Une réforme attendue du marché du travail espagnol

par Jésus Castillo, économiste chez Natixis

Le mode de fonctionnement du marché du travail espagnol a été maintes fois critiqué par les institutions internationales (OCDE, FMI). En Espagne, également, depuis le début de la crise, le Gouverneur de la Banque d’Espagne, Miguel Angel Fernandez Ordoñez, a appelé avec insistance à sa réforme profonde. Malgré les réticences du gouvernement, celui-ci a dû se résoudre à engager une réforme. En effet, avec le taux de chômage le plus élevé de l’OCDE et de l‘Union européenne, 20,1% au premier trimestre 2010 et face à l’incapacité des organisations syndicales et patronales à trouver un accord après environ deux ans de discussions, l’exécutif a procédé à la réforme du marché du travail par un décret en date du 16 juin dernier.

Bien que celui-ci soit ensuite soumis au vote des députés au cours de l’été, pour être adopté sous la forme d’une loi (afin de permettre un débat parlementaire), les grands axes de la réforme sont désormais fixés pour s’attaquer aux principaux dysfonctionnements du marché du travail.

Il s’agit tout d’abord de réduire la dualité du marché du travail entre les salariés bénéficiant d’un CDI et ceux embauchés avec un contrat temporaire. Ces derniers représentent encore aujourd’hui environ 25% de l’emploi (contre 12% en moyenne dans la zone euro). En effet, la protection importante dont bénéficient les salariés en CDI et notamment le coût élevé de leur licenciement (jusqu’à 45 jours de salaire par année d’ancienneté) a créé une forte incitation au recours au CDD dont le coût de licenciement était de 8 jours de salaire par année d’ancienneté. Les mesures adoptés visent ainsi à limiter l’enchaînement des CDD, à augmenter progressivement l’indemnité de licenciement des CDD à 12 jours d’ici 2015, à sécuriser les motifs de licenciement économique des CDI, à promouvoir le recours au contrat de promotion des CDI (qui ramène l’indemnité de licenciement de 45 jours à 33 jours, 20 jours en cas de licenciement économique non contesté). Enfin, un fonds de capitalisation individuel est créé (sur le modèle autrichien). Il sera abondé par un nombre de jours (à déterminer) par année de travail, payable au salarié en cas de licenciement, de départ à la retraite, de formation ou de mobilité géographique.

La réforme vise également à flexibiliser le code du travail pour permettre une plus grande souplesse dans les négociations collectives touchant aux conditions de travail. C’est l’une des avancées principales. Les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent déroger aux conventions collectives sont assouplies notamment en termes de révision des salaires et du temps de travail (suspension du contrat de travail ou diminution de la journée de travail).

L’objectif est de permettre aux entreprises de sortir des stratégies binaires « embauche / licenciement » (ajustement par les quantités) pour s’adapter à des chocs en jouant davantage sur la durée du travail et les salaires (ajustement par les prix).

Enfin, afin de promouvoir l’emploi, le système d’allègement de charges patronales est refondu pour les concentrer sur les publics les plus en difficulté : femmes, jeunes, chômeurs de longue durée. Les mécanismes d’accès à l’emploi seront également revus avec une plus grande collaboration entre les services publics et privés de reclassement des chômeurs, tout en réaffirmant la prépondérance de l’Etat dans ce domaine.

Que faut-il penser de cette réforme ? Elle est certes nécessaire pour essayer de réduire les rigidités du marché du travail espagnol : dualité entre CDD et CDI, forte centralisation des négociations collectives, coût élevé des indemnités de licenciement, rigidités des salaires. Mais elle arrive finalement tardivement pour éviter les destructions massives d’emploi que vient de connaître l’Espagne. Elle permettra d’éviter à l’avenir les écueils du passé. A court terme ses effets seront peu visibles car elle s’attaque aux dysfonctionnements structurels alors que le principal problème aujourd’hui réside dans l’absence de demande qui pourrait relancer l’activité et donc la création d’emploi.

Enfin, comme nous l’avons déjà maintes fois souligné, la réforme du marché du travail doit s’accompagner d’un changement de modèle productif faute de quoi le taux de chômage demeurera excessivement élevé pendant de nombreuses années. Or, ceci demandera beaucoup de temps…

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