Zone euro : « Lost in stagnation »

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Les dernières enquêtes publiées dans la zone euro ont continué de décevoir avec une nouvelle baisse des PMI dans la plupart des pays et un recul des indices de confiance en Allemagne (ZEW, IFO). Même cette dernière commence à montrer des signes d’affaiblissement. Le retournement des indicateurs déjà visible ces derniers mois se confirme suggérant que la croissance du PIB risque de rester très faible au T3-2014 (proche de 0,2% T/T) après la stagnation du T2. La faiblesse du commerce mondial et la multiplication des risques géopolitiques pèsent sur la croissance de la zone euro, notamment via la prudence en termes d’investissement.

Les nouvelles décevantes en provenance de la zone euro conduisent à une vague de révision en baisse des projections de croissance pour 2014 et 2015. Alors que l’OCDE a revu récemment ses prévisions à 0,8% pour 2014 et 1,1% pour 2015 qui sont maintenant proches des nôtres, le consensus ajuste progressivement les siennes (à respectivement 0,9% et 1,5%). Toutefois, il nous semble que ces dernières restent encore trop optimistes pour 2015.

Pourquoi attendre une légère accélération de la croissance l’année prochaine alors que tous les signaux semblent virer au rouge ?

La principale raison tient au tournant des politiques économiques. En effet, le policy-mix de la zone euro devrait devenir plus expansionniste dans les mois qui viennent et en 2015, marquant une certaine rupture avec la situation passée.

D’une part, le changement de ton est assez clair du côté des politiques budgétaires même si l’Allemagne reste ferme sur le fait que les pays doivent continuer à assainir leurs finances publiques. Les autorités européennes semblent assouplir leur vision et enclines à accepter un report des objectifs budgétaires de façon à éviter un nouveau choc négatif. En effet, les objectifs de déficit public dans les plans pluriannuels, et c’est notamment le cas de la France, ont été construits avec des hypothèses de croissance bien trop élevées. Pour les tenir, il faudrait des efforts structurels supplémentaires pour compenser l’ouverture (ou la moindre fermeture) du déficit cyclique.

Globalement, les politiques budgétaires seront moins défavorables à la croissance. De plus, les autorités européennes souhaitent mettre en place un programme d’investissement de 300Md€ sur 3 ans (soit environ 1% de PIB par an) pour relancer la croissance mais pour le moment son financement reste encore flou. Même la BCE s’est montrée, par la voix de son président M. Draghi, en faveur de davantage de souplesse pour les politiques budgétaires.

D’autre part, le changement de discours de la BCE est également important. En prenant de nouvelles mesures début septembre (cf. « Le nouveau pari de la BCE ») avant même le lancement de son premier TLTRO1, la BCE a montré sa volonté d’assouplir davantage sa politique monétaire avec un objectif d’augmentation de la taille de son bilan d’environ 1 000Md€. Les détails des programmes d’achat d’ABS et de covered bonds devraient être annoncés la semaine prochaine. L’objectif est de donner un soutien à l’économie réelle en la finançant directement (prise d’une partie du risque au bilan avec les ABS) et en évitant qu’il y ait une demande de crédit non satisfaite (notamment dans les pays du sud). L’incertitude est encore grande aujourd’hui sur l’impact que pourraient avoir ces mesures qui dépendra aussi du comportement des banques. Le but est également de favoriser la dépréciation du taux de change pour tirer l’inflation à la hausse, ancrer les anticipations d’inflation et aider les pays à regagner en compétitivité.

Si ce virage des politiques économiques est une bonne nouvelle pour la croissance à court terme, permettant de compenser certains effets négatifs de la mise en place de réformes structurelles, il n’est toutefois pas la solution aux problèmes de la zone euro. En particulier, sa croissance potentielle est modeste, conséquence de la faiblesse des gains de productivité et d’une évolution défavorable de la démographie (la population en âge de travailler (20-60ans) diminue depuis la fin de la dernière décennie).

Les réformes structurelles sont indispensables pour améliorer le potentiel de croissance de long terme de la zone euro, en favorisant notamment l’investissement, l’innovation, l’éducation et en améliorant le fonctionnement des marchés du travail,…en attendant les nécessaires avancées institutionnelles…

NOTES

  1. TLTRO : Targeted long term refinancing operations

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