par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
Après plusieurs décennies de mondialisation marquées par une coopération commerciale, des phases de convergences politiques et économiques, voire de styles de vie, le monde semble tout-à-coup soumis à des dirigeants « autocentrés » : guerre commerciale, tensions géo- politiques, discordes européennes, sans parler de la moindre lisibilité de la BCE… Tous ces éléments entament la confiance des investisseurs alors que les statistiques économiques restent correctes et que les résultats des entreprises sont plutôt bons. Ce contexte provoque une remontée de l’aversion au risque, qui pourrait durer encore quelque temps…
Les ressorts qui ont favorisé l’expansion mondiale depuis 20 ans (liberté de mouvement des capitaux, des biens et des services et aussi, dans une certaine mesure, des personnes, convergence européenne…) sont sérieusement challengés ces derniers temps.
D’abord par un retour de mouvements protectionnistes déclenchés par les Etats-Unis. La « guerre commerciale » prend une tournure plus incertaine. Les différentes mesures décidées par l’administration américaine visent à séduire l’électorat populaire à l’origine de l’élection du Président, mais l’escalade commence à inquiéter. Si les effets concrets induits semblent faibles (de 0,1 % à 0,2 % d’augmentation des prix à l’importation aux états- Unis), les effets psychologiques pèsent sur la confiance des chefs d’entreprises et la facture peut au final retomber sur les consommateurs, entravant ainsi leur pouvoir d’achat dans des conséquences de « second tour »… Et l’imagination américaine semble florissante sur ce sujet, comme nous venons de le constater avec les restrictions faites aux entreprises chinoises au sujet de leurs investissements aux Etats-Unis. La Chine a commencé à riposter, de même que l’Europe, mais les moyens d’actions sont limités car le marché américain est trop important actuellement.
Bref, il est clair que ce conflit est plus profond qu’anticipé et peut dégénérer au-delà des élections américaines de « MidTerm » qui auront lieu en novembre prochain. Les marchés commencent à prendre en compte ce paramètre : dégradation potentielle des perspectives de croissance, déstabilisation potentielle du marché des changes, notamment émergents si la Chine laisse filer sa monnaie (le RMB vient de perdre 3 % contre le dollar depuis mi-juin). Parallèlement, les divergences s’accentuent nettement aussi en zone Euro. La question des migrants est un catalyseur qui met en évidence une situation plus compliquée et une problématique plus profonde. Les mouvements populistes en Europe, de plus en plus puissants un peu partout, sont certes portés par cette question des migrants, mais la raison provient également d’un manque de confiance dans la construction européenne. Il y a une cassure importante depuis la crise financière de 2008.
Nous l’avions déjà signalé, mais rappelons que dans la zone Euro, l’endettement des états est de 85 % du PIB de la zone, ce qui est bien au-delà des limites fixées par le traité d’union monétaire. Il y a de surcroît beaucoup d’écarts entre les pays avec schématiquement une Europe du Nord, plutôt vertueuse, qui revient « dans les clous » après les dépassements liés à la crise de 2008 (au premier rang figure l’Allemagne, en excédent budgétaire ces dernières années et dont la dette va passer prochainement sous le seuil de 60 % du PIB), et une Europe « latine » plus laxiste (dont la France qui a été l’un des derniers pays à passer sous le seuil de 3 % de déficit budgétaire et dont la dette avoisine 100 % du PIB…). La pression à davantage d’austérité – prônée par Bruxelles, alors qu’une part importante des populations a le senti- ment d’être écartée de la prospérité – explique naturellement la montée des extrêmes. Dans ces conditions, le programme de la nouvelle coalition en Italie, s’il est appliqué, va creuser les déficits budgétaires et la dette, pesant ainsi logiquement sur les obligations gouvernementales italiennes. Il est clair en effet que la pérennité de l’Euro se pose à nouveau et une réponse politique forte est attendue.
Enfin, sur le plan géopolitique, et nous l’avons constaté au dernier sommet du G7, il n’y a pas d’unité dans la conduite des affaires du monde. En outre, la situation s’est compliquée au Moyen-Orient avec la décision américaine de mettre fin à l’accord avec l’Iran, ce qui a obligé un certain nombre d’entreprises européennes à s’adapter.
Sur des sujets plus financiers, les marchés s’interrogent aussi sur la divergence de politiques monétaires de plus en plus flagrante entre les États-Unis et la zone Euro. Aux États-Unis, Jerome Powell prouve de plus en plus qu’il est plus pragmatique que théoricien. Il a donné un double message aux marchés : il n’a pas d’inquiétude sur la croissance, d’une part, et, par ailleurs, il indique qu’il va surveiller la remontée de l’inflation et qu’il agira selon les cas, sans vraiment de niveau prédéfini. La notion de « taux neutre » théorique n’est pas vraiment évoquée, contrairement aux développements de Janet Yellen. Toujours est-il qu’il y aura finalement quatre hausses des Fed Funds cette année et que le niveau atteint à la fin du cycle en 2019/2020 sera autour de 3,20 %, alors que pour l’instant les marchés l’attendent plutôt à 2,75 % à cette date. Ces dernières années, les anticipations de marché ont été plus justes que les « Dots de la Fed »… à suivre, cela pourrait constituer un élément de surprise.
En zone Euro, Mario Draghi a surpris : la fin du Quantitative Easing(1) est programmée pour la fin de l’année, mais surtout il n’y aura pas de relèvement des taux avant un an. Ceci signifie que la BCE pour- rait commencer à remonter ses taux d’intérêt à la fin du cycle de croissance américain, donc au moment où la Fed deviendrait plus accommodante. Cela semble délicat, car dans ces conditions elle n’aurait plus de marge de manœuvre en cas de ralentissement mondial. La question est donc de savoir si, cette fois-ci, Mario Draghi n’est pas trop en retard dans le cycle de normalisation. Il est vrai que, dans un premier temps, la force de l’euro l’avait freiné. Cette fois-ci, c’est probablement les tensions sur les spreads souverains périphériques de la zone Euro.
Ces problématiques divergentes sont anxiogènes pour les investisseurs et contrastent avec un bilan d’ensemble macro et micro-économique plutôt convenable. Certes un ralentissement du « momentum » macroéconomique a été observé ces derniers mois, de même que – là aussi – une certaine divergence/désynchronisation entre les zones, mais rien de trop inquiétant à ce stade. D’ailleurs les grands instituts de conjoncture tels que le FMI et l’OCDE, s’ils ont noté quelques dangers potentiels liés à une baisse de la confiance au vu des événements que nous avons décrits, n’ont pas révisé à la baisse leurs objectifs de croissance mondiale à 3,9 % cette année et l’année prochaine. Par ailleurs, les « indices de surprise » macroéconomiques qui s’étaient fortement détériorés en début d’année commencent à remonter.
Aux États-Unis, les effets de la réforme fiscale font de plus en plus débat et la hausse observée des salaires, de même que le renchérissement des matières premières, pourraient engendrer un tasse- ment de l’activité dans les prochains mois. En effet, de plus en plus d’économistes estiment que l’effet de ces baisses et franchises d’impôt bénéficieront surtout aux sociétés technologiques, ce qui améliorera leurs comptes sans qu’elles n’investissent forcément dans l’économie domestique. Ceci étant dit, la croissance américaine reste solide et pourrait dépasser 2,5 % cette année.
En zone Euro, l’économie a effectivement ralenti au premier trimestre, mais il s’agit a priori d’une décélération ponctuelle après un dernier trimestre 2017 exceptionnel. L’investissement des entreprises a déçu et nous notons également quelques tensions salariales significatives sur les segments de main-d’œuvre qualifiée. Mais au final, la croissance devrait tout de même dépasser 2,0 % cette année. La situation des pays émergents est beaucoup plus contrastée car il y a eu des chocs sur de nombreuses devises, ce qui a provoqué une remontée de l’inflation et redonne une pression budgétaire compte tenu des dettes émises en monnaies fortes. Tous les pays ne sont pas tout-à-fait dans la même situation car les pays producteurs de pétrole ont bénéficié de la hausse des cours et certains sont moins endettés que d’autres.
Mais, la croissance dans les pays émergents va ralentir, et notamment en Chine. Ce pays a plutôt surpris positivement au premier trimestre, mais là aussi le momentum ralentit. L’effet d’une guerre commerciale plus dure pèse naturellement. Le pays est aussi dans une grande mutation. Le mot clé est assainissement. L’assainissement moral avait commencé dès le début de la présidence Xi par une sévère lutte anticorruption qui a marqué les esprits. Assainissement écologique et sanitaire ensuite, le mécontentement de la population à la suite de plusieurs affaires de contamination dans l’alimentation et en matière de pollution était grand. Et, pour ce qui nous concerne plus particulièrement, assainissement financier : fermetures d’usines dans les secteurs de la vieille économie, en surcapacité et qui était subventionnée (acier, charbon…), les entreprises qui ne sont pas viables feront faillite et ne seront plus sauvées et, d’une façon générale, « deleveraging » global de l’économie. Finalement, la croissance va donc ralentir tendanciellement vers 5,0 % à terme, mais sera de meilleure qualité. Du côté des comptes des entreprises, en revanche, les résultats sont bons dans l’ensemble de part et d’autre de l’Atlantique.
Aux Etats-Unis, nous avons assisté à un mouvement spectaculaire de révisions à la hausse des bénéfices suite à la réforme fiscale et la dynamique est la plus forte depuis le point bas du cycle de l’année 2009. Les prévisions pour cette année sont de près de 20 %. Mais même sans tenir compte de la réforme, la progression des bénéfices serait de l’ordre de 10 %, ce qui est solide pour un cycle déjà bien mature. En Europe également, les entreprises ont publié des comptes très solides au premier trimestre et les perspectives positives redeviennent plus crédibles après la récente hausse du dollar. Sa faiblesse avait un peu alarmé les analystes en début d’année. La progression des bénéfices devrait être de l’ordre de 10 % cette année.
Taux d’intérêt : quelle réaction aux banques centrales ?
Aux États-Unis, le seuil de 3 % de rendement du T-Notes 10 ans US tient toujours, ce qui n’est pas anodin. Les marchés se sont en effet « calés » sur leurs propres anticipations de niveaux de Fed Funds comme évoqué, et en comparaison internationale, 3 % de rendement sur les emprunts américains représente un bon niveau de rendement/risque. Nous pensons que ce niveau autour de 3 % devrait tenir dans les prochaines semaines. Il pourrait y avoir un dérapage, de quelques dizaines de points de base à la hausse, s’il s’avère que la politique monétaire de la Fed est finalement plus dure. En tout état de cause, la thématique de l’aggravation de l’endettement américain, suite à l’aggravation des « Twin deficits », ne semble pas vraiment inquiéter les marchés.
En zone Euro, le niveau de taux d’intérêt sur les obligations gouvernementales « core » apparaît définitivement trop bas, à moins de croire en un scénario de déflation. Avec une croissance de plus de 2,0 % et une inflation de près de 1,5 %, donc une croissance nominale de près de 3,5 %, il est difficile de penser que les rendements vont rester aussi bas très longtemps, surtout après l’arrêt du soutien du Quantitative Easing de la BCE. Nous maintenons donc notre objectif autour de la zone de 0,8 % sur le Bund d’ici la fin de l’an- née. L’évolution des « spreads périphériques » dépendra de la situation politique en zone Euro et de sa perception par les marchés. Nous ne voyons pas de source d’amélioration à court terme, mais en définitive, nous pensons que l’euro sera sauvé politiquement et qu’il y aura donc des opportunités au gré des tensions.
Concernant les obligations crédit « Investment Grade », les spreads se sont logiquement écartés compte tenu de l’aversion au risque grandissante, mais les niveaux atteints ne nous semblent pas encore foncièrement attractifs. De même, en ce qui concerne les obligations « High Yield », il y a eu beaucoup de sorties sur cette classe d’actifs. Les rendements ont remonté ce qui peut constituer un premier point d’entrée mais un écartement supplémentaire de 30 à 50 pb nous semble nécessaire avant de surpondérer nettement la classe d’actifs.
