par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Ostrum AM
Les nuages s’amoncellent sur la réforme du prélèvement à la source qui doit être mis en œuvre le 1er janvier prochain. Le Président de la République Emmanuel Macron a demandé, jeudi, des précisions sur l’efficacité du système. Déjà le week-end dernier, dans son interview au Journal du Dimanche, le premier ministre laissait se profiler un doute sur la date.
Il y a plusieurs questions qui sont posées par le système mis en place:
1 – La nécessité de mettre en œuvre une telle réforme.
On peut y voir des avantages microéconomiques lorsque le revenu du contribuable évolue à la baisse. Son impôt s’ajuste beaucoup plus vite qu’actuellement en raison de l’absence de décalage dans le temps. Une personne se retrouvant au chômage ou partant à la retraite connaîtra ainsi une situation plus facile à gérer.
Au delà de ce cas, l’avantage et le gain collectif ne paraissent pas franchement majeurs. Les français paient l’impôt et le système de recouvrement de l’impôt est très efficace. C’est souvent un argument évoqué par les agences de notations lorsqu’elles analysent la situation budgétaire de la France. Et ce système donnait satisfaction. Surtout les efforts de modernisation ont été spectaculaires ces dernières années avec la déclaration électronique des revenus et le paiement possible à partir de son smartphone. Les innovations mises en place sont efficientes et relèvent du tour de force.
Quel avantage y aura t il à passer au prélèvement à la source? S’il apparaissait souhaitable de séquencer mensuellement les paiements au lieu du système des trois tiers, il était possible de rendre la mensualisation obligatoire.
2 – L´environnement des français a changé de façon profonde.
Les chocs technologiques ont bouleversé la vie privée et la vie professionnelle de chaque français. Le monde n’est plus le même car la Chine prend une place de plus en plus importante dans la production mondiale bousculant le mode de fonctionnement de l’économie. La crise de 2008 puis celle de 2012 spécifique à la zone Euro ont modifié en profondeur les rapports sociaux au sein des entreprises. Le marché du travail change encore provoquant une plus grande vulnérabilité pour ceux soumis aux contrats courts (30% des CDD ont une durée d’un jour ou moins).
Les français se sont adaptés mais ils ont besoin de repères stables. S’il n’y a pas de bénéfices macroéconomiques à la réforme des prélèvements sur le revenu, était-il nécessaire de bousculer cette institution au risque d‘engendrer de l’incertitude et des comportements forcément différents.
3 – La période d’adaptation et de transition sera source d’incertitude.
Un premier aspect est l’illusion nominale. La baisse du chiffre du salaire versé, en bas à droite de la fiche de paie, va provoquer de la confusion. D’un seul coup chacun se sentira moins riche même si l’on sait rationnellement que, toutes choses égales par ailleurs, le montant de l’impôt sur l’année ne sera pas affecté par le mode de prélèvement. Ce phénomène peut être très important pour les cadres supérieurs qui paient des impôts élevés dont le financement est généralement lié au bonus touché à la fin du premier trimestre.
Il y a aussi tous ceux qui ne payait pas d’impôts mais qui vont en payer tout au long de 2019. Ce sont ceux qui généralement bénéficiait de déductions fiscales suite à des placements ou des dépenses bien spécifiques. Ces déductions, qui permettait pour certains de ne pas payer d’impôts sur le revenu, ne seront faites qu’en 2020. Cela grèvera de façon inefficace en 2019 le pouvoir d’achat des contribuables qui ont utilisé les facilités proposées par l’administration fiscale. Celle ci n’a jamais hésité à mettre en œuvre ces facilités pour orienter les comportements. Il y a là une pénalisation directe en utilisant les incitations de l’administration.
4 – Des effets négatifs sur la conjoncture.
Ce changement dans le mode de prélèvement pourrait avoir, pour les raisons évoquées au point précédent, des effets négatifs sur le comportement de dépenses des ménages. Mais c’est sans compter le budget d’austérité qui sera mis en œuvre pour l’année prochaine si l’on suit le programme proposé par Edouard Philippe dans son interview au JDD. De la sous indexation des retraites à l’incitation au travail mais pas à l’emploi par le biais de la desocialisation des heures supplémentaire, le programme gouvernemental ne plaide pas pour impulsion interne forte favorable à l’expansion de l’activité. Dans ces conditions imaginer une croissance qui serait bien au delà de la croissance potentielle à 1.7% est illusoire.