par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole
Le plan anticrise dévoilé jeudi matin ne recèle aucune surprise. Avant tout soulagés de ne pas avoir été déçus, les marchés ont réagi très positivement à son annonce. Mais, pour savoir si l’Europe a vraiment trouvé la thérapie miracle, il faudra laisser passer le temps de la digestion et connaître les détails de la mise en œuvre de ce plan pour juger de son efficacité.
Les chefs d’Etats et de gouvernements ont enfin dévoilé les grandes lignes de leur plan anticrise. Si les détails techniques manquent encore à l’appel, les grands principes sont là, avec comme espéré une logique tridimensionnelle comprenant :
- le décuplement de la capacité de tir du FESF,
- une décote plus importante sur la dette grecque,
- et, la recapitalisation du secteur bancaire.
Au terme de tractations apparemment ardues, les créanciers privés ont a priori accepté d’effacer 50% de leurs créances sur la Grèce via un échange volontaire de titres début 2012. La nouvelle décote est calibrée de manière à ramener le ratio de dette grecque à 120% à horizon 2020 (contre 145% en 2010), ce qui reste dans l’absolu un niveau élevé. Cependant, les concessions tarifaires et l’allongement des maturités devraient au moins permettre d’alléger les problèmes de soutenabilité de la dette grecque.
Il est en effet urgent de réduire et de lisser dans le temps le poids des ajustements budgétaires de manière à libérer des forces de croissance, seule garante à terme de la viabilité des finances publiques. En contrepartie, l’Union devrait abonder ce programme d’échanges en offrant des garanties pour un montant de 30 Mds d’euros. A cela vient s’ajouter une participation officielle à ce plan de sauvetage de 100 milliards d’euros qui inclut le besoin de recapitalisation des banques grecques (lesquelles pour la plupart n’ont pas les moyens d’absorber les pertes liées à cet effacement de créances).
Par ailleurs, des mécanismes de rehaussement de crédits seront mis en place afin que le système bancaire grec continue à avoir accès aux opérations de refinancement de la BCE. Même s’il n’est pas encore question de mise sous tutelle, l’étau se resserre sur l’Etat grec. Les mécanismes de surveillance vont être renforcés avec la présence sur le terrain d’une équipe dédiée (composée d’experts étrangers et nationaux) qui pourra offrir conseils et assistance au gouvernement grec pour mettre en œuvre le programme de réformes mais aidera aussi la Troïka à en évaluer la conformité.
Conséquence de cette décision, il est convenu de renforcer les fonds propres des banques pour absorber ces pertes mais aussi pour faire face à un environnement de marchés adverse. L’objectif quantitatif est un ratio minimum de fonds propres (Core Tier one) de 9%, auquel vient s’ajouter un coussin de sécurité, défini en fonction des expositions aux risques souverains évaluées en valeur de marché au 31/09. Le montant total des recapitalisations nécessaires est estimé autour de 106 Mds d’euros.
Pour atteindre cette cible, les banques devront en priorité utiliser des sources privées de capitaux avant de se tourner vers les Etats et en dernier recours vers le fonds de sauvetage européen (le FESF). Il est fait explicitement mention d’une limitation des bonus et des dividendes versés tant que l’objectif réglementaire n’est pas atteint (normalement au 30 juin 2012) et ce afin de prévenir un deleveraging trop brutal. Pour préserver également l’activité d’intermédiation et éviter un resserrement violent du crédit préjudiciable à la croissance, la commission doit plancher sur les moyens de faciliter le refinancement à moyen terme des banques mais selon une approche coordonnée (et non discrétionnaire comme en 2008) avec des critères d’éligibilité et des conditions tarifaires communs.
Le dernier volet concerne le fonds de sauvetage européen (FESF) dont la capacité résiduelle de prêts (qui, après déduction de tous les engagements pris, est évaluée autour de 250 Mds d’euros) apparaît insuffisante pour faire face au défi de la contagion à des poids lourds de la zone, comme l’Italie ou l’Espagne. L’idée est donc de décupler sa force de frappe par 4 ou 5 (soit entre 1 000 et 1 250 Mds d’euros) via deux mécanismes distincts mais complémentaires («Monoline» versus « CDO ») avec une logique néanmoins commune d’un FESF « absorbeur » de pertes :
Le FESF pourra agir comme un rehausseur de crédit (un Monoline) en garantissant un certain seuil de pertes. Schématiquement, un certificat d’assurance partiel pourrait être attaché à toute nouvelle émission d’obligation souveraine. L’Etat émetteur, souhaitant bénéficier d’une telle garantie, devra emprunter ce montant au FESF avant de le placer dans un compte séquestre. En cas de défaut de l’Etat, le fiduciaire transférera le montant de la garantie à l’investisseur. Ce mécanisme cible le marché primaire et doit mécaniquement abaisser le coût de refinancement des Etats à finances fragiles.
Le FESF pourra également investir, au côté d’investisseurs privés, dans un véhicule de financement ad hoc (Special Vehicule Purpose), qui achète de la dette souveraine (sur les marchés, primaire ou secondaire) et émet en échange des créances de séniorité différentes (un genre de CDO). Les tranches equity, les plus risquées car assumant les premières pertes, seraient achetées par le FESF, les investisseurs privés « classiques » ayant probablement un intérêt pour les tranches, mezzanine ou senior, par nature moins risquées. En apportant de la liquidité sur les marchés, et en limitant le risque de pertes en capital pour les investisseurs privés, ce fonds dédié doit faciliter le (re)financement des Etats à des coûts réduits.
Ce plan anticrise ne recèle aucune surprise. Avant tout soulagés de ne pas avoir été déçus, les marchés ont réagi très positivement à son annonce. Mais, pour savoir si l’Europe a vraiment trouvé la thérapie miracle, il faudra laisser passer le temps de la digestion, et connaître les détails techniques de la mise en œuvre de ce plan pour juger de son efficacité. Selon nous, une restructuration plus dure de la dette était nécessaire pour soulager l’Etat et la population grecs.
Cependant, seule la décote appliquée sur la dette détenue par des créanciers privés étrangers va réellement trouver une traduction en termes de réduction du stock d’endettement, ce qui constitue un coup de pouce salutaire sans être un véritable coup de rabot (100 Mds d’euros au maximum pour un endettement total de 350 Mds d’euros). En effet, une large majorité des banques grecques exposées au risque souverain vont devoir emprunter à l’Etat ou au FESF de quoi absorber ces pertes et se recapitaliser. Autrement dit, les officiels européens n’en n’ont pas fini avec la Grèce, un pays qui va rester sous perfusion et pour longtemps…
Le décuplement de la capacité de tir du FESF est bienvenue mais tant qu’une limite existe, il est possible, voire probable, que les marchés aillent un jour ou l’autre la tester. Au risque de se répéter, seule la BCE possède à ce jour des munitions potentiellement illimitées pour être un rempart efficace contre un risque de contagion systémique. Ne pas l’admettre aujourd’hui, c’est prendre le risque de s’y résoudre plus tard dans l’urgence.
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