par Nathalie Dezeure, économiste chez Natixis
Confronté à une crise de défiance, le gouvernement a présenté le 7 avril un budget d’urgence à contre-courant des plans de relance mis en place au cours des derniers mois dans d’autres pays. La détérioration des finances publiques liée au sauvetage des banques et la profonde récession qui frappe l’Irlande font en effet peser des risques importants sur la solvabilité de l’Etat irlandais.
Malgré les ajustements annoncés (hausse de la fiscalité, baisse des dépenses), le déficit devrait atteindre près de 11% du PIB en 2009 et 2010 et l’objectif du gouvernement d’un déficit de 3% en 2013 nous semble peu réaliste. Du fait d’un affaiblissement structurel de la croissance et de la difficulté politique de mettre en place de nouvelles mesures d’austérité, il devrait selon nous s’élever à plus de 8% du PIB en 2013.
La dette publique devrait exploser, en raison des déficits cumulés et du rachat par une structure publique des actifs toxiques des banques, pour atteindre 110% du PIB en 2013 selon nos estimations.
La soutenabilité des finances publiques est donc mise en question, ce qui s’est traduit par une dégradation de la notation de la dette souveraine de long terme de l’Irlande par plusieurs agences.
Toutefois, la faillite de l’Etat irlandais devrait rester théorique. Une intervention communautaire, bien qu’inédite, n’est pas impossible tout comme une aide du FMI. En outre, pour l’heure, le financement de la dette publique sur les marchés, ne semble pas poser de difficultés, les taux servis par l’Irlande étant particulièrement attractifs pour les investisseurs.
Confronté à une crise de défiance, qui s’est notamment traduite par une dégradation par Standard&Poors de la notation de la dette souveraine de long terme de l’Irlande de AAA à AA+ et d’une mise sous surveillance négative, le gouvernement a présenté le 7 avril un budget d’urgence à contre-courant des plans de relance mis en place au cours des derniers mois dans d’autres pays.
Après l’Espagne en janvier dernier, l'Irlande est le second membre de la zone euro à perdre son "triple A". La Grèce et le Portugal ont également vu leur notation financière abaissée dans le sillage de la crise économique.
La détérioration des finances publiques liée au sauvetage des banques et la profonde récession qui frappe l’Irlande font en effet peser des risques importants sur la solvabilité de l’Etat irlandais.
Après cinq années d’excédent, le solde budgétaire est devenu largement négatif en 2008, atteignant près de 7% du PIB (un record historique) et la dette en décrue quasi constante depuis 1994 a sensiblement augmenté à 43% contre 25% en 2007.
De même, la croissance, soutenue entre 1994 et 2007 (+7,4% l’an en moyenne), est devenue négative en 2008 (-2,3%) et devrait continuer de chuter en 2009-2010.
Après le budget présenté en octobre 2008 et les mesures additionnelles annoncées en janvier dernier, il s’agit du troisième plan de redressement des finances publiques. Le nouveau budget d’urgence s’annonce particulièrement douloureux, avec d’une part, une hausse significative des taxes et d’autre part, une baisse des dépenses.
La structure des recettes fiscales a fragilisé les finances publiques : la part des impôts sur le revenu et cotisations sociale est relativement faible comparée aux impôts sur les dépenses. En conséquence, les flux de recettes sont très variables et dépendent trop largement de la situation conjoncturelle.
Afin de corriger cette fragilité, le gouvernement a annoncé un élargissement de la base d’imposition. Seul le taux d’impôt sur les sociétés a été maintenu (12,5%) pour préserver l’attractivité de l’Irlande, tandis que la fiscalité immobilière, les taux d’imposition sur les revenus et les cotisations sociales et sur le capital ont été relevés. Au total, le gouvernement compte ainsi augmenter ses recettes de 1,8Md€ en 2009 (1 point de PIB).
La hausse des recettes porte principalement sur les revenus et cotisations sociales (73% des recettes supplémentaires prévus). Les différents taux d’impôt sur le revenu ont été doublés et les tranches d’imposition ont été abaissées.
Par ailleurs, la fiscalité immobilière a été alourdie : l’exonération des intérêts hypothécaires liés aux investissements locatifs a été abaissée à 75% (effet immédiat) et l’exonération des intérêts hypothécaires liée à la résidence principale a été ramenée aux sept premières années du prêt (effet au 1er mai).
Ces mesures devraient permettre aux recettes d’augmenter dès 2010 alors que la croissance continuera son repli.
En ce qui concerne les dépenses, une économie de 1,462 Md€ (0,8 point de PIB)devrait être effectuée via une baisse de 886 millions € des dépenses courantes et de 576 millions € des investissements publics. Le gouvernement, qui a déjà annoncé en février dernier une baisse des salaires des fonctionnaires (-7,5% en moyenne), va également réduire les effectifs (retraite anticipée pour les fonctionnaires de cinquante ans et plus dans les administrations en sureffectif) afin d’économiser 150 millions €. Les prestations sociales versées vont être diminuées de 300 millions € : baisse du taux des indemnités chômage et des allocations pour les moins de 20 ans, annulation de la prime de Noël en 2009 ; diminution par deux des allocations versées pour les enfants de moins de 5 ans en 2009 (mise en place d’un nouveau système en 2010). Enfin, 170 millions € d’économie sont prévus dans les autres départements.
Alors que l’Irlande est engagée dans une profonde récession, ce plan de rigueur devrait éteindre le dernier moteur de la croissance : les dépenses publiques sont la seule composante domestique à avoir progressé en 2008 (+2,1%).
Ces ajustements vont permettre de contenir la hausse du déficit public cette année à 10,75% du PIB (contre 12,75% hors ajustements). Selon les projections du gouvernement, le déficit devrait se maintenir à ce niveau en 2010 avant d’entamer une décrue pour retomber à 3% du PIB d’ici 2013.
Les hypothèses macroéconomiques sur lesquelles reposent ces projections sont plutôt réalistes mais le gouvernement ne donne aucune précision sur les mesures supplémentaires (excepté le montant de l’ajustement nécessaire : 4 Md€ en 2012 et 3 Md€ en 2013) à mettre en place pour atteindre cette cible de 3%.
Il nous semble peu probable que le déficit retombe à 3% à l’horizon de 2013. En raison d’une croissance plus modeste que celle prévue par le gouvernement (2,8% en moyenne entre 2011 et 2013, cf. infra), avec pour conséquence une augmentation plus marquée de l’output gap, et de la difficulté politique de mettre en place de nouvelles mesures restrictives le déficit devrait encore dépasser les 8% en 2013.
Au total, entre 2009 et 2013, les déficits cumulés vont atteindre 58% selon nos prévisions (38,5% du PIB d’après les projections du gouvernement) et entrainer une explosion de la dette publique : de 43% du PIB en 2008 à près de 100% en 2013. En outre, l’augmentation de la dette sera accentuée par la mise en création d’une « bad bank ».
Lors de la présentation de son plan d’urgence le gouvernement a également annoncé la création d’une Agence (National Asset Management Agency – NAMA) sous l’autorité du Trésor (National Treasury Management Agency) afin de débarrasser les banques de leurs actifs toxiques. Ces actifs seront achetés aux banques via l’émission de titres de Trésor avec pour conséquence une nouvelle augmentation de la dette publique (compensée en partie par les actifs achetés). Le montant de ces actifs qui seront transférés à la NAMA sont estimés entre 80 Md€ et 90Md€ sur la base de leur valeur comptable (soit entre 43% et 48% du PIB) mais les montant engagés par le Trésor seront vraisemblablement moins importants compte tenu de la dépréciation de ces actifs.
Dans le scénario le plus sombre, la dette publique pourrait donc atteindre près de 150% du PIB d’ici 2013. Nous supposons que le rachat des actifs toxiques représentera un coût net de 20% du montant total estimé, soit environ 9% du PIB ce qui se traduirait par une augmentation de la dette à près de 110% d’ici 2013.
Il faut néanmoins souligner qu’il existe un risque haussier sur cette prévision. En effet, elle ne prend pas en compte les coûts potentiels liés à l’exécution de la garantie souveraine dont bénéficie les banques jusqu’au 29 septembre 2010 et qui couvre près de 500Md€ d’engagements des banques (soit 2,8 fois le PIB irlandais).
Nous supposons que le rachat des actifs toxiques permettra d’assainir la situation des banques et d’éviter une faillite bancaire.
L’annonce de ce plan n’a vraisemblablement pas convaincu. Les agences R&I (le 10 avril) et Fitch (le 8 avril) ont dégradé la notation souveraine de l’Irlande de AAA à AA+ et mis la dette de long terme sous perspective négative. Fitch a également abaissé la notation des banques Allied Irish Bank et Bank of Ireland, compte tenu des pertes potentielles liées aux transferts des actifs à la NAMA.
Par ailleurs, le spread entre le 10 ans souverain irlandais et allemand s’est écarté depuis l’annonce de ce budget d’urgence, passant de 202 points de base le 6 avril à désormais 221 points de base (15 avril).
Le manque de précision quant aux moyens envisagés pour atteindre les 3% de PIB de déficit public en 2013 et, surtout, l’absence de coût des achats des actifs toxiques en termes de dette publique n’ont pas rassuré les investisseurs.
