par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
L’opération de refinancement de très long terme de la Banque Centrale Européenne fin décembre a contribué à rassurer les investisseurs en éloignant le risque de crise de liquidité et en corollaire de défaut bancaire. Elle n’est cependant pas la solution à tous les problèmes de la zone euro.
En mettant en place une facilité exceptionnelle de prêt pour les banques – ces dernières se sont financées à environ 1% pour une durée de trois ans- la BCE avait probablement plusieurs objectifs : éviter une crise de liquidité et potentiellement un défaut bancaire dans un contexte de très forte augmentation du coût de la liquidité sur le marché (les écarts de taux sur les dettes seniors et les obligations sécurisées des banques ont très fortement augmenté depuis l’automne) mais également empêcher un rationnement du crédit pour les agents privés. Sil elle a clairement atteint le premier objectif, il est loin d’être sûr qu’elle atteigne le second.
Même si l’allocation de la liquidité sur trois ans par la BCE a largement soulagé les banques, rappelons que 489Md€ ont été demandés à la BCE en décembre, cela n’a pas suffi à stopper, pour le moment, le mouvement de durcissement des conditions de crédit.
En effet, la dernière enquête de la Banque Centrale Européenne sur les conditions d’accès au crédit, qui a été menée du 19 décembre au 9 janvier auprès des principaux établissements financiers de la zone euro, montre un très net durcissement des conditions d’octroi de prêt. Le pourcentage de banques resserrant leurs conditions est passé de 16% au T3-2011 à 35% au T4- 11 pour les prêts aux entreprises et de 18% à 29% pour les prêts immobiliers aux ménages.
Tous les pays sont touchés par ce durcissement sauf l’Allemagne ! Par ailleurs, les banques déclarent également avoir augmenté les taux demandés sur les prêts. Enfin, les banques attendent une poursuite de ce resserrement dans le trimestre à venir. Or l’enquête a été menée en grande partie après le LTRO 3 ans du 22 décembre. La deuxième opération à trois ans prévue fin février devrait encore rencontrer un vif succès mais il est loin d’être sûr que cela améliore significativement les conditions de crédit pour les entreprises et les ménages européens.
Il faut rappeler que, outre les difficultés à trouver des financements dans le marché, les banques sont également confrontées à de nombreuses contraintes en termes de ratios prudentiels (Bâle 3). Le ratio de capitaux propres a été renforcé et deux ratios de liquidité ont été introduits contraignant les banques à détenir davantage d’actifs liquides (LCR1) et à avoir un montant de financement stable disponible (capital, dépôts,…) plus élevé (NSFR2). En conséquence, il est loin d’être acquis que les banques utilisent leurs liquidités pour faire davantage de crédits à l’économie.
Comme nous le mettions en avant dans notre édito d’octobre dernier3, le risque de « credit crunch » est en train de se matérialiser dans la zone euro, même si son intensité semble pour le moment moins forte qu’en fin d’année 2008/début d’année 2009.
Avec le durcissement budgétaire, le resserrement des conditions de crédit constitue le principal frein pour la croissance de la zone euro en 2012. Cela signifie que ménages et entreprises rencontrent davantage de difficultés pour trouver des financements pour investir et que leurs coûts augmentent sensiblement. D’ailleurs, ils réagissent à cette dégradation des conditions de crédit en diminuant leur demande. L’enquête BCE révèle une baisse de la demande des ménages pour les prêts immobiliers à -27% au T-11 après -24% le trimestre précédent. Au total, la zone euro enregistrerait une croissance de -0,3% en moyenne annuelle en 2012. Après l’épisode récessif du T4-11 et du T1-12 (les chiffres de PIB du T4-11 seront publiés ces prochaines semaines), la croissance ne devrait pas repartir très fortement en deuxième partie d’année.
Ainsi, il n’est pas sûr que les actions exceptionnelles de la BCE visant à rétablir les canaux de transmission de la politique monétaire atteignent leur objectif dans leur soutien à la demande.
NOTES
- Liquidity Coverage ratio
- Net stable funding ratio
- CF : Edito du 14/10/11 « Zone euro : credit crunch en vue ! »