par Ken Van Weyenberg, Investment Specialist Private Clients chez Dexia Asset Management
Faiblesse des données macro-économiques, résultats d’entreprises décevants, crise persistante dans la zone euro : tout cela n’empêche pas les marchés des actions d’afficher une bonne santé ; ce qui a de quoi surprendre. Les marchés des obligations battent des records historiques et les valorisations de pas mal d’actions sont plus qu’intéressantes. Nous pouvons dès lors nous demander si le marché durablement baissier que nous avons connu jusqu’à présent ne touche pas à sa fin.
Le premier semestre 2012 est derrière nous. Six mois tumultueux, indéniablement. Après un premier trimestre exceptionnellement bon, alimenté par un regain de l’élan économique et une amélioration de la liquidité du marché sous l’impulsion de la Banque centrale européenne, les marchés des actions ont subi une forte correction au deuxième semestre. L’effet du LTRO à 3 ans s’estompa, mettant fin à la reprise fondée sur l’abondance de liquidités. Parallèlement, la crise de l’euro repartait de plus belle, Grèce en tête.
Un éventuel ‘Grexit’ éveilla la vigilance des investisseurs et augmenta la nervosité sur les marchés financiers. L’Espagne fit son retour dans l’actualité. En difficulté, le secteur bancaire ibérique avait besoin d'un soutien de l'Union européenne. Avec la nationalisation, par l’État espagnol, de Bankia, quatrième banque du pays, les marchés des actions ont accusé un sévère repli en avril et en mai. C'est seulement après ces deux mois difficiles que les marchés des actions ont fini par regagner un peu de terrain en juin, un redressement qui s’est poursuivi durant l’été.
Une reprise fondée sur l’espoir
La stabilisation actuelle et la solidité des marchés financiers, cependant, s’appuient essentiellement sur quelques dépêches de presse rassurantes, agrémentées d’une bonne dose d’espoir. Les marchés tiennent déjà compte – en partie – de l’assouplissement monétaire consenti par la Chine, les États- Unis et même par la Banque centrale européenne. Autrement dit, à court terme, les marchés dépendent étroitement des liquidités, un des premiers catalyseurs d'une vigoureuse remontée boursière.
Assistons-nous à un redressement durable des bourses ? Il est encore trop tôt pour le dire, car il faudrait pour cela une baisse structurelle de la prime de risque en Europe. L’investisseur n’acceptera une prime de risque inférieure que si l’incertitude s’atténue et si les dangers de la crise européenne de la dette s’estompent. Des pistes intéressantes ont déjà été lancées, par exemple la création d’un fonds européen de remboursement de la dette ou une union bancaire, mais il faudra du temps pour évoluer vers plus d'intégration fiscale. La moindre désillusion peut causer un nouveau cycle de stress, principal moteur des négociations européennes. La lutte psychologique que se livrent les pays européens alimente les rumeurs et la volatilité des marchés.
Il faut cependant noter que l’espoir n’est peut-être pas le seul facteur pouvant expliquer l'impressionnante résistance des marchés des actions. Ces douze dernières années n’ont pas été les plus fructueuses pour l'investisseur boursier, mais il est très possible que l’on assiste aujourd’hui à la formation d’un embryon de marché durablement haussier. L’indice des actions européennes, l’Eurostoxx 50, se situe en dessous de la moitié de son niveau d’il y a douze ans.
La fin des excès ?
Durant la dernière période de marché haussier au siècle dernier (1981 – 2000), le S&P 500 a atteint un rendement annualisé de près de 17 %. Pour obtenir ce rendement, il a fallu multiplier par quatre ou presque le ratio cours-bénéfice de l’indice : de 8 environ au début de ce marché haussier, jusqu’à plus de 30 vers la fin. Dans les dernières années de ce 2e plus long marché haussier depuis 1900, l’optimisme (économique) excessif et une confiance aveugle en l'avenir du secteur informatique ont déclenché des excès considérables sur les marchés. C’est seulement au changement de millénaire que l’impressionnant marché haussier s’est épuisé, après l’éclatement de la bulle internet, qui déboucha sur une récession mondiale et un cortège de faillites.
