par Gilles Constantini, Gérant du fonds Amplegest Pricing Power chez Amplegest
Faute de Pricing Power, de nombreuses hausses de prix imposées depuis un an ne sont pas soutenables dans le temps. Après une année de banalisation, la capacité d’une entreprise à créer un rapport de force favorable sur son marché devrait peu à peu retrouver une place centrale et discriminante dans les grilles d’analyse.
Le retour de l’inflation au cours de l’année passée a singulièrement brouillé les cartes, pour les investisseurs. La hausse des coûts de production (renchérissement des ma- tières premières et de l’énergie, raréfaction de la main d’œuvre, grippage des chaînes d’approvisionnement…) a en effet forcé les entreprises à augmenter indistinctement leurs grilles tarifaires afin de sauvegarder leurs marges. Le mouvement massif de hausse des prix qui en a découlé a pu donner l’impression que toutes les entreprises disposaient d’un Pricing Power. Mais il n’en est rien.
Des forces déflationnistes puissantes toujours à l’œuvre
Car en réalité, de quoi parle-t-on ? Dit simplement, le Pricing Power est la capacité d’une entreprise à imposer des hausses tarifaires sans impacter ses volumes de vente. Cette capacité découle de la création d’un rapport de force favorable vis-à-vis des clients via la mise en place de barrières à l’entrée solides et durables : avance technologique difficilement rattrapable, marque forte ou encore brevet… Cette capacité est d’autant plus stratégique que les entreprises sont en réalité confrontées à des puissantes forces déflationnistes qui sont loin d’avoir disparu : hyperconcurrence, disruption de modèles établis, versatilité des consommateurs, désintermédiation des circuits de distribution…
Une situation aujourd’hui amplifiée par l’érosion du pouvoir d’achat des ménages, qui renforce la chasse aux bonnes affaires et le recours au low cost. Or la récente séquence inflationniste a pu faire passer au second plan ces forces de rappel. Résultat : faute de Pricing Power, de nombreuses hausses de prix imposées depuis un an ne sont pas soutenables dans le temps.
Les premières publications de comptes annuels commencent à témoigner de cette réalité. Le spécialiste des biens de consommation multi-marques Procter & Gamble, qui opère sur un marché ultra-concurrentiel et peu protégé, a par exemple annoncé que le renchérissement moyen de 10% de sa gamme de produits lors du dernier trimestre s’était soldé par un recul des volumes de vente de 6% en 2022. Incontournable sur son marché, le fabricant de machines pour l’industrie des semi-conducteurs ASML est à l’inverse parvenu à accroître ses prix de vente tout en affichant une progression de ses commandes, dans un contexte de relocalisation des lieux de production particulièrement porteur.
Une notion atemporelle qui traverse les cycles macroéconomiques
Cette divergence croissante des trajectoires commerciales rappelle qu’aujourd’hui comme hier, la capacité à maîtriser durablement sa politique de prix est très inégalement répartie entre les entreprises. Elle montre par là-même que le Pricing Power est une notion atemporelle qui traverse les cycles macroéconomiques et les momentums de marché. Pour ces raisons, les mois qui viennent seront déterminants, pour les investisseurs. Après une année de banalisation et de « derating » des entreprises qui en sont le mieux dotées, le Pricing Power devrait peu à peu retrouver sa place centrale et discriminante dans les grilles d’analyse.