par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Le marché des changes aura été fortement chahuté en 2010. En effet, les thèmes macroéconomiques se sont succédés tout au long de l’année expliquant d’importants mouvements sur l’ensemble des devises : la dichotomie entre pays émergents et pays développés, les différentes vagues de la crise des dettes souveraines européennes, les tentatives pour éviter l’appréciation des changes (interventions dans certaines économies développées (Suisse, Japon), contrôle des capitaux dans les émergents (Brésil, Indonésie, Thaïlande, etc.)), les différences de politique monétaire (assouplissement quantitatif massif aux Etats-Unis, R.U., mesures homéopathiques côté BCE),…
L’eurodollar n’aura pas fait exception. A l’instar des années précédentes (2008-2009), l’année 2010 aura été caractérisée par une forte volatilité de la paire EUR/USD. L’amplitude des mouvements aura été large (17%), l’euro ayant, en effet, atteint un point haut à 1,45 en janvier et un point bas à 1,19 en juin. La crise des dettes souveraines, en deux vagues, et les annonces de politique monétaire de la Fed auront été les deux thèmes dominants pour expliquer les mouvements de l’eurodollar : de janvier à juin, l’euro s’est quasiment continûment déprécié, avec les nombreux rebondissements de la crise grecque, pour atteindre 1,19 début juin.
Le sauvetage de la Grèce et la mise en place d’un dispositif pouvant aider les pays en difficultés a rassuré temporairement les marchés. Pendant l’été, l’euro s’est tour à tour apprécié atteignant 1,33 début août puis est reparti à la baisse (à 1,26 le 24 août avec une montée de l’aversion pour le risque favorisant le dollar). A ensuite suivi un mouvement de forte dépréciation du dollar jusqu’en novembre, principalement guidé par les annonces de politique monétaire de la Réserve Fédérale (achats de titres du Trésor avec le QE2) alors que la BCE n’envisageait pas de faire davantage. La conjonction des élections mid-term américaines avec la défaite des démocrates (Congrès divisé), des attaques domestiques et externes contre la politique de la Fed (considérées par certains comme un possible obstacle à la mise en œuvre du QE2), de la deuxième grosse vague de défiance en Europe (crise irlandaise sur fond de dissensions européennes) ont provoqué un nouveau retournement de l’euro à partir de début novembre, qui est repassé d’un point haut à 1,42 le 4 novembre à 1,33 actuellement.
Les facteurs conjoncturels ou institutionnels vont plutôt rester favorables au dollar en début d’année 2011 :
- La crise européenne n’est vraisemblablement pas terminée, le premier semestre pourrait être encore rythmé par des événements défavorables à l’euro avec des marchés toujours défiants envers certains pays (Portugal et Espagne en particulier) qui pourraient rencontrer des difficultés à se financer.
- L’écart de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro pourrait s’accroître en 2011, la croissance américaine étant soutenue par de nouvelles mesures budgétaires alors qu’en zone euro, c’est plutôt l’austérité budgétaire qui prévaut. En effet, Obama a annoncé la semaine dernière qu’un compromis avait été trouvé avec les républicains pour, non seulement étendre de deux ans les baisses d’impôt de Bush (2001/2003), mais aussi baisser d’autres impôts (payrolls tax, …)1. La croissance américaine pourrait être de 2,7% en moyenne en 2011 (2,8% en 2010) contre 1,2% en zone euro (1,7% en 2010).
- Les politiques monétaires resteront expansionnistes des deux côtés de l’Atlantique en 2011. Concernant les politiques non conventionnelles, la Réserve Fédérale pourrait envisager de faire plus que les 600Md$ annoncés mais il nous semble que cela devient moins probable avec les annonces budgétaires. De son côté, la BCE ne devrait pas changer de stratégie.
En revanche, les facteurs structurels plaident plutôt pour une dépréciation du dollar à moyen terme :
- Le comportement de diversification des réserves de change de la Chine (qui se renforce depuis la réforme monétaire de mai dernier) pourrait avoir un impact baissier sur le dollar.
- Au-delà des aspects conjoncturels ou institutionnels, le sempiternel déficit courant américain reste selon nous le facteur fondamental de l’évolution du dollar à moyen terme et suggère donc une dépréciation de la monnaie américaine.
Au total, nous anticipons une appréciation du dollar sur la première partie d’année (vers 1,30 en mars 2011) puis un retournement au second semestre. En tout état de cause, il est fort probable que l’évolution de l’eurodollar reste caractérisée par une forte volatilité l’année prochaine.
NOTES
- Cf Edito Eco Hebdo du 09/12/10