par Frédéric Buzaré, Responsable de la Gestion Actions de Dexia AM
Une vague d’inquiétudes a déferlé sur les marchés des actions et certaines données montrent que le coût de couverture a atteint un niveau historique. L’une des principales craintes est de connaître l’ampleur de la dynamique macroéconomique. L’indice PMI composite de la zone euro a reculé en mai, tout en restant supérieur à l’indice de mars et conforme à une croissance du PIB réel de 3 %, alors que le consensus table actuellement sur 1,5 % en 2011. L’un des principaux débats est de savoir si les fluctuations de marché sont un indicateur clé. Si la nature intrinsèque des marchés libres est de fournir des informations qui traduisent une réalité, ils peuvent également réagir excessivement.
L’un des principaux problèmes auquel fait face un investisseur qui cherche à établir des prévisions est d’évaluer la relation entre les marchés et l’économie réelle. Une question évidente se pose aujourd’hui : le dégagement de marché aura-t-il une influence sur l’économie réelle (par le biais du sentiment et des conditions financières), ou l’économie influera-t-elle sur les marchés en rassurant les investisseurs sur la qualité des fondamentaux ?
Le désendettement et la re-réglementation du système financier fut l’une des conséquences de la crise du crédit, débuté en mars 2008 avant d’atteindre son sommet lors de l’effondrement de Bear Stearns. Après plusieurs mois de débat et de lobbying politique, le Sénat a approuvé une réglementation plus stricte aux États-Unis. En dépit des nombreuses incertitudes qui entourent cette réglementation financière, celle-ci fait passer les valeurs financières du statut de valeurs de croissance aux valeurs de services aux collectivités. L’abandon d’un soutien systématique fait contrepoids à la réduction du risque, consécutive à l’amélioration des fondamentaux et à la réforme réglementaire. Le résultat est plutôt positif sur le plan de la pérennisation de la croissance, même si elle n’est pas à attendre à court terme. Par ailleurs on ne semble pas s’attaquer aux fondamentaux de l’économie de marché. Toute intervention publique pèse sur le rendement obtenu par l’actionnaire et conduit à une contraction des multiples de valorisation.
Même si nous faisons face à des évènements plus graves, la situation actuelle rappelle une série d’évènements déjà connus. On ne peut s’empêcher de penser que la situation actuelle est assimilable à celle de 2008/2009, dans ce sens que les marchés précipiteraient le monde vers une récession très grave ou même pire. Nous constatons des similitudes avec le mois de juin 2008, au cours duquel la crise de la dette souveraine avait entraîné un effondrement de tout le système bancaire européen, et dans la foulée une chute vertigineuse de la confiance et de l’activité économique similaire à la période marquée par la faillite de Lehman Brothers. En 2008, le coût des emprunts libellés en dollar a commencé à monter en flèche en raison d’un manque de confiance des fonds monétaires ou des banques américaines. Or même si le Libor a progressé de jour en jour, il est loin du sommet atteint en octobre 2008 (4,8 %).
Si une intervention a été nécessaire en 2008/2009 pour soutenir les banques, une intervention est aujourd’hui essentielle pour soutenir les crédits souverains. Comme lors de cette crise, le récent plafond atteint par les coûts d’emprunt interbancaire pourrait signifier que la crise de la dette de la zone euro est une crise de solvabilité, et non une crise de liquidité comme les législateurs voudraient faire croire aux marchés. Les banques centrales ne peuvent pas contrôler le risque de crédit. Elles peuvent temporairement réduire le risque de défaut par l’offre de liquidité.
Ce n’est pas la première fois que les investisseurs remettent en question la pérennité de la reprise économique. La crise du crédit souverain, même effrayante, pourrait s’avérer similaire à la crise financière asiatique de 1997/1998 ou celle du pic atteint par le pétrole à l’été 2004. À cette époque, le pétrole avait franchi la barre des 50 dollars et était supposé mettre en péril la reprise économique et effrayer les marchés des actions. L’expansion économique actuelle marque le pas, après le rebond significatif de ces 12 à 16 derniers mois. Les investisseurs doivent prendre note qu’un ralentissement de milieu de cycle n’est pas inhabituel et qu’il s’agit plutôt du processus naturel d’une reprise d’un cycle économique, d’une transition d’une phase d’accélération à une phase de décélération avant que l’économie entre dans une phase de régularité. Cette phase de transition incite généralement les investisseurs à réajuster leurs hypothèses sous-jacentes concernant plusieurs classes d’actifs.
Les marchés restent dubitatifs quant à la volonté politique de maîtriser le déficit budgétaire excessif, et beaucoup de choses ont été dites sur le fait que les gouvernements investissent simplement pour retarder les échéances. Si ce point de vue est peut-être juste, il s’agit peut-être de la meilleure solution. Les marchés financiers ont tendance à être schizophrènes. Ils exigent à la fois croissance et réduction de la dette, et craignent une récession en double creux déclenchée par le resserrement monétaire imminent. La vraie question est de savoir si les gouvernements convaincront les marchés, s’ils le peuvent, de leur accorder le temps nécessaire pour résoudre le problème de manière plus progressive et s’ils peuvent s’engager à envisager des projets qui leur permettent de gérer le problème une fois la reprise confirmée.
Le jeu consiste à mettre en place les conditions nécessaires à une croissance durable, sachant que toutes les dépenses publiques n’ont pas forcément d’impact positif sur la croissance économique. Une fois encore, la conclusion de l’étude de Kenneth Rogoff est saisissante. Un niveau excessif de dette (supérieur à 90 %) met en danger une reprise économique. La détermination de l’Union européenne sera à nouveau testée dans les prochaines semaines, ce qui pourrait occasionner un nouveau regain de volatilité sur les marchés. La Banque centrale européenne voire la Réserve fédérale semblent avoir abandonné toute idée préconçue sur les hausses de taux à la suite de cette crise. Dans ce contexte, nous conservons notre opinion positive à moyen terme. Le durcissement des conditions financières est limité, dans une perspective historique, et n’a rien de commun avec l’année 2008, dans la mesure où les banques centrales ont réagi immédiatement.
Dans le même temps, l’économie mondiale a gagné en vigueur. S’il est trop tôt pour évaluer les conséquences du nouveau cycle de cette crise financière, les premiers indicateurs du mois de mai sont favorables en Europe et aux États-Unis.
Dans la mesure où la clé des marchés réside dans la confiance, il est assez difficile de se prononcer de manière tranchée à ce stade. Nous doutons qu’un dégagement de 10 % des actions américaines suffira à inverser la forte tendance haussière de la confiance aux États-Unis. De solides indicateurs de croissance joueront un rôle prépondérant dans la stabilisation des marchés. Après la crise asiatique de 1997 et la débâcle du fonds LTCM en 1998, les statistiques américaines sont restées favorables. Dans chaque cas, la Réserve fédérale a dû prendre des mesures plutôt mesurées afin de stabiliser les marchés. À l’inverse, quand une crise des marchés des capitaux coïncide avec une période de fragilité économique, les deux tendances s’auto-renforcent. Alors que certains investisseurs parlent beaucoup d’une récession en double creux, il est extrêmement rare qu’une économie retombe en récession une fois la reprise établie. En effet, une reprise déclenche une spirale vertueuse entre revenus, dépenses, confiance et marchés de capitaux. Actuellement, nous assistons à une croissance des emplois, à une croissance des revenus et une relance de la confiance.
Nous garderons un œil sur les statistiques et l’autre sur les signes de perturbations de marché. Il faut garder en tête que les emprunts bancaires représentent 70 % du financement total en Europe et que les banques européennes sont fortement exposées aux crédits souverains en difficulté. Plus que jamais, il faut rester pragmatique. Nous sommes habitués aux évènements extrêmes depuis ces trois dernières années, et nous trouvons que les investisseurs réfléchissent trop souvent de manière binaire.
La vague de craintes grandit et les valorisations des actions deviennent remarquables. Le rendement des dividendes a dépassé le rendement des obligations d’État et les PER prévisionnels internationaux sont presque à deux chiffres. Plus important peut-être, les rendements sur dividendes européens ont à nouveau dépassé les rendements des obligations d’État. Nous avions assisté à ce type de valorisations extrêmes en 2003 et 2008.
Vers une déflation par la dette
Le rendement obligataire à long terme de la dette publique allemande se rapproche de son plancher historique, signe d’un mouvement de fuite vers la sécurité et la qualité, mais également le signe d’une économie qui se dirige vers la déflation. Il semble que les investisseurs friands d’obligations sont plus que jamais sur le qui-vive. Or, leurs intérêts ne sont pas similaires aux investisseurs en actions. La baisse du rendement obligataire n’entraîne pas d’expansion des multiples.
Nous avons été habitués à vivre dans un monde caractérisé par des événements extrêmes au cours de ces deux dernières années. Cette fois-ci, les valorisations des marchés des actions sont impressionnantes. Les valorisations relatives ont renoué avec leurs niveaux historiques, incitant les investisseurs à penser en termes binaires. Les valorisations actuelles des actions supposent une croissance bénéficiaire nulle en 2011.
Il semble que les investisseurs envisagent deux résultats contradictoires: une nouvelle récession des bénéfices et un nouveau risque systémique. Nous pensons que ce dernier diminue à la suite des récentes actions politiques et du nouveau cadre réglementaire prévu, et que le risque le plus élevé soit la difficulté à évaluer la croissance bénéficiaire en 2011.
Tous les regards sont portés sur 2011.
Les principaux indicateurs européens continuent d’être encourageants et la croissance allemande sous-jacente est généralement supérieure aux attentes. Les nouvelles commandes progressent plus rapidement que la production industrielle actuelle, ce qui laisse suggérer de nouvelles statistiques encourageantes au cours des prochaines semaines.
Tous les regards sont aujourd’hui portés sur 2011. Le consensus actuel table sur une croissance de 1,5 % du PIB au sein de la zone euro. Le dernier indice PMI de la zone euro a confirmé que la dynamique de production s’était légèrement essoufflée en mai. L’indice de production composite a chuté de 1 point à 56,4, soit un niveau toujours conforme à un rythme de croissance du PIB de près de 3 % annualisé au 2è trimestre 2010. Les incertitudes restent nombreuses pour 2011 et les doutes persisteront.
Une reprise tirée par l’investissement
Même si le dernier cycle a porté sur la consommation et les excès du secteur immobilier, les investissements des entreprises ont été lourdement touchés par la crise. Les investissements réels des entreprises de l’OCDE ont chuté de leur point haut de 18 % à un plus bas, éclipsant la baisse de 7 % enregistré lors de la crise du début de l’année 2000. Il s’agit de la principale raison qui laisse augurer d’une reprise : les dépenses en capital ont atteint un niveau peu durable, notamment aux États-Unis (voir graphique ci-dessous).
Les investissements bruts ont à peine couvert les dépréciations. Ce faible niveau de dépenses en investissement ne suggère pas qu’une reprise se dessine, mais les entreprises sont en bonne position pour investir. Seule une crise de confiance peut gâcher la fête, raison pour laquelle il faut savoir comment la crise financière actuelle pourrait stopper la spirale vertueuse.