par Thibault Mercier, Economiste chez BNP Paribas
• La situation économique continue de s’améliorer en zone euro.
• Le retard de production accumulé depuis 2008 reste toutefois conséquent. Il se traduit par un niveau d’inflation toujours faible.
• Nous continuons de prévoir une politique monétaire durablement accommodante, caractérisée par un retrait extrêmement graduel des mesures non conventionnelles à partir de janvier 2018.
Si l’on se fie aux diverses enquêtes de confiance menées depuis le début de l’année, la croissance du PIB est clairement en voie d’accélération en zone euro. Les dernières données «dures» d’activité invitent cependant à tempérer l’optimisme ambiant. C’est le cas notamment des chiffres de production industrielle du mois de février, particulièrement décevants en France. Reste que la croissance devrait continuer de s’établir à un rythme relativement soutenu au T1 2017, supérieur au potentiel, une évolution qui ne pouvait être tenue pour acquise il y encore quelques mois : entre le vote en faveur du Brexit, la remontée des prix de l’énergie et le calendrier électoral européen, les risques semblaient clairement orientés à la baisse.
Cette bonne surprise ne doit pas, pour autant, conduire à verser dans un optimisme débridé. De fait, c’est bien sur le mode de la prudence qu’a été formulée l’appréciation des risques livrée par la BCE début mars: bien que moins prononcés, ceux-ci restent orientés à la baisse. Gageons néanmoins que, sauf accident, le prochain exercice de projection, prévu en juin, sera l’occasion pour l’institution monétaire de prendre acte d’un affermissement notable de la reprise conjoncturelle et de rehausser d’un cran l’évaluation des risques de « orientés à la baisse » à « équilibrés ». Ce sera aussi le moment d’amender la forward guidance (guidage des anticipations) en supprimant la référence à des taux directeurs possiblement plus bas à l’avenir, une nouvelle étape dans un processus graduel, très graduel, de normalisation monétaire.
En attendant, la réunion de politique monétaire de la semaine prochaine devrait sans surprise conclure au statu quo. Mario Draghi insistera une fois de plus sur l’absence de signes convaincants de remontée de l’inflation sous-jacente, ce qui revient à dire que si la zone euro va incontestablement mieux, le retard de production accumulé depuis 2008 reste important. La reprise n’est pas encore, loin s’en faut, entrée dans une phase inflationniste. En excluant les éléments volatils, les tensions sur les prix sont faibles, voire inexistantes.
Une telle analyse revient fondamentalement à distinguer la croissance du PIB et le niveau de l’activité. Ce qui importe du point de vue de la banque centrale, c’est l’évolution de l’écart entre le niveau de production constaté et le niveau potentiel auquel il devrait être. On s’attend, en effet, à ce que la banque centrale procède à un resserrement monétaire lorsque l’économie s’approche de son potentiel et que se matérialisent les premiers signes d’inflation.
La difficulté du diagnostic conjoncturel tient à ce que, contrairement au PIB, le PIB potentiel n’est pas observable : il doit être estimé à partir de méthodes et d’hypothèses qui peuvent varier fortement. Sa mesure ne fait donc pas l’objet d’un consensus. La dynamique des salaires, ralentie depuis 2009 et ne montrant aucun signe de redressement (voir graphique), suggère néanmoins que la phase de rattrapage risque d’être longue. L’expérience de l’économie américaine, très en avance sur le cycle comparé à la zone euro, tend à montrer qu’après une crise de grande ampleur le rétablissement complet du marché de l’emploi est un processus extrêmement graduel, marqué par un certain nombre de discontinuités qui allongent l’horizon de la normalisation monétaire.
Sur ces bases, nous continuons de prévoir une politique monétaire européenne durablement accommodante, caractérisée par un retrait très progressif des mesures non conventionnelles. La stratégie devrait être communiquée plus précisément en septembre prochain : la BCE pourrait annoncer qu’à partir de janvier 2018, le volume d’achats mensuels de l’assouplissement quantitatif (QE) sera réduit (EUR 45-40 mds) pour une durée minimum de six mois avant de procéder à un nouvel ajustement, et ainsi de suite.
Du fait de son effet direct sur le montant des réserves excédentaires, une prolongation importante du QE, même à un rythme moins soutenu, pourrait s’accompagner d’un resserrement du corridor (hausse de 10 points de base du taux de dépôt, refi inchangé) avant la fin des achats nets d’actifs, possiblement au cours du premier semestre 2018.