par Sylvain Broyer, Costa Brunner, Jean-Christophe Caffet, Jésus Castillo et Cédric Thellier , économistes chez Natixis
La fin d’année 2008 a été marquée par une nette contraction de l’activité. Nous revenons ici sur cet arrêt soudain des économies européennes, et notamment sur l’effondrement sans précédent des exportations. Si les contraintes de financement pèsent à la fois sur l’offre et la demande de biens et services, nous montrons que celles pesant directement sur les flux (trade credit) sont également responsables du gel actuel du commerce mondial.
Arrêt soudain de la croissance au T4
Conformément aux attentes, la vive contraction du PIB sur les trois derniers mois de l’année en zone euro est essentiellement expliquée par le recul conjugué de l’investissement total, productif et construction (-2,7% T/T soit une contribution négative à hauteur de 0,6 point de PIB) et surtout du commerce extérieur (-7,3% pour les exportations et -5,5% pour les importations sur le trimestre, soit une contribution nette de -0,9 point de PIB, la plus forte jamais enregistrée depuis la création de l’UEM). Plus surprenants ont été les chiffres de la consommation, aussi bien privée que publique, avec un repli bien plus marqué qu’attendu (respectivement -0,9% et -0,6% T/T). Il semble notamment que la forte dégradation observée en fin d’année sur la plupart des marchés du travail européens ait incité les ménages à épargner (motif de précaution), limitant ainsi leurs dépenses de consommation malgré la forte désinflation observée sur la période. Parallèlement, les stocks ont surpris nettement à la hausse, avec une contribution positive de 0,6 point de PIB.
La très forte chute de la production industrielle sur la période suggérait pourtant un déstockage significatif de la part des entreprises. C’est d’ailleurs ce que l’on a observé :
• en France, avec une contribution négative des stocks de l’ordre de 1 point de PIB, parallèlement à la consommation des ménages qui, faisant exception au sein de la zone, est demeurée positive sur la période (+0,5% T/T).
• en Espagne, avec une contribution négative des stocks de l’ordre de 0,6 point de PIB.
En revanche, si les chiffres ne sont pas encore disponibles pour l’Italie, il est vraisemblable que la contribution des stocks ait été positive, en dépit du recul marqué de la production industrielle, en raison de l’effondrement de la consommation des ménages (-0,7% prévu T/T) et de l’investissement des entreprises (-4,6% T/T).
Concernant l’Allemagne enfin (contribution positive de 0,5 point de PIB au T4 2008), la volatilité des stocks est certes récurrente, mais n’en demeure pas moins difficilement prévisible(1).
Cette hausse inattendue des stocks en fin d’année nous a conduits à réviser sensiblement à la baisse nos prévisions de croissance en zone euro (à -2%), dans la mesure où le premier trimestre 2009 devrait se traduire par du déstockage. Nous restons toutefois plus optimistes que la BCE dont les prévisions de croissance ont été très fortement révisées en baisse par rapport à décembre dernier (-2,7%, contre -0,5% auparavant).
Effondrement généralisé du commerce extérieur
Reflet de l’effondrement généralisé du commerce mondial enregistré au T4 20082, le très fort recul des exportations de la zone euro affecte l’ensemble des biens et des zones d’exportation.
Ce recul très marqué des échanges s’explique essentiellement par les difficultés relatives au financement :
- de l’offre domestique. Notons à cet égard que les stocks de produits finis ont baissé en fin d’année (sauf en Italie), la contribution positive des stocks révélée par les comptes du T4 nous semblant essentiellement liée au recul moins prononcé des importations (-5,5% T/T, contre – 7,3% pour les exportations).
- de la demande chez nos principaux partenaires commerciaux, d’où l’effondrement des commandes à l’export.
- des flux commerciaux entre exportateurs et importateurs (trade finance).
Forte contraction des financements à l’export
Dans la mesure où les délais peuvent être relativement longs entre d’une part la production, le transport et la livraison des biens et d’autre part la réception du paiement par l’exportateur, la grande majorité des échanges à l’échelle mondiale se fait à crédit (généralement à court terme, entre 90 et 180 jours). Ces crédits peuvent être intermédiés ou non, selon que l’entreprise exportatrice exige de l’entreprise importatrice une lettre de crédit (principalement) de sa banque, ou que les deux parties recourent à des modes de financement désintermédiés (billets à ordre ou lettres de change)3. La concurrence entre exportateurs reposant de plus en plus sur les facilités de paiement accordées aux importateurs, le recours à ce type financement s’est particulièrement intensifié ces dernières années : en zone euro, l’encours des seuls crédits à l’export de court terme a progressé de près de 40% en moins de quatre ans, passant de 220 Mds d’euros début 2005 à près de 310 Mds au troisième trimestre 2008(4).
L’évolution des encours de crédit export au T4 2008 n’est pas encore connue. S’agissant plus particulièrement des crédits à l’export assurés (5), dont les chiffres du T4 2008 sont d’ores et déjà disponibles, on note une forte contraction des encours sur les trois derniers mois de l’année, signe que la crise financière et la forte hausse de l’aversion pour le risque en fin d’année (Lehman) n’ont pas été sans effet sur les crédits à l’export distribués.
Les causes d’une contraction violente des crédits à l’export ont fait l’objet de nombreuses études(6) depuis les crises asiatique, russe et latino-américaine de la fin des années 90 et du début des années 2000. Principalement focalisées sur les pays émergents, leurs conclusions peuvent néanmoins s’appliquer aux économies développées :
- La fragilité du système bancaire, conjointement à l’application de règles prudentielles restrictives (Bâle 2), est un cadre propice à une contraction de l’offre de crédit à l’export.
- En période de stress bancaire, la confusion entre risque de crédit et risque-pays est souvent associée à un retrait significatif des capitaux dédiés au financement des échanges. A cet égard, la pro-cyclicité des notations des agences de rating joue un rôle déterminant dans l’offre de crédit à l’export.
- Le comportement moutonnier des opérateurs privés (herd behaviour), dans un environnement où l’incertitude sur la santé financière des entreprises est élevée (hors bilan), aggrave la pénurie de crédit à l’export (tout en l’assujettissant aux rumeurs de marché).
- La concentration du secteur bancaire a fortement réduit le nombre d’intervenants sur un segment de marché parmi les moins profitables.
Afin d’endiguer le recul de leurs exportations, les autorités (gouvernements, banques centrales, institutions financières internationales…) des pays précédemment affectés par une violente contraction de l’offre de crédit à l’export étaient alors intervenues pour garantir, ou financer directement, les exportations de leurs entreprises(7). En Europe, la BERD est ainsi intervenue en 1999 (crise Russe) pour garantir les lignes de crédit à l’export des banques étrangères vis-à-vis des pays d’Europe centrale et orientale (pour près d’un milliard d’euros). La sécurisation des financements avait alors permis la reprise des flux commerciaux, condition nécessaire à un redémarrage pérenne de l’activité.
NOTES
(1) Voir Special Report n° 2008-42 : « Forte surproduction de l’économie allemande au premier trimestre : biais statistique ou phénomène réel ? »
(2) Sur ce sujet, voir le Flash n°2009-86 : « l’arrêt soudain des économies développées au quatrième trimestre 2008 : un cas de figure historique ».
(3) Pour une typologie des différents instruments de financement des exportations, voir : « Improving the availibility of trade finance during financial crises », WTO (2003).
(4) Zone euro hors Espagne, Chypre, Malte et Luxembourg.
(5) Afin de se couvrir contre le risque commercial (rejet de la marchandise, risque de transport, de non paiement, de faillite de l’entreprise importatrice ou de la banque émettrice de la lettre de crédit…) et politique (convertibilité de la devise…), les entreprises exportatrices des pays développés (notamment) ont recours à des assureurs et/ou des agences de crédit export publics ou privés.
(6) Voir notamment : « Trade finance in financial crises : Assesment of key issues », IMF (2003), ou « Access to trade finance in times of crisis », IMF (2005).
(7) Pour un survey des mesures prises dans les différents pays, voir WTO (2003), op.cit.