, particulièrement le Brésil et la Russie qui sortent de récession avec respectivement 0,3 % et 1,4 % cette année.

Au final, la croissance mondiale sera de 3,5 % cette année et 3,6 % l’année prochaine. Mais des facteurs de risque commencent à se manifester pour la zone Euro si le dollar baisse trop ainsi que pour les États-Unis comme on l’a vu. Cette amélioration économique globale ne crée pas d’inflation jusqu’à présent : les niveaux « core » ont même plutôt rebaissé, ce qui éloigne donc le scénario de reflation qui avait été anticipé.

4 – Le contexte géopolitique

Les risques ont clairement augmenté cet été avec l’incertitude liée aux multiples tirs de missiles de la Corée du Nord. Personne ne comprend vraiment les objectifs du leader nord-coréen mais il s’agit potentiellement d’une situation dangereuse, surtout que, parallèlement, les marchés ont du mal à lire la ligne de conduite américaine de Donald Trump qui est considéré comme étant imprévisible. Pour le reste, les tensions entre l’Inde et la Chine se sont calmées et la situation compliquée au Moyen-Orient demeure. Il est difficile de quantifier ce paramètre géopolitique en matière de stratégie d’investissement, mais l’ambiance nouvelle n’incite pas à la prise de risque.

5 – La Chine

L’actualité de la rentrée sera également centrée sur la Chine. Dans le courant du mois d’octobre (on ne connaît pas la date exacte), la composition du bureau central du parti communiste sera modifiée et le résultat devrait renforcer les pouvoirs du Président Xi pour les 5 prochaines années. Le but est de poursuivre l’adaptation de la Chine vers une économie davantage tournée vers le marché domestique et la consommation. Il aura également à gérer le dégonflement de ce qu’il faut bien appeler une bulle immobilière. Les prix ont doublé en 1 an dans les grandes villes et atteignent bien souvent des prix supérieurs à 15 000 euros le m2. Il faudra aussi gérer le stock de dettes (privées et publiques) qui a explosé ces dernières années pour maintenir la croissance, et qui atteint aujourd’hui plus de 250 % du PIB. Le pilotage de la Chine est fonda- mental car il s’agit d’une économie qui a pratiquement le poids des États-Unis.

Taux d’intérêt : Le scénario de hausse des taux obligataires est challengé

Le scénario de remontée des taux que nous avions anticipé en début d’année, notamment pour les taux européens, se déroule à un rythme beaucoup moins rapide et clair que prévu. Le manque de clarté dans les politiques monétaires l’explique largement, de même que la recherche de rendement des investisseurs qui ne savent pas comment investir les tombées obligataires vu que la BCE assèche le marché. Il est clair que si le dollar continue à baisser contre l’euro, il y aura des pressions plus importantes à la baisse des taux. Ceci-étant, nous continuons à penser que les marchés obligataires sont chers et ne sont pas attractifs.
Tôt ou tard, le programme d’achat de la BCE sera réduit au vu de l’expansion bien tangible de la zone et une politique aussi agressive apparaît de plus en plus difficile à justifier. Dans ce contexte, nous conservons notre cible sur le Bund autour de la zone de 0,75 %. Nous réviserons notre appréciation si le dollar dépasse clairement la zone de 1,23/1,26. Pour ce qui concerne le T-Notes US 10 ans, nous avons légèrement réduit notre objectif compte tenu de la moindre probabilité de voir Donald Trump appliquer son programme et nous anticipons un niveau de 2,5 % pour la fin de l’année contre un objectif précédent de 2,75 %.

Les obligations crédit restent chères et il y a peu de potentiel de réduction supplémentaire des spreads(1). La courbe des spreads s’est aplatie et ne protège pas du risque de taux. Elles seront ainsi vulnérables à un éventuel « tapering ». Le segment « High Yield » ne nous paraît également pas attractif : le rendement de l’ensemble du gisement européen hors financières est de 2,3 % et 49 % du marché affiche un rendement inférieur à 2 % contre 36 % en avril dernier et 11 % au début de l’année 2016. À noter également que le rendement des obligations « High Yield » est désormais inférieur à celui des actions. Par ailleurs, les flux commencent à se tarir. Il y a eu une décollecte de plus de 5 Mds€ cet été avec un marché primaire quasi inexistant. Attention en cas d’accélération de ces flux sortants car ce marché n’est pas toujours très liquide.

Nous continuons à penser que les obligations indexées couvertes du risque de taux conservent de l’attrait à moyen terme et complètent un portefeuille obligataire. Les « Breakevens » d’inflation à 10 ans se stabilisent autour de 1,10 % en Allemagne et 1,75 % aux États-Unis. Nous aimons également les obligations émergentes, même si elles ont bien progressé avec des performances de plus de 12 % pour la dette en monnaies locales et de 8 % pour la dette en devises fortes (performances en dollars). Les devises émergentes ont dans l’ensemble continué leur progression contre la monnaie américaine et une pause technique pourrait être observée. Il pourrait y avoir de ce fait des points d’entrée intéressants lors des prochaines semaines, surtout que les rendements restent attractifs en relatif même s’ils ont baissé : près de 6 % pour l’indice de dettes locales et 5 % pour celui de dettes fortes. Nous aimons aussi les obligations convertibles, bien que la volatilité implicite soit remontée de la zone de 27 % à 30 %. C’est leur convexité qui nous semble intéressante aux niveaux actuels.

Actions : Les bénéfices des entreprises sont solides et les perspectives convenables

Le point le plus notable de l’année est que, pour la première fois depuis plusieurs années, les prévisions de résultats des entreprises réalisées en début d’année ont de fortes chances d’être atteintes, aux États-Unis comme en Europe. Les dernières publications et « guidances » des chefs d’entreprises sont rassurantes de ce point de vue. En zone Euro, les bénéfices vont progresser de près de 15 % en masse en 2017 et sont attendus à 8 % en 2018. Par ailleurs, si la dynamique de révisions à la hausse s’estompe, il n’y a pas de révision à la baisse. À suivre si le dollar continue à s’affaiblir. Dans ces conditions, il conviendra de privilégier les secteurs domestiques (utilities, banques, immobilier…) au détriment des secteurs plus exposés internationalement (technologie, chimie, pharmacie, luxe…).

Aux États-Unis, la progression des bénéfices agrégés de l’indice S&P 500 sera de 11 % cette année et est attendue à 10 % l’année prochaine. Contrairement à l’Europe, une baisse du dollar favoriserait les entreprises internationales et contribuerait à des révisions à la hausse. Il y a actuellement beaucoup d’interrogations sur les actions américaines et les articles de comparaison entre le marché d’aujourd’hui et celui de la bulle internet de 2000 sont nombreux. Elles sont légitimes à plusieurs égards car il y a certaines similitudes : comme en 2000, le cycle économique et boursier est mature et la progression de l’indice S&P 500 a suivi le même cheminement avec une hausse de 270 % en près de 8 ans et demi. Les valorisations sont élevées avec un PER(2) de plus de 17 et un PER ajusté du cycle de près de 27, soit le 3e plus haut niveau de toute l’histoire.

Par ailleurs, la cote est tirée par un petit nombre de valeurs, notamment celles liées au secteur de la technologie, dont les célèbres GAFAM(3).Le pourcentage de valeurs qui se situent au-dessus de leurs moyennes mobiles 200 jours est passé en dessous de 50 %. Cette situation s’est produite 24 fois depuis 1996 et, à 23 reprises, l’indice S&P 500 a corrigé lui-même juste en dessous de sa propre moyenne mobile 200 jours. Cela donnerait aujourd’hui un niveau de 2 300 points, soit un repli supplémentaire de près de 6 % par rapport au niveau actuel. Mais la grande différence avec la bulle de 2000 c’est que les entre- prises « stars » du secteur technologique font des profits : les bénéfices cumulés de ces 5 valeurs GAFAM étaient de 90 Mds$ en 2016 et pourraient dépasser 100 Mds$ cette année et le PER de ce secteur est de près de 20, ce qui est très loin des niveaux de 70 atteints en 2000. Ceci étant dit, le temps de la « value » est-il venu ? La surperformance du style croissance sur 10 ans est égale à celui de 2000. Dans un contexte de remontée des taux d’intérêt, c’est possible. Nous préférons toutefois les actions européennes aux valorisations plus raison- nables et surtout, aux dividendes attractifs de plus de 3 % de rendement.

Parmi les autres places internationales, nous avions écrit dans notre note de juillet que les actions chinoises figuraient parmi les plus détestées, que ce soit de la part des investisseurs domestiques ou internationaux. Après leur beau parcours (20 % cette année), il est peut-être temps de prendre une partie de ses bénéfices avant l’échéance d’octobre.

Notre scénario central

Les marchés sont dans une période délicate troublée par les risques géopolitiques et par le brusque décrochage du dollar. Par ailleurs, le scénario d’accélération de la croissance américaine a perdu du crédit. Reste que les entreprises font des bénéfices, et c’est le point fondamental, dans une économie mondiale en croissance assez bien établie. Nous avions conseillé en mai davantage de prudence après les fortes progressions de début d’année. Nous maintenons ce biais et allons suivre les 5 questions clés que nous avons identifiées pour cette fin d’année, en gardant à l’es- prit que le pire n’est jamais certain et qu’une plus grande volatilité pourrait offrir des opportunités sur les classes d’actifs que nous préférons, particulièrement les obligations convertibles, émergentes et les actions européennes.

NOTES

  1. Spreads de crédit représentant le différentiel de rendement d’une obligation d’entreprise privée avec celui d’une obligation souveraine.
  2. PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : capitalisation boursière divisée par le résultat net.
  3. Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft