Union européenne : Rester, ou partir ?

par Caroline Newhouse et Catherine Stéphan, économistes chez BNP Paribas

Alors que les négociations pour la formation des groupes parlementaires à l’Assemblée européenne vont bon train, celles concernant la nomination du Président de la Commission européenne sont au point mort et pourraient même durer jusqu’à l’automne. Le Premier ministre britannique, David Cameron, a en effet fait savoir qu’il s’opposait à la candidature du Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, tête de liste du Parti populaire européen (PPE1).

D’une part, il estime qu’aux termes du Traité de Lisbonne le Parlement européen doit valider par un vote majoritaire la proposition du Conseil européen, « tenant compte » du résultat des élections, et non pas désigner le Président de la Commission. D’autre part, David Cameron considère que Jean- Claude Juncker a une vision trop fédéraliste de l’Europe à laquelle l’électorat britannique est opposé au-delà des clivages politiques traditionnels.

Pour le Premier ministre britannique, l’enjeu est donc tout autant européen qu’intérieur. Le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne prévu en 2017 fait peser une menace sur l’avenir économique et financier de l’île. Une étude du Center of European Reform (CER) montre que le Royaume-Uni a tout à perdre à faire cavalier seul. D’une part, il renoncerait à son pouvoir de lobbying auprès des instances bruxelloises et à son influence sur le travail de la Commission, alors qu’il a plutôt bien tiré son épingle du jeu jusqu’à présent. Son marché des biens et services est faiblement réglementé en dépit des directives européennes, tandis que la réglementation sur son marché du travail est équivalente à celle prévalant aux Etats-Unis ou au Canada.

En outre, les exportations vers l’UE représentent actuellement 55% du total des échanges commerciaux de l’île. Après l’Allemagne, le Royaume-Uni est la deuxième terre d’élection des IDE dans l’Union européenne et la moitié d’entre eux provient des autres partenaires de l’UE. Enfin, la City a particulièrement bénéficié de son ancrage au continent. D’autre part, la sortie de l’UE nécessiterait de multiplier les accords bilatéraux avec les pays membres de l’Union comme avec les pays non membres. A ce titre, rien ne permet d’affirmer que ces accords- cadres seraient moins coûteux que sa contribution actuelle au budget européen (EUR 8 mds). Pour David Cameron, l’orientation libérale de l’Union européenne peut être préservée voire renforcée grâce à l’’appui de ses alliés politiques, en particulier de la CDU allemande. C’est dans cet esprit que les chefs d’Etat allemand, britannique, néerlandais et suédois, réunis en début de semaine à Harpsund en Suède, se sont accordés sur la nécessité de fixer un agenda européen pour les cinq prochaines années avant même de décider qui présidera la Commission.

Cet ordre de mission fait la part belle à la poursuite de la libéralisation des marchés de biens et de services, en particulier dans le secteur du numérique, ainsi qu’à la multiplication des signatures d’accords de libre-échange avec des pays tiers. Toutefois, la Chancelière allemande qui soutient encore la candidature de Jean-Claude Juncker pourrait se montrer moins conciliante depuis qu’Alernative für Deutschland a fait son entrée à l’European Conservative Party. Elle pourrait très bien refuser d’apporter son soutien à son homologue britannique au moment de la désignation des commissaires européens. Le Royaume-Uni devrait alors oublier ses prétentions aux affaires économiques et monétaires ou bien encore au marché intérieur. Enfin, le retrait de la candidature du Premier ministre luxembourgeois serait un signal fort envoyé par David Cameron à l’intention des partisans du Non à l’indépendance écossaise (référendum prévu en septembre 2014, voir encadré), illustrant sa capacité à influencer les débats au sein de l’UE et servir les intérêts d’un royaume uni.

NOTE

  1. Le PPE regroupe les partis démocrates-chrétiens. Il est arrivé en tête du scrutin européen avec 214 sièges. Le parti conservateur britannique a quitté le PPE en 2009 pour former l’European Conservative and Reformists group. Dans le prochain hémicycle, l’ECR devrait compter au moins 63 parlementaires dont 19 britanniques.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas