par Juan Carlos Rodado, économiste chez Natixis
L’économie hongroise est sur le fil du rasoir. Plus que la contagion financière découlant de la crise souveraine, il est surtout question de risque politique aujourd’hui en Hongrie. Depuis son arrivée au pouvoir (avril 2010), le Premier Ministre Viktor Orban n’a fait qu’appliquer à la lettre son programme de renationalisation de l’économie.
Ces politiques de plus en plus erratiques ont d’abord débouché sur une détérioration du climat des affaires et désormais sur un bras de fer avec la Commission Européenne. Alors que le gouvernement semble céder à la pression de Bruxelles sur la question de l’indépendance de la Banque Centrale, nous dressons deux scénarios alternatifs de cette crise politico-économique.
Dans notre scénario extrême, le pays ne modifie pas ses lois et une crise de change probablement suivie d’un défaut est envisagé. Cependant, nous privilégions un scénario dans lequel un accord est trouvé. De nombreux intérêts sont en jeux et une impasse serait très couteuse en termes de bien être. Le manque de visibilité dans l’orientation de la politique économique restera quoi qu’il en soit un frein puissant à la croissance au moins jusqu’aux prochaines élections (2014).
La situation s’envenime entre la Commission Européenne et le gouvernement de Viktor Orban. L’autorité de Bruxelles a mis en demeure la Hongrie suite aux trois lois adoptées en fin d’année (nominations à la banque centrale, statut des juges et autorité hongroise de protection des données) d’ici un mois contre deux mois habituellement sous peine de porter l’affaire devant la Cour de Justice Européenne. En décembre, elle avait réussi à convaincre le FMI de se retirer des discussions préliminaires entamées entre l’institution de Washington et le gouvernement sur une aide financière car elle n'a pas eu de réponses à ses demandes. J. M. Barroso a annoncé hier qu’il avait lancé une procédure d’infraction contre la Hongrie. Cette approche purement juridique avait déjà permis à la Commission d’empêcher le retrait de la licence de la seule radio d’opposition du pays.
De plus, si la Hongrie venait à refuser, d’autres sanctions pourraient être envisagées. Elles pourraient aller jusqu'au non versement des fonds structurels (3% du PIB, soit 5 Mds EUR par an) et le retrait du droit de vote de la Hongrie.
Le gel des fonds de l’UE serait évidemment un coup dur pour ce pays qui a d’importants besoins en devises. La moitié de la dette publique est libellée en devises tout comme deux tiers des prêts au secteur privé1. La Pologne avait par exemple utilisé ses fonds structurels pour soutenir le zloty l’année dernière. Cette situation est d’ailleurs inédite puisque la Commission n’est pas allée aussi loin en 2000 quand J. Haider est entré dans la coalition au pouvoir en Autriche.
Un accord de prêt avec le FMI serait également compromis puisque le feu vert de Bruxelles est nécessaire pour que les négociations reprennent. Même si le gouvernement d’Orban semble avoir lâché du lest en assouplissant sa position sur l’indépendance de la banque centrale, sa stratégie consiste à jouer avec les nerfs de la Commission pour obtenir le plus grand nombre de concessions. Un jeu du chat et de la souris s’est mis en place entre les deux parties : lorsque la Commission riposte et la pression des marchés s’intensifie, le Premier Ministre atténue sa position.
Deux scénarios sont envisageables dans ces conditions :
- Un scénario extrême (probabilité 40%) : la Hongrie ne modifie pas ses lois, les sanctions de la Commission tombent, ce qui exacerbe la pression des marchés sur le pays. La crise de change s’accompagne d’une faillite du système bancaire et d’un défaut sur la dette. L’Autriche est le pays le plus affecté avec une exposition (créances bancaires et dette publique) qui s’élève à 30 Mds EUR. La Hongrie nationalise son système bancaire et sort de l’UE.
- Un scénario central (probabilité 60%) : un accord entre les deux camps est trouvé, probablement sur un laps de temps qui peut aller de la fin du T1 à celle du T3 (le maximum que le pays pourrait tenir sans aide) et sur une solution intermédiaire. Les intérêts en jeu sont nombreux : lobby des banques autrichiennes, cohérence de l’UE, avenir politique d’Orban2 et situation économique de la Hongrie. Cependant, le mal est fait. L’arrivée au pouvoir d’Orban s’est accompagnée d’une dégradation du climat des affaires3. A cela s’ajoute un manque de visibilité dans l’orientation de la politique économique qui va peser sur la croissance économique du pays et ce au moins jusqu’aux prochaines élections (2014).
NOTES
- Pour limiter les déséquilibres en devises le gouvernement a mis en place un programme de remboursement anticipé des prêts en devises mais aussi d’allégement (25% de la dette) et de conversion des prêts en devises en monnaie locale.
- Le soutien à son parti le Fidesz est en chute libre. Il a atteint 39% contre plus de 65% début 2011. Plus grave encore, près de 84% des Hongrois pensent que le pays va dans la mauvaise direction.
- La Hongrie perd par ailleurs cinq places dans le rapport annuel Doing Business 2012 de la Banque Mondiale et se situe désormais au 51ème rang sur 183 pays.