Coup de projecteur sur les comptes financiers américains1

par Philippe d’Arvisenet, Chef économiste de BNP Paribas

On examine ici la situation financière des ménages, des entreprises ainsi que les comptes extérieurs américains à partir des Flows of Funds du 3ème trimestre 2010.

Des profils d’endettement tranchés

L’endettement total a crû de 9,7% en glissement annuel au troisième trimestre 2010 contre 4,2% un an plus tôt. Il représente 2,43 fois le PIB contre 2,18% en 2006.

Alors que la hausse de la dette privée s’est interrompue, cette progression a été largement tirée par l’endettement fédéral qui a augmenté de 19,5% en ga au T3 après 29,9% au T3 2009. Il représente 61,4% du PIB contre 44,4% en 2006. La dette des collectivités locales, en revanche, progresse à un rythme à peu près identique (de 3,5% sur un an) à celui enregistré au T3 2009 (3,7%).

La dette des entreprises est quasi stable (-0,2% en ga). Si la dette des sociétés connaît une légère accélération (3,5% contre 0,4% au T3 2009), celle des autres entreprises connaît une contraction accélérée (-7% après -4,5 au T3 2009). L’encours de la dette des ménages régresse (-3,5% en ga pour les crédits immobiliers au T3 2010, après -3,6% un an plus tôt et -9,5% après -6% au T3 2009 pour les crédits à la consommation).

Pour les ménages, comme pour les entreprises, le recours à l’endettement est freiné par la demande bien plus que par les restrictions de l’offre, comme en atteste la dernière enquête trimestrielle de la Fed auprès des établissements de crédit. La dette des institutions financières s’est contractée de 8,9% en 2009 et de 9,1% au cours des trois premiers trimestres 2010.

Des modifications majeures dans la structure des besoins et capacités de financement

Le besoin de financement de la Nation (somme algébrique des besoins/capacités de financement des agents domestiques) s’est fortement contracté de 2006 à 2009, passant de 6 à 2,7 points de PIB, mais ce mouvement s’est inversé en 2010. Il s’est élevé à 3,3 points de PIB sur les trois premiers trimestres et à 3,5% au T3 2010. En d’autres termes, la résorption des déséquilibres globaux, dont le déficit extérieur américain est une des facettes majeures, est loin d’être acquise.

Le besoin de financement du secteur privé (-3,8 points en 2006) a fait place à une capacité de financement (8,6% en 2009) qui s’est, toutefois, quelque peu contractée en 2010 (7,4 points de IB sur trois trimestres et 6,9 points au T3). Cette évolution touche aussi bien les entreprises (qui affichaient un besoin de financement de 1,7 point de PIB en 2006 mais une capacité de 4,65 en 2009, revenue à 2,8 au T3 2010) que les ménages dont le besoin de financement de 2,1 points en 2006 a disparu pour faire place à une capacité de financement de 4 points en 2009, restée quasi stable depuis. En revanche, le déficit des administrations a bondi de 2,2 points de PIB en 2006 à 11,3 points en 2009 (10,7 sur les trois premiers trimestres de 2010).

– Les ménages

Le taux d’endettement des ménages (dette/revenu disponible) a touché un point haut en 2006 (132,4 %), il a ensuite amorcé une décrue qui l’a ramené à 117,6% au T3 2010. Cette évolution touche le crédit hypothécaire (-2,65% en ga au T3 2010 après -1,65% au T3 2009) mais aussi le crédit à la consommation (-3,5% au T3 après -3,6% un an plus tôt). Ce ratio d’endettement apparaît appelé à poursuivre sa contraction. Une analyse économétrique reliant ce ratio à ses fondamentaux (taux longs réels, pouvoir d’achat du revenu disponible, richesse) débouche sur un ratio d’équilibre de près de 8 points inférieur au niveau observé. Ainsi que l’ont montré C. Reinhart et V. Reinhart2, cette analyse est en ligne avec les observations historiques. En moyenne, les ajustements consécutifs aux crises bancaires et immobilières ont une durée de 5 ou 6 ans et aboutissent généralement à un retour des taux d’endettement à des niveaux comparables à ceux observés avant le gonflement des bulles

La richesse des ménages s’est contractée de 16,3% en 2008 (-18,1 pour les actifs financiers et -16,2 pour les actifs tangibles), elle s’est légèrement redressée depuis (+4,7%) du fait de la hausse de la valeur des actifs financiers (10,25%) alors même que la valeur des actifs tangibles continuait à se contracter (-6,5%). La richesse reste significativement inférieure (de -12,4%) à son niveau de la fin 2007. Elle représente 5,1 fois la dette contre 5,7 fois en 2007. Les actifs immobiliers nets (hors dette) ont poursuivi leur décrue, passés de 59,7% de l’actif brut fin 2005 à 39,2% fin 2009, ils sont tombés à 38,8% au T3 2010. Sans surprise, à l’inverse de ce que l’on observait avant la crise, le recours au crédit hypothécaire ne couvre plus l’investissement résidentiel. Ce dernier a baissé de plus de moitié depuis 2006 (USD 285 mds en moyenne sur les trois premiers trimestres 2010 contre 670 en 2006) tandis que le crédit hypothécaire, qui progressait de USD 990,7 mds en 2006, connaît une contraction accélérée (-312,3 sur les trois premiers trimestres 2010).

