par Frédéric Rollin, Conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM
Bernie Sanders mène la course à l’investiture démocrate et le Super Tuesday du 3 mars pourrait sceller sa victoire. Les Républicains s’en frottent les mains. Bernie Sanders a l’imprudence de se dire socialiste et beaucoup estiment qu’il s’agit là d’un handicap majeur pour l’élection de novembre. Un président des Etats-Unis socialiste ?
A 78 ans, le vétéran de la gauche américaine conduit une offensive remarquable. Ses équipes de campagne, aguerries par la bataille de 2016, lèvent des fonds par millions. Leur discours anti-establishment et pro-climat séduit la jeunesse. Epaulés par des personnalités de gauche comme Alexandria Ocasio-Cortez, les militants ont sillonné les Etats-Unis pendant que Bernie Sanders et ses concurrents sénateurs étaient retenus à Washington par le procès en destitution de Donald Trump. Les meetings du candidat, qui s’accompagnent de concerts de rock comme celui de Vampire Weekend ou The Strokes ou accueillent des célébrités de la gauche alternative telles que Michael Moore, attirent des foules enthousiastes.
Bernie Sanders brûle les planches et les caciques du parti démocrate Feel the Bern1. Le dernier sondage d’ABC donne 32% des intentions de vote au candidat démocrate mais non affilié au parti, contre 16% à l’ancien vice-président Joe Biden2.
Qui obtiendra l'investiture démocrate ? Les probabilités selon Predictlt
Source: Bloomberg, du 10.04.2019 au 21.02.2020
La belle énergie des militants est stimulée par un programme résolument ancré à gauche, qui vise à transférer des sommes considérables des grandes entreprises et des ménages fortunés vers l’ensemble des Américains, notamment par le biais d’une couverture santé universelle. Bernie Sanders propose par ailleurs un plan ambitieux d’investissements dans les infrastructures et un pacte écologique d’urgence. Ses concurrents font des promesses similaires, mais généralement moins appuyées.
Augmentation de l'impôt sur les sociétés selon les programmes des candidats
Source: Tax Foundation, Analysis of Democratic Presidential Candidates Corporate Income TaxProposals, 19 février 2020
Ce positionnement donne à Bernie Sanders un net avantage. Alors que les principaux piliers du parti démocrate sont demeurés centristes, à l’image d’Hillary Clinton et de Joe Biden, l’électorat a viré à gauche entre 2004 et 2014, mondialisation oblige. Un étude Pew Research montre qu’en 1994, 30% des personnes votant démocrate exprimaient des opinions conservatrices sur des questions telles que la sécurité sociale, les efforts militaires ou encore l’importance de l’Etat. Ces Démocrates « centristes », susceptibles de voter républicain selon la personnalité du candidat et justifiant une compagne modérée, ne sont plus que 3% aujourd’hui. De la même façon, le terme socialiste n’est plus un épouvantail pour les électeurs : 43% des électeurs américains ressentent le terme positivement ou très positivement et moins d’un tiers le voient de façon très négative.
Les Démocrates et Républicains "Centristes" disparaissent
Source: Pew Research Center, The Partisan Divide on Political Values Grows Even Wider, 5 octobre 2017, Pictet Asset Management. Est considéré comme un démocrate/républicain centriste un citoyen votant démocrate/républicain mais exprimant des convictions conservatrices/libérales.
Avis des démocrates et des républicains sur le socialisme
Source: Pew Research Center, Stark partisan divisions in Americans’ views of ‘socialism’,’capitalism’, 25 juin 2019
Grâce à une campagne efficace et à un programme visant juste, le doyen écrase ses concurrents. Mais peut-il battre Trump avec une politique si marquée ?
Nous l’avons vu, la lutte ne se joue plus au centre : il y a tout simplement beaucoup moins de centristes qu’auparavant. Hillary Clinton l’a ignoré et en a payé le prix fort. Donald Trump l’a compris et il est président.
Bernie Sanders se bat sur un autre terrain. Il électrise ses partisans avec des promesses étincelantes et une éloquence intransigeante, ils iront voter en masse. Il espère aussi que la majeure partie des électeurs démocrates, fidèles à leur camp et horrifiés par Donald Trump, voteront pour lui en novembre même s’ils ne sont pas séduits par sa version du socialisme.
Et surtout, il se place depuis toujours en opposition à l’establishment, non seulement dans ses discours mais aussi dans ses actes. Il a par exemple voté contre le NAFTA et contre la deuxième guerre du Golfe. Il gagne ainsi des électeurs susceptibles de voter démocrate ou républicain selon la personnalité du candidat. Non pas ceux du centre, mais ceux qui veulent inverser le rapport de forces, éliminer les élites, «drain the swamp». Sur ce point, il peut prétendre dépasser Donald Trump.
Enfin, selon Ipsos, Bernie Sanders dispose d’une très forte avance sur le président américain auprès des électeurs sans parti: 46%, contre 28%. C’est un atout supplémentaire.
Les chances du socialiste Bernie Sanders semblent donc sous-évaluées. Pour les mêmes raisons, au fond, que celles qui avaient poussé les analystes à se moquer de la candidature de Donald Trump en 2016.
Bis repetita?
NOTES
- Slogan de la campagne de Bernie Sanders pour les primaires en 2016. Jeux de mots entre « Feel the Bern(ie) » et « Feel the burn ».
- Bloomberg, le 19.02.2020 « Sanders Scores 32% of Democratic Voters in New Post-ABC Poll ».
- Reuters/Ipsos Poll : 2020 Democratic Primary Tracker, février 2020