2015, la grande divergence monétaire

par Eric Chaney, Chef économiste d’Axa IM

A la différence de 2013, 2014 fut un cru moyen pour les investisseurs. Avec le recul, l’année a illustré les vertus de la diversification des portefeuilles : toutes les grandes classes d’actifs sauf les matières premières ont été dans le vert1. Il y a un an, nous pensions que la reprise mondiale, tirée par les Etats-Unis et la Chine, soutiendrait les actions mais ferait souffrir les obligations. Or, si la croissance fut au rendez-vous aux Etats- Unis et en Chine, les rechutes au Japon et dans la zone euro ont bridé la croissance mondiale à 3,3% alors que nous attendions 3,7%. La menace de déflation s’est précisée, cachée sous le sobriquet de « lowflation ».

Et comme si cela ne suffisait pas pour faire baisser les rendements obligataires, la thèse de la « stagnation séculaire » a gagné la sympathie de nombreux investisseurs. En 2015, trois facteurs devraient changer la donne :

  1. L’économie américaine s’approchera suffisamment du plein emploi pour que la Fed commence à normaliser sa politique de taux, probablement en milieu d’année. Le décollage des taux causera une onde de choc dans les marchés qui s’étaient nourris jusque-là de la liquidité fournie par la Fed. De plus, la volatilité redeviendra la norme, puisque son suppresseur, la politique quantitative, n’est plus là
  2. Une inflation très basse, voire négative, une croissance faible et des dettes publiques en rapide essor forceront la BCE à accélérer, peut être amplifier, sa politique d’expansion de bilan. Elle se montrera imaginative et pragmatique et les achats de titres souverains ne seront plus tabou ;
  3. La forte baisse du prix du pétrole – nous misons sur un prix moyen du baril de Brent à 70 US$ en 2015, contre 100 US$ cette année – profitera à la croissance car le transfert de revenu des producteurs vers les consommateurs augmentera la demande agrégée. Elle maintiendra aussi le thème de la déflation dans l’actualité, ce qui pourrait retarder la normalisation monétaire dans certains pays.

Ayant péché par excès d’optimisme cette année, nous sommes prudents pour 2015, anticipant une croissance mondiale de 3,4%. Nous reconnaissons néanmoins que la baisse du prix du pétrole, si elle se confirme, implique un risque à la hausse d’environ un quart de point. Une croissance des chiffres d’affaires robuste à défaut d’être brillante devrait soutenir les actions et les obligations risquées, d’autant plus que, globalement, les politiques monétaires resteront accommodantes.

Le grand écart entre Etats-Unis/Royaume-Uni et zone euro/Japon devrait se traduire par des performances divergentes des obligations gouvernementales : tandis que les rendements devraient monter aux Etats-Unis et Royaume-Uni – nous visons 3,0% pour le 10 ans américain – il n’y a guère de marge à la hausse dans la zone euro et au Japon où les investisseurs devraient éviter de s’opposer à des banques centrales aux moyens quasi-illimités. Ceci vaut également pour les devises : nous anticipons une baisse du yen et de l’euro contre le dollar, à 125 et 1,20 respectivement.

Les risques ne manquent pas, bien sûr. Leur source principale pourrait bien venir de la peur de la déflation : si chaque pays fait de son mieux pour exporter son risque de déflation intérieure, à l’image du Japon, une sorte de guerre des politiques monétaires pourrait s’ensuivre et gonfler des bulles financières. Finalement, la décision la plus importante pour l’économie mondiale sera celle de la Fed d’en finir, ou non, avec la politique de taux zéro.

NOTE

  1. Au 4 décembre, l’indice MSCI mondial (rentabilité totale) avait augmenté sur l’année de 7,0%, tiré par les actions (+13,9%) et les bons du Trésor (+5,5%) américains, par les obligations de la zone euro (+12,1%), et par le crédit IG américain (+7,1%) et européen (+7,6%).