Bien que fortement vendeurs nets d’actions détenues en direct en 2006 et 2007 (USD 585,1 et 852,8 mds), les ménages ont continué à voir le montant de leur portefeuille actions se gonfler (18,9%) sous l’effet de la valorisation. Ce comportement a été temporairement interrompu dans les deux années suivantes. En 2010, ils ont renoué avec les ventes nettes (USD 312,2 mds sur les trois trimestres 2010) mais ont bénéficié de nouveau des effets de revalorisation (les portefeuilles d’actions détenues en direct, qui avaient chuté de 40% en 2008, se sont redressés de 38,4% depuis). Dans une acception large, incluant les fonds investis en actions, les réserves des compagnies d’assurance et les fonds de pension, la perte de richesse de 2008 (-28,2%) a fait place à un redressement (24,7%) lié au rebond de la Bourse et à la reprise de certains placements. Les dépôts, qui avaient fortement progressé de 2005 à 2008 (+29,6%), passant de 14,2 à 19,2 des avoirs financiers, ont légèrement décru depuis (-3,8%) pour revenir à 16,8 des actifs financiers. Les encours investis en fonds monétaires, en hausse de 68% de 2005 à 2008, ont significativement régressé depuis (-28,8%).

– Les entreprises

Le partage de la valeur ajoutée s’est modifié. La part des salaires et cotisations sociales dans le revenu national, qui avait augmenté de 2,3 points à 64,2% de 2006 à 2008, s’était accompagnée d’un fort recul des profits non financiers, revenus de 8,3% du PIB en 2006 à 6% en 2009. On a assisté depuis lors à une décrue de la part des rémunérations (62,2% au T3 2010) tandis que la part des profits dans le PIB se redressait à 7,35%. Il faut y voir pour l’essentiel le double effet de la modération des salaires et du redressement des gains de productivité qui ont débouché sur une baisse des coûts salariaux unitaires (-1,1% en ga) alors que le déflateur du PIB affichait une hausse de 1,5%.

Les dividendes versés ont continué à progresser dans les dernières années (6,7% sur trois ans), ce qui a impliqué une forte volatilité du taux de distribution (46,3% en 2007, 72,3% en 2009, 49,1% sur les trois premiers trimestres 2010). La dépense en capital a fortement diminué en 2008 et 2009 (-30,5% sur les deux ans) avant de se redresser en 2010 (+38% en ga au T3 2010). Le rebond des profits a, cependant, permis de limiter le recours au financement externe : les montants nets levés passés de USD 752,3 mds en 2007 à 364,2 en 2008 et à 0,7 en 2009 se sont élevés à 323 mds sur les trois premiers trimestres 2010. Les rachats d’actions, qui avaient chuté en 2008 et 2009 (USD -366 mds et -64,6 contre 786,8 en 2007), ont repris depuis la fin 2009 (USD 261,2 mds sur les trois derniers trimestres). Le ratio de la dette à la valeur du marché des entreprises a fortement baissé depuis le début des années 2000. Ce mouvement, temporairement interrompu par la crise, a repris au cours des deux dernières années. La dette de marché, qui avait progressé de 12,7% en 2007 (47,7 points de PIB), est de 5,3 en 2008, est restée stable en 2009 et a progressé de 3,5% depuis.

Parallèlement, les entreprises ont consolidé leur dette, la dette longue représente 74,3% du total contre 69% en 2008. Les actifs liquides ont augmenté de 27,6% en 2009 et de 8,2% au cours des trois premiers trimestres 2010, ils représentent 52,6 de la dette à court terme contre 38% en 2008.

– Les comptes extérieurs

Les comptes extérieurs se détériorent à nouveau.
Le déficit de la balance des paiements courants, tombé de USD 798,4 mds en 2006 à USD 379,7 mds en 2009, se creuse de nouveau à 484,1 mds sur les trois premiers trimestres. Les rapatriements de capitaux enregistrés en 2008-2009 (« flight to safety ») ont laissé la place à une augmentation des sorties nettes. Les dépôts à l’étranger, qui avaient baissé de USD 402,1 et USD 171,6 mds respectivement en 2008 et 2009, ont augmenté de USD 174,1 mds sur les neuf premiers mois de 2010. Sur les instruments de marché, la contraction de USD 226,3 mds de 2008 a fait place à une hausse de USD 191,8 mds en 2009 et de USD 84,9 mds sur les neuf premiers mois de 2010.

Les sorties au titre des investissements directs (IDE) se sont établies dans le même temps à USD 363, 7 mds contre 268 en 2009, elles dépassent toujours nettement les flux d’entrées (USD 141,5 mds). La couverture des sorties de capitaