par Thibault Mercier, Economiste chez BNP Paribas
• Malgré l’embellie conjoncturelle, l’inflation sous-jacente ne présente toujours pas de signes d’accélération en zone euro.
• Le taux de chômage se rapproche pourtant de son niveau « structurel », à partir duquel salaires et prix sont supposés s’animer.
• Reste que le taux de chômage pourrait ne donner qu’une image partielle des capacités de production sous-employées.
• En retenant des mesures plus larges, incluant le temps partiel subi ou le « chômage de l’ombre », celles-ci pourraient atteindre le double du niveau mesuré par le chômage.
Malgré l’embellie conjoncturelle, les indices de prix ne présentent toujours pas de signes convaincants de redressement en zone euro. Le pic du mois d’avril, qui a vu l’inflation sous-jacente (i.e. hors alimentation et énergie) bondir de 0,5 point à 1,3%, est temporaire, lié à des effets calendaires (les vacances de Pâques avaient lieu en mars l’an dernier mais en avril cette année).
Fondamentalement, la faiblesse de l’inflation renvoie au déficit d’activité et d’emploi qui caractérise toujours la zone euro. Ce déficit se traduit par une progression lente des salaires et une politique de prix bas menée par les entreprises, désireuses de maintenir leurs parts de marché dans un contexte de demande fragile. Pour que la reprise entre dans sa phase inflationniste, il faut que la situation sur le marché du travail s’améliore davantage, jusqu’au point où, du fait d’une raréfaction de la main d’œuvre disponible, les négociations salariales débouchent sur une augmentation des salaires réels. Des hausses de pouvoir d’achat contribuent alors à une demande plus robuste, ce qui permet aux entreprises de répercuter plus facilement la hausse de leurs coûts de production sur leurs prix de vente, suscitant en retour de nouvelles hausses de salaires et ainsi de suite.
En principe, cette boucle prix-salaire se matérialise à partir du moment où le taux de chômage atteint son niveau dit « structurel », encore appelé « taux de chômage qui n’accélère pas l’inflation » (non-accelerating inflation rate of unemployment, NAIRU). Ce taux de chômage n’est pas observable ex ante. En fait, on constate qu’une économie s’en approche, et a fortiori le dépasse, lorsque les salaires commencent précisément à accélérer. Cela n’empêche pas la plupart des institutions économiques de chercher à estimer le NAIRU. Ces estimations partent des relations statistiques passées entre évolution des salaires et taux de chômage. Elles tentent d’y d’incorporer d’éventuelles modifications de la structure de l’économie, liées à des changements institutionnels (modalités de négociations salariales, degré de concurrence sur les marchés des biens et services, etc.) ou technologiques (une hausse des gains de productivité tendanciels contribue, par exemple, à réduire le chômage structurel en permettant d’octroyer des hausses de salaires réels sans générer d’inflation).
L’OCDE calcule un taux de chômage structurel en zone euro à 8,8% en 2017, c’est-à-dire 0,7 point en deçà du niveau aujourd’hui constaté. Si l’on se fie à cette estimation et que la tendance à la baisse du taux de chômage se poursuit au rythme actuel, l’économie européenne devrait entrer dans une phase de « reflation » entre le T4 2017 et le T1 2018. Dans cette optique il est logique que la Banque centrale européenne commence à étudier les modalités de retrait de ses mesures de soutien à l’économie.
Le redressement de l’inflation pourrait toutefois prendre davantage de temps, comme le suggère un article publié récemment dans le bulletin mensuel de la BCE1. Les auteurs s’interrogent sur la faible réactivité des salaires à ce stade du cycle. Selon eux, le taux de chômage ne donnerait qu’une image partielle du niveau des capacités de production sous-employées. En tenant compte du temps partiel subi (par les personnes à temps partiel désirant travailler plus) et des personnes sans emploi mais non répertoriées comme chômeurs (des personnes qui accepteraient un emploi sans être en recherche active), le taux de chômage s’établirait aux alentours de 18%. Il s’agit bien sûr d’une mesure incertaine et, comme le précisent les auteurs, il est possible qu’une partie des «chômeurs de l’ombre» ne possèdent pas les qualifications suffisantes pour retrouver un emploi. Reste que, même en retenant un périmètre plus restreint, ils estiment un taux de sous-utilisation du travail à 15% de la population active. Si tel était le cas, le rétablissement du marché du travail, tout comme la normalisation de la politique monétaire, prendraient beaucoup plus de temps que prévu.
NOTES
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https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/other/ebbox201703_03.en.pdf
Notons que les vues exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles des membres du Conseil des gouverneurs de la BCE.