par Tristan Perrier, Recherche Macroéconomique chez Amundi
Après une longue série de déceptions en 2018, les chiffres économiques de la zone euro sont restés très mitigés début 2019. La situation devrait cependant s’améliorer au cours des prochains trimestres, grâce à la conjonction de la vigueur des revenus des ménages, d’un soutien conséquent des budgets publics et d’une dynamique du commerce mondial un peu moins faible que celle des derniers mois.
La validation de ce léger rebond, qui ne permettra pas un retour aux chiffres de croissance de 2017, nécessite toutefois que ne se déclenchent pas les importants risques que sont un Brexit sans accord et l’imposition de droits de douane américains aux exportations d’automobiles européennes. De plus, la situation politique interne reste volatile dans certains États membres.
Alors que les attentes étaient élevées, il y a un peu plus d’un an, après une année 2017 en fanfare, l’économie de la zone euro n’a pas cessé d’accumuler les déceptions depuis début 2018. Sur les 4 trimestres de l’année dernière, la progression du PIB n’a été que de 1,1 % (dont seulement 0,3 % au 2d semestre) contre 2,7 % sur les 4 précédents. L’Italie est retombée en légère récession au 2d semestre et l’Allemagne y a échappé de peu. Les chiffres parus au T1 2019 ont été mitigés, faisant état de difficultés toujours importantes dans l’industrie alors que les services et la consommation ont affiché une meilleure tenue.
Plusieurs facteurs ont contribué à ce net affaiblissement de la conjoncture
- Chacune des 3 plus grandes économies de la zone euro a connu des difficultés spécifiques. L’industrie automobile allemande a été très affectée par un changement des normes de tests anti-pollution à la jointure du T3 et du T4 (chocs dont l’effet sur la croissance a été d’environ 0,5 % du PIB pour l’ensemble de 2018). L’Italie a connu une forte incertitude politique à l’arrivée au pouvoir d’une coalition gouvernementale « antisystème » en juin 2018, enfin la France, après d’importants mouvements sociaux au printemps a vu la consommation des ménages stoppée net au T4 par la crise des « Gilets Jaunes » (pour un effet total estimé à 0,1 % sur la croissance).
- La zone euro a également, et surtout, subi le poids du ralentissement du commerce mondial, en partie dû aux effets directs (perturbation des chaînes de valeur et de l’économie chinoise) et indirects (choc d’incertitude) des mesures protectionnistes américaines. Ce ralentissement a fortement touché l’industrie européenne même si les mesures décidées à l’encontre de l’Europe sont restées très modérées (limitées à des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, les États-Unis ayant suspendu leurs menaces à l’encontre des automobiles à l’été 2018). Notons, de plus, que les exportations vers les deux importants marchés que sont la Turquie et le Royaume-Uni ont été affectées par les événements spécifiques à ces deux pays, que le niveau élevé de l’euro début 2018 a été pénalisant, et que la vigueur exceptionnelle des exportations en 2017 a été suivie d’une compensation négative l’année suivante. Au total, la contribution des exportations à la croissance du PIB de la zone euro est passée de 3,1 % sur les 4 trimestres de 2017 à 0,75 % sur ceux de 2018, révélant au passage une nette dichotomie entre, d’une part, l’Italie et l’Allemagne, très exposées aux cycles industriels mondiaux, et, d’autre part, la France et l’Espagne, moins affectées par ces développements externes en raison de la taille plus réduite de leurs secteurs manufacturiers.
- Enfin, notons que des cours du pétrole en forte hausse par rapport à l’année précédente ont également joué négativement. Malgré un net repli en fin d’année, le cours du Brent en euro a été en moyenne, en 2018, 25 % plus élevé qu’en 2017.
Alors qu’une partie de ces chocs sont à présent derrière nous, plusieurs facteurs plaident pour une ré- accélération modérée de la croissance au cours des prochains trimestres, pour autant que ne soient pas déclenchés d’importants facteurs de risques. Tout d’abord, certains des éléments ayant joué très négativement en 2018 sont de nature temporaire et devraient s’estomper. Si les défis de long et moyen terme que doit affronter l’industrie automobile allemande restent très importants, la production devrait tout de même se normaliser (si l’on entend par là l’effacement des effets spécifiquement liés au changement de norme de 2018) d’ici le début du T2. De même, l’apaisement des tensions sociales constaté en France au T1 (même s’il est prématuré de conclure à la fin complète de la crise) devrait permettre à la consommation de rebondir.
De plus, les revenus des ménages sont restés, au cours des derniers trimestres, sur une trajectoire très ascendante, dont l’effet réel devrait être amplifié en 2019 par le reflux de l’inflation. Alors même que s’accumulaient les mauvaises nouvelles concernant le PIB ou les indicateurs de conjoncture, le taux de chômage n’a pas cessé de baisser (7,8 % en janvier 2019 contre 8,6 % 12 mois plus tôt), la hausse de l’emploi, même si elle a ralenti, est restée vigoureuse (1,3 % sur les 4 trimestres de 2018 contre 1,7 % sur ceux de 2017) et, surtout, les salaires se sont maintenus, l’année dernière, sur un rythme de hausse d’environ 2 %. L’ensemble de ces chiffres peut permettre aux ménages de soutenir une hausse de la consommation réelle très supérieure à celle de 1,2 % observée l’année dernière, dans un contexte où l’inflation, mesurée sur un, est en cours de net reflux sous l’effet des mouvements des prix de l’énergie (même en supposant des cours du pétrole en légère hausse cette année).
S’ajoute à la bonne tenue du revenu des ménages l’effet attendu de politiques budgétaires beaucoup plus favorables à la croissance que l’année dernière
Certes, ce soutien devrait rester modeste en Italie, où les promesses du gouvernement ont dû être revues en baisse suite aux négociations avec l’Union Européenne, et où ce qui est gagné pour la croissance via le creusement du déficit public est en partie effacé par la détérioration des conditions financières causée par l’inquiétude des marchés.
Cependant, il n’en va pas de même en France, où s’ajoutera à l’effet des baisses d’impôts sur les ménages effectives depuis fin 2018 (notamment des réductions de cotisations sociales) celui des largesses consenties par le gouvernement pour apaiser la crise de décembre, soit, au total, un stimulus d’environ 0,5 % de PIB, ciblé dans sa majorité sur des ménages modestes à forte propension à consommer.
L’Allemagne,de son côté, après un durcissement budgétaire involontaire en 2018 (causé par la longue recherche d’une coalition gouvernementale viable, et donc par des retards de déploiement de certaines politiques publiques) devrait connaître une compensation inverse en 2019 qui, en ajoutant de nouveaux efforts ciblés vers divers secteurs (retraite, politique familiale, investissement, militaire) est évalué à environ 0,7 % du PIB.
Enfin, l’impossibilité d’obtenir en Espagne la ratification parlementaire d’un budget 2019 qui prévoyait plusieurs mesures de hausses d’impôts génère également un léger stimulus de fait dans ce pays.
Au total, le soutien budgétaire (mesuré par le creusement du déficit structurel primaire) devrait atteindre 0,5 % du PIB pour l’ensemble de la zone euro. Constitué de mesures disparates consécutives aux contextes spécifiques de chaque grand pays en 2018, il n’aura, certes, pas l’efficacité d’un plan de relance coordonné, mais devrait tout de même, si on lui applique un multiplicateur prudent (un peu moins de 50 %) se traduire par un surcroît d’activité de 0,2pp de PIB en 2019. Il faut cependant noter que cet effet devrait s’estomper en 2020, les projections actuelles ne permettant pas d’anticiper le maintien d’un soutien budgétaire aussi important.
Enfin, en ce qui concerne la dynamique des exportations, auxquelles la zone euro reste bien plus exposée que les États-Unis (27 % du PIB contre 13 %, biens et services confondus) notons qu’un freinage aussi important qu’en 2018 est peu probable. Notre scénario central prévoit, certes, une décélération des deux grandes économies, et marchés d’exportations, que sont la Chine et les États-Unis, mais leur croissance devrait rester très supérieure à celle de la zone euro. Surtout, nous prévoyons davantage un apaisement qu’une aggravation des tensions (du moins du point de vue strictement commercial) entre ces deux pays, et donc de moindres perturbations liées aux chaînes de valeur et à l’incertitude. Enfin, dans un mouvement inverse de celui observé l’année dernière, les chiffres très faibles de 2018 devraient plutôt susciter une compensation positive, notamment via des reconstitutions des stocks.
Encore faut-il que ne soient pas déclenchés un certain nombre de facteurs de risque, qui pourraient facilement annuler, via la montée des comportements de précaution, tant les effets attendus des gains de pouvoir d’achat des ménages que ceux espérés d’une stabilisation de la demande externe.
- Le premier facteur de risque bien identifié est le Brexit: à l’heure où nous écrivons ces lignes, si les scénarios positifs pour l’activité que sont un accord de sortie avec l’UE ou une extension longue du délai avant la sortie du Royaume-Uni restent possibles, le risque d’une sortie sans accord (soit dès le 29 mars soit, après une extension courte, d’ici quelques mois) ne peut pas être complètement écarté (nous lui attribuons une probabilité d’environ 20 %). Les conséquences macroéconomiques d’un tel événement dépendraient fortement des mesures de mitigation qui pourraient être décidées au dernier moment (en plus de celles déjà explicitement prévues). Elles nous conduiraient cependant très probablement à revoir légèrement en baisse nos prévisions de croissance pour la zone euro (même si le choc y était bien moins sévère qu’au Royaume-Uni).
- Un second facteur de risque est la persistance de la menace d’instauration de droits de douane sur l’automobile européenne. Suite à l’enquête conclue en février au titre de la Section 232 du Trade Expansion Act de 1962, le Président américain doit prendre une décision d’ici mi-mai. Il nous paraît peu probable que ces droits de douane deviennent réalité, parce qu’ils appelleraient des représailles et rétroagiraient négativement sur l’économie américaine dans un contexte où des signes de ralentissement sont déjà perceptibles et où l’administration républicaine s’engagera bientôt dans la campagne de 2020. Il est possible, en revanche, que cette menace persiste pendant plusieurs trimestres, par exemple, via leur activation théorique assortie d’une période de grâce renouvelable, afin de les utiliser comme moyen de pressions sur l’UE dans le cadre de négociations commerciales plus larges (l’un des défis étant, pour l’Europe, de trouver une position commune alors que l’exposition des différents États membres aux exportations automobiles vers les États-Unis est très hétérogène). Danger durable, ces droits de douane resteraient pénalisants pour la confiance industrielle en Europe. S’ils devaient, contrairement à nos attentes, être appliqués, il y aurait, là aussi, lieu de baisser nos prévisions pour l’Allemagne et les pays très insérés dans les chaînes de valeur des constructeurs allemands. `
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Enfin, il est nécessaire de rester vigilants vis-à-vis d’une possible résurgence des risques politiques internes.
- Rendez-vous majeur du milieu de l’année, les élections européennes ne devraient pas si l’on en croit les sondages, donner lieu à un raz-de-marée des partis politiques dits « antisystème » (même si la situation peut être compliquée en cas de participation du Royaume-Uni). Si les deux groupes « traditionnels » que sont les Démocrates-Chrétiens et les Socio-Démocrates perdaient probablement la majorité qu’ils détiennent au Parlement européen depuis sa fondation en 1979, ils devraient tout de même pouvoir (au prix de quelques délais et négociations supplémentaires) en constituer une autre avec les autres forces favorables aux institutions que sont les Verts ou les Libéraux.
- En revanche, la situation politique reste volatile en Italie. Il est vrai que des élections anticipées pourraient être perçues comme positives pour l’économie et les marchés, car elles pourraient se traduire par l’émergence d’une nouvelle coalition gouvernementale unissant la Ligue du Nord et la droite traditionnelle. Cependant, il n’est pas certain qu’une telle évolution (ou le maintien de la coalition actuelle) suffise à éviter une nouvelle collision avec les institutions européennes lors de la négociation du budget 2020 (en principe, en fin d’année). Ajoutons que l’Italie reste exposée à une éventuelle dégradation de sa note souveraine.
- Enfin, si les risques dans les autres pays devant connaître des élections générales en 2019 (dont la Finlande, l’Espagne, la Belgique, le Portugal et la Grèce) ne nous paraissent pas présenter, a priori, de dangers systémiques pour la zone euro, la crise sociale initiée en novembre 2018 en France n’est pas encore pleinement éteinte. Elle est venue rappeler que la très solide majorité parlementaire dont bénéficie le gouvernement français ne suffit pas à mettre le pays à l’abri d’importants risques d’instabilité.
Au vu de ces éléments, les perspectives économiques de la zone euro à la fin du T1 2019 nous paraissent, dans l’ensemble, plus positives que ce que pourraient faire craindre les chiffres très dégradés des derniers mois. Le scénario le plus probable est celui d’un rebond reposant avant sur la consommation des ménages, elle-même soutenue par l’amélioration du marché du travail et les décisions budgétaires, et sur une dynamique moins négative (à défaut d’être positive) de la demande externe. Ce rebond devrait toutefois rester modeste : nous prévoyons une progression du PIB de 1,2 % entre le T4 2018 et le T4 2019 et de 1,6 % au cours des 4 trimestres de 2020. Un retour à des chiffres aussi élevés que ceux de 2017 supposerait, en effet, une très forte amélioration des exportations que les conditions mondiales actuelles ne permettent pas d’envisager. Surtout, ce rebond est exposé à de nombreux risques (à commencer par le Brexit, le protectionnisme américain et les aléas politiques internes) sur lesquels la visibilité pourrait rester limitée au cours des prochains mois. Enfin, ajoutons qu’en cas de scénarios négatifs peu de grands instruments de stabilisation (en raison des taux déjà nuls ou négatifs de la BCE, et des difficultés politiques de construction d’une réponse budgétaire coordonnées) semblent immédiatement disponibles.