Depuis, les marchés des actions ont digéré ces excès et subi un important de-rating. Pour reprendre l’exemple du S&P 500 (les données les plus disponibles), nous constatons que le marché des actions a perdu plus de 12 % de sa valeur depuis le début du marché baissier, en 2000. Ce recul ne s'est pas fait en un jour. Il s'est accompagné d'une forte volatilité et de rebonds du marché et a fait tomber le ratio cours-bénéfice de plus de 30 à presque 13, par rapport à une moyenne à long terme supérieure à 16 (données depuis 1954 selon Bloomberg) – même si la chute des cours n'est pas la seule cause. Depuis douze ans, les bénéfices des entreprises ont en effet fortement progressé.
Le pourcentage moyen de croissance annuelle du bénéfice des entreprises de l’indice S&P 500 dépasse 5 %, même après la baisse des bénéfices durant la bulle internet et la récession de 2008-2009. Ce niveau de rentabilité ne se retrouve pas encore dans l’évolution du ratio cours/valeur comptable des entreprises.
Les actions en disgrâce
Manifestement, depuis 2000, les marchés des actions n’ont pas la faveur des investisseurs. Plusieurs indicateurs révèlent un pessimisme historique. Un exemple : le ‘sell side indicator’ de Bank of America Merrill Lynch (indicateur basé sur une enquête auprès des stratèges de Wall Street, qui communiquent leurs recommandations d’allocation. Sur la base du poids moyen des actions dans les allocations de portefeuille, on détermine si les marchés sont optimistes ou pessimistes). Cet indicateur est au plus bas depuis 1998. Le récent sondage des gestionnaires de fonds (Fund Manager Survey de Bank of America Merrill Lynch) montre aussi que la proportion de cash est proche du plus haut niveau de l’année écoulée. Ces deux indicateurs sont deux bons contre-indicateurs.
Marchés des obligations : historiquement chers par rapport aux marchés des actions
Tandis que les marchés des actions tombaient en disgrâce aux yeux des investisseurs, les marchés des obligations étaient valorisés à des niveaux historiquement hauts. La fuite vers les obligations souveraines de qualité à la suite de la crise de la dette dans les pays périphériques de la zone euro a peut-être causé de nouveaux excès, à la fois en Europe et aux États-Unis. C’est ainsi que le taux des obligations américaines à 10 ans est tombé à 1,62 %, tandis que le taux moyen des douze dernières années atteint quelque 4 %, voire plus de 6 % depuis le début des années 60.
De même, le taux des obligations allemandes à 10 ans affiche un comportement similaire : moins de 1,50 % actuellement, alors que la moyenne historique dépasse les 5 % (données depuis 1989 selon Bloomberg). Les obligations souveraines américaines et allemandes n’ont pas été les seules à profiter de cette fuite vers la qualité. La Finlande, les Pays-Bas, la France, la Belgique et d’autres aussi ont vu leurs taux dégringoler ces derniers mois. Au point que souvent, l’investisseur ne touche plus qu’un intérêt réel négatif (inflation déduite).
Ajoutons à cela que les marchés des actions, pour la première fois en plus de 50 ans (exception faite de 2008), génèrent un rendement moyen en dividendes plus important que les taux perçus par le détenteur d'une obligation souveraine américaine à 10 ans. L’attrait des actions par rapport aux obligations apparaît aussi dans la comparaison entre l'earnings yield (bénéfice/cours) et les intérêts sur les obligations d’État dites sans risques. Le supplément de rendement (earnings yield – intérêts sans risques) dépasse les 5 % pour les actions américaines, et même les 6 % en Europe.
Actions : le meilleur placement à long terme
Nous savons qu’à court terme, les marchés des actions doivent encore surmonter diverses craintes non négligeables. Si l'affaiblissement de la croissance économique mondiale se confirme durant les prochains trimestres par exemple, cela pourrait avoir un impact négatif sur les résultats des entreprises, tandis qu’une nouvelle aggravation de la problématique européenne pourrait bien raviver les tensions sur les marchés financiers. De plus, la déception serait grande si, contrairement aux attentes, les banques centrales refusaient de délier les cordons de leurs bourses.
Cela dit, l’investisseur qui se lance aujourd'hui dans des placements en actions à long terme n'aura sans doute pas à le regretter dans les années à venir. La rentabilité et la valorisation des actions ont battu des records historiques vers le bas. Leur attrait s'en trouve à nouveau renforcé, surtout par rapport aux intérêts, également au plus bas. L’énorme différence de valorisation entre les obligations souveraines et les actions suggère en effet un risque pour les obligations dans la plupart des scénarios. L’investisseur suffisamment patient, capable d’accepter une certaine volatilité de son portefeuille d'actions à court terme, peut sans doute compter à l’avenir sur une période prospère.