par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas
En mai, l’inflation est tombée à zéro, un nouveau plus bas historique, essentiellement grâce à des effets de base liés à l’énergie, mais également à une nette diminution de l’inflation sous-jacente.
Les effets de base liés à l’énergie (essentiellement) et aux denrées alimentaires continuant d’exercer des pressions à la baisse sur les prix, l’inflation passera en territoire négatif cet été.
L’inflation devrait néanmoins rebondir au quatrième trimestre 2009, les effets de base commençant alors à jouer en sens inverse. En revanche, l’inflation sous-jacente devrait rester orientée à la baisse cette année et l’année prochaine.
Jean-Claude Trichet, président de la BCE, a souligné à plusieurs reprises que de courtes périodes d’inflation négative seraient sans incidence sur la politique monétaire.
Pour le moment, la BCE semble vouloir se donner le temps d’évaluer l’effet sur l’économie des mesures décidées, conventionnelles comme non conventionnelles.
L’inflation à un plus bas record en mai en raison…
Après avoir marqué une pause en avril, l’inflation a recommencé à baisser en mai, tombant à un plus bas historique de 0%, contre 0,6% le mois précédent.
….de la baisse des prix de l’énergie ….
L’analyse des composantes montre que les effets de base liés à l’énergie ont nettement contribué à la chute de l’inflation. Le prix du baril qui avait fait un bond de 3,6% m/m en mai 2008, n’a augmenté que de 0,4% m/m en mai 2009. Les prix de l’énergie ont reculé de 11,6% g.a., réduisant l’inflation totale d’environ 0,3 point. Les prix alimentaires ont également apporté leur contribution à la baisse de l’inflation, à hauteur d’environ 0,1 point.
….et de la diminution de l’inflation sous-jacente
L’inflation sous-jacente, qui exclut les composantes les plus volatiles de l’IPCH, telles que l’énergie et les produits alimentaires, a également accusé un recul significatif à 1,5% en mai contre 1,8% en avril. Le tassement de l’inflation sous-jacente en mai était attendu, l’augmentation enregistrée le mois précédent étant due principalement au fait que Pâques avait eu lieu plus tôt dans l’année en 2008. En dépit d’une certaine volatilité, l’inflation sous-jacente poursuit une tendance baissière.
Les moyennes d’inflation calculées au niveau de la zone euro masquent les écarts entre pays. En Allemagne, en France et en Italie, l’inflation sous-jacente diminue quoique modérément. La baisse est beaucoup plus prononcée en Espagne, au Portugal, en Grèce et en Irlande.
La compétitivité de ces pays a nettement baissé au cours des dernières années, avec la hausse significative des coûts unitaires de la main-d'œuvre. C’est ce qui a contribué à créer d’importants déficits des comptes courants, notamment en Espagne, en Grèce et en Irlande. Au sein d’une union monétaire, la correction de ces déséquilibres ne se fait pas par le biais du taux de change mais par les prix. La crise financière semble avoir accéléré le processus de correction. L’éclatement de la bulle immobilière en Espagne et en Irlande a fait basculer ces deux pays dans une grave récession. En Irlande, l’inflation sous-jacente a été négative au cours des trois derniers mois et en Espagne elle a reculé à 1,1% en mai, contre un niveau encore supérieur à 2% en décembre 2008.
Des taux d’inflation négatifs cet été
L’inflation passera probablement en territoire négatif cet été dans la mesure où les effets de base liés à l’énergie et aux produits alimentaires continuent d’exercer des pressions à la baisse sur l’inflation (les estimations flash pour le mois actuel seront publiées le mardi 30 juin). Par la suite, l’inflation devrait rebondir au T4 2009, les effets de base évoluant alors dans la direction opposée.
Même si l’inflation devient négative cet été, il ne saurait s’agir de déflation. La déflation implique en effet une baisse généralisée des prix. Comme indiqué plus haut, l’inflation négative que l’on observera cet été sera principalement due à l’évolution des prix de l’énergie et, dans une moindre mesure, aux prix des denrées alimentaires.
Les salaires devraient ralentir avec la détérioration du marché du travail
L’activité devrait rester extrêmement faible dans les prochains trimestres. Ce n’est qu’au second semestre 2010 que le PIB devrait renouer avec un rythme de croissance solide. Quoiqu’il en soit, celui-ci restera probablement bien inférieur au taux potentiel. Les destructions d’emplois sont attendues en nette hausse. D’après les dernières données disponibles, l’emploi a connu une contraction de 0,8% t/t au premier trimestre 2009, la pire performance enregistrée.
Comme l’emploi accuse un décalage par rapport au cycle, il devrait poursuivre sa chute au cours des prochains trimestres. Le taux de chômage est donc appelé à augmenter sensiblement ; à 9,2% en avril, niveau le plus élevé depuis près de 10 ans, il pourrait s’établir en fin d’année aux environs de 11% et croître encore en 2010.
La détérioration du marché de l’emploi va probablement entraîner une modération des salaires et, partant, exercer des pressions à la baisse sur les prix dans les secteurs les plus utilisateurs de main-d’œuvre comme les services. La croissance des rémunération par salarié a d’ores et déjà commencé à se replier dans tous les secteurs. Compte tenu de l’important retard que présente l’évolution des salaires par rapport à celle du marché du travail, il faut s’attendre à ce que les rémunérations ralentissent de manière bien plus significative vers la fin de 2009 et en 2010.
La croissance des coûts unitaires de main-d'œuvre est restée robuste ; à noter toutefois que l’augmentation rapide des derniers trimestres est due à la chute de la productivité. Cela est constaté à chaque fois que l’économie marque le pas ou, pire, se contracte.
Toutefois, le phénomène est particulièrement marqué dans la récession actuelle (les gains de productivité ont reculé de 3,6% g.a. au T1 2009, après -1,6% g.a. et une stagnation au cours des deux trimestres précédents), compte tenu de l’effondrement de l’activité.
L’inflation sous-jacente devrait continuer à baisser
Dans l’ensemble, la contraction de la demande et la hausse du chômage vont accroître les pressions à la baisse sur les prix. Les données économiques publiées récemment corroborent ce point de vue. D’après l’enquête de la Commission européenne, les anticipations de prix des entreprises se sont effondrées au cours des derniers mois, sous l’effet de perspectives peu engageantes pour l’activité économique, de la baisse des prix des intrants et de la contraction de la demande. Par conséquent, la progression annuelle des prix à la production hors énergie a considérablement baissé. Ces tendances vont se répercuter sur les prix de détail, avec un certain délai. Dans ces conditions, nous tablons sur la poursuite du ralentissement de l’inflation sous-jacente. Toutefois, le degré de persistance de celle-ci étant particulièrement élevé, le repli s’effectue à un rythme modéré.
Cependant, l’inflation sous-jacente pourrait devenir négative vers le milieu de l’année 2010, et le demeurer quelques mois réagissant alors, avec le délai habituel, au creusement de l’output gap et à la montée du chômage.
En revanche, l’inflation totale restera certainement supérieure à l’inflation sous-jacente tout au long de l’année prochaine, en ligne avec l’augmentation modeste mais régulière des prix du pétrole et des autres matières premières. Toutefois, les risques d’effets de second tour seront très limités compte tenu de la forte sous- utilisation des ressources (output gap, chômage).
Conséquences pour la politique monétaire
En maintes occasions, Jean-Claude Trichet, Président de la BCE, a indiqué qu’une courte période d’inflation négative cet été serait sans incidence sur la politique monétaire, dans la mesure où elle a été largement anticipée et où elle devrait être, selon les prévisions, temporaire. Pour le moment, la BCE semble vouloir se donner le temps d’évaluer l’effet sur l’économie des mesures décidées, conventionnelles comme non conventionnelles. Depuis octobre 2008, la Banque Centrale Européenne a abaissé son taux refi de 325 pb à 1%. En outre, depuis la mi-octobre 2008, les opérations principales de refinancement hebdomadaires comme les opérations de refinancement à plus long terme sont menées par le biais d’une procédure d’appel d’offres à taux fixe, la totalité des soumissions étant servie au taux appliqué aux opérations principales de refinancement. Enfin, le Conseil des gouverneurs a décidé, lors de sa réunion du 7 mai, d’étendre de 6 à 12 mois la maturité maximale des opérations de refinancement à long terme.
Le 24 juin, la Banque a procédé à la première opération de refinancement à long terme (ORLT) assortie d’une échéance à un an, avec attribution intégrale, sur la base d’un taux d’intérêt fixe de 1%. La demande de liquidité a été bien supérieure (EUR 442,2 mds) qu’au cours des dernières opérations à long terme de maturité de 3 et 6 mois et le nombre de soumissionnaires a bondi (1121 établissements). En juillet, la Banque lancera son programme d’achat d’obligations sécurisées (covered bonds) libellées en euros pour un montant de 60 MdEUR.
Pour le Conseil des gouverneurs, le niveau actuel des taux directeurs est approprié, laissant ainsi entendre que le statu quo va être maintenu pendant un moment. Cependant, la Banque n’exclut pas totalement de nouveaux gestes ; le Conseil n’a en effet pas décidé que le niveau de 1% constituait le plancher du taux refi.
Anticipations d’inflation et politique monétaire
L’adoption de mesures ultérieures par la BCE dépendra essentiellement de l’évolution des anticipations d’inflation. Les anticipations d’inflation à long terme (à 5 ans) telles qu’elles ressortent de l’enquête des prévisionnistes professionnels, sont conformes à l’objectif que s’est fixé la BCE pour l’inflation et la stabilité des prix à moyen terme. Les points morts d’inflation implicite à 5 ans, souvent cité par la BCE parmi les mesures des anticipations d’inflation, se situent également autour de 2%. Toutefois, quelques précautions s’imposent. Les anticipations d’inflation à long terme, issues de l’enquête des prévisionnistes professionnels, peuvent être entachées d’un biais. On ignore en effet si les prévisions des professionnels reflètent correctement les anticipations d’inflation à 5 ans ou simplement la définition de la stabilité des prix donnée par la BCE. De plus, les points morts d’inflation et les points morts d’inflation implicites sont soumis à une certaine distorsion, la volatilité ayant été plutôt élevée au cours des derniers mois. Par ailleurs, ces indicateurs ne reflètent peut-être pas seulement les anticipations d’inflation basées sur le marché, mais aussi d’autres éléments, tels que les primes de risque et autres facteurs de marché.
D’autres mesures montrent le repli des anticipations d’inflation. Les prévisionnistes professionnels ont sensiblement revu à la baisse leurs projections pour cette année et la suivante et les anticipations tirées des enquête menées auprès des ménages ont en effet chuté à 0% en mai, un nouveau plus bas record.
Les anticipations d’inflation pourraient diminuer encore dans les prochains mois. De fait, l’inflation réelle a un impact sur la manière dont les agents économiques élaborent leurs anticipations. Dès lors, le reflux des prix à la consommation pourrait pousser à la baisse les anticipations d’inflation. Or si les anticipations d’inflation se replient sensiblement, l’inflation pourrait également reculer dans un processus auto-alimenté. Si les anticipations d’inflation diminuent encore au point de ne plus être conformes à l’objectif de stabilité des prix à moyen terme, on peut s’attendre à ce que la Banque adopte d’autres mesures pour stimuler l’économie et ramener les anticipations sur l’objectif à moyen terme.