Les obligations émergentes ont fortement corrigé, et quelquefois de façon très importante sur certaines devises comme la Lire turque, et dans une moindre mesure le Réal brésilien ou le Peso mexicain. Il y a une raison de fond qui concerne tous les pays : fermeté du dollar et aversion généralisée au risque, mais aussi une succession de cas particuliers (élections, sensibilité aux matières premières…). Toujours est-il que nous ne changeons pas d’avis. Nous considérons qu’aux cours actuels, le potentiel de performance est important dans une optique moyen terme : il est possible de construire des portefeuilles d’obligations émergentes souveraines en monnaies locales offrant un rendement de l’ordre de 8 % sur 5 ans, avec un potentiel de rebond des monnaies.
Pas d’éléments vraiment nouveaux en ce qui concerne les obligations convertibles. La volatilité implicite du gisement européen a rebaissé à 26 %, contre un plus haut de 30 % en avril dernier, ce qui est convenable au regard des dernières années. Elles présentent toujours un profil asymétrique intéressant selon nous.
Actions : la hausse de volatilité pourrait se poursuivre à court terme mais il conviendra d’en profiter
Les principaux indices boursiers évoluent sans véritable tendance depuis quelques mois et les performances sont quasi nulles à mi-année. Il peut y avoir une poursuite de la hausse de la volatilité dans le contexte actuel et des corrections plus profondes sont possibles. Mais nous avons rarement vu dans l’histoire un fort marché baissier avec une hausse des bénéfices. Il peut y avoir des divergences mais elles sont le plus souvent passagères.
Aux États-Unis, avec la stabilisation du marché et la hausse des bénéfices anticipés, la valorisation du marché a baissé (PER(2) 2018 de 16,5). Même s’il est encore au-dessus des moyennes de long terme, nous ne sommes pas en zone d’excès. En Europe, la valorisation d’ensemble apparaît très convenable avec un PER 2018 de 13,5 et également un rendement des dividendes très attractif en absolu et relativement au niveau des taux d’intérêt d’un peu plus de 3 %.
Dans ces conditions, et compte tenu du contexte macro et microéconomique, il est difficile d’imaginer un marché fortement baissier. Il conviendra de ce fait de tirer parti des phases de consolidation pour se positionner, et nous pensons toujours qu’à ce stade il convient de privilégier les actions européennes.
Sur le plan sectoriel, le panorama est beaucoup plus compliqué. L’écart entre les valeurs de croissance et les valeurs dites « value » s’est encore creusé cette année et nous atteignons des points de surperformance relative extrêmes. Ceci est aussi le cas en ce qui concerne les banques européennes, dont les valorisations apparaissent actuellement particulièrement basses. Elles sont pénalisées par le contexte de taux d’intérêt trop faibles, mais un mouvement de rebond violent est possible si les taux d’intérêt se normalisent quelque peu. Concernant les actions émergentes, les actions chinoises pourraient être encore sous pression pendant quelques semaines. Si jamais elles corrigent encore d’environ 10 %, nous les recommanderons à nouveau à l’achat : les valorisations d’ensemble sont assez faibles (PER de 11,5), le marché est riche en valeurs de croissance dans un marché à fort potentiel à moyen terme, surtout que son poids dans les indices va être croissant dans les prochaines années.
Notre scénario central
Le climat d’aversion au risque est davantage lié à des facteurs politiques, qu’économiques et financiers. Le sentiment diffus que nous sommes en train de mettre fin à une forme d’ordre mondial qui a permis 25 ans de prospérité depuis la chute du mur de Berlin et l’entrée de la Chine dans l’OMC(3) en 2001 pèse, peut- être de façon irrationnelle. Difficile de donner une appréciation à ce stade sur ces sujets : Donald Trump ne vise-t-il que les élections de novembre, la zone Euro va-t-elle se désagréger, comment se compor- tera la future BCE sous l’impulsion de son nouveau Président ?…
Dans ce contexte, nous maintenons le conseil de prudence que nous avons adopté le mois dernier. Mais ce qui nous semble plus solide, c’est que les fondamentaux économiques et des entreprises sont plutôt corrects, et il nous est donc difficile d’imaginer à ce stade un nouveau « grand Bear Market ».
NOTES
- Quantitative Easing : rachats massifs de titres de dettes par une Banque Centrale.
- PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : capitalisation boursière divisée par le résultat net.
- OMC : Organisation Mondiale du Commerce