Le problème de la soutenabilité des finances publiques reste donc entier, bien que l’Irlande ait démontré sa capacité de réduire les déficits (au début des années quatre vingt dix, le déficit budgétaire s’élevait à 2,8% du PIB et la dette publique dépassait les 95% du PIB.
En effet, le contexte macroéconomique s’annonce nettement moins favorable : après deux années de replis importants (- 7,9% en 2009 et – 2,8% en 2010 selon nos prévisions) le PIB ne progressera que modérément au cours des années suivantes (en moyenne environ 2,5% l’an).
L’Irlande ne profitera plus des effets de rattrapage qui ont tiré la croissance au cours des dix dernières années (notamment sur le marché du logement).
De plus, les perspectives à moyen-long terme des principaux clients de l’Irlande (plaque tournante du commerce entre l’Union Européenne et les Etats-Unis) ne permettent pas d’envisager le retour d’une croissance forte. La fin de l’économie d’endettement (privé) aux Etats-Unis, (premier client de l’Irlande avec près de 19% des exportations) et au Royaume-Uni (deuxième client avec 16,6% des exportations) suggère une progression désormais plus modeste de la demande adressée aux entreprises irlandaises. Cela aura pour conséquence un ralentissement structurel des exportations mais également des investissements directs étrangers qui ont largement contribué au dynamisme de l’activité au cours des dernières années.
Enfin, la croissance démographique devrait être moins dynamique qu’au cours des dernières années avec la fin du soutien de l’immigration. Selon, l’OCDE, la population progresserait de 1% en moyenne sur les dix prochaines années, contre 1,7% entre 1997 et 2007.
Vers une crise de la dette ?
La profondeur de la crise et son impact sur les finances publiques ont ravivé les craintes relatives à la possible défaillance budgétaire d’un Etat membre de l’Union Européenne et notamment de l’Irlande.
Au-delà des déclarations rassurantes des officiels (le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker a récemment déclaré qu’il ne voyait pas de risque de défaut d’un pays membre de la zone euro et que l’ « Union européenne et zone euro ont toujours su répondre à des urgences »), la faillite de l’Etat irlandais reste, pour l’heure, purement théorique pour au moins quatre raisons.
1/ La forte augmentation de la dette publique est inévitable. Toutefois un scénario à l’islandaise (la faillite des banques et de facto de l’Etat a été précipité par la dépréciation de la devise) est exclu dans la mesure où l’Irlande est protégée contre le risque de change par l’euro. La dette publique est exclusivement libellée en euros.
2/ La solidarité entre états membres n’est pas explicitement organisée. Toutefois, les traités européens (traité de Nice, article 100.2) stipulent que « lorsqu’un Etat membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, (…) le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière communautaire à l’Etat membre concerné ».
Etant donné les faibles ressources dont dispose l’UE (1% du revenu national brut agrégé), à qui par ailleurs il est interdit d’afficher un déficit, une solution financière « communautaire » nous semble peu évidente à mettre en œuvre, à moins de revenir implicitement sur les engagements déjà votés par le Parlement pour l’exercice 2009.
L’absence de fédéralisme fiscal au sein de l’Union pèse sur la réalisation d’un objectif dont la poursuite pourrait s’avérer d’actualité. D’un point de vue purement théorique, l’Allemagne, déjà confrontée à semblable situation dans un passé récent1, offre des pistes de réflexion sur ce qui pourrait être fait au niveau européen afin de garantir I/ des recettes suffisantes à l’équilibre budgétaire des différents Etats membres, II/ une procédure d’entre-aide systématique et III/ une procédure d’urgence.
La solidarité fiscale ente les régions augmenterait le degré d’optimalité de la zone euro et l’utilité de la monnaie unique. Les spreads et CDS souverains convergeraient inexorablement et les marchés ne se préoccuperaient plus que du seul niveau d’endettement de la zone euro.
3/ Le recours à l’aide du FMI reste une option à laquelle l’Irlande peut prétendre, bien qu’elle n’est pas encore été envisagée.
4/ Pour l’heure, le financement de la dette publique sur les marchés, à des spreads certes élevés, ne semble pas poser de difficultés. Le 26 mars, l’émission de Tbills de différentes maturités (1 mois, 3 mois, 6 mois) à été largement sursouscrites (3,7 Md € d’offres) ce qui a permis au Trésor irlandais de lever 500 millions € par maturité. Mais surtout, le 24 mars, la première émission directe sur le marché depuis 2005 (les émissions précédentes étaient syndiquées) de TBonds (300 millions € à échéance novembre 2011 et 700 millions € à échéance avril 2020) a été particulièrement bien accueillie et très largement couverte (bid to cover de respectivement 3,8 et de 2,7). Les taux servis par l’Irlande constituent sans doute un avantage alors que le marché de titres souverains est inondé par l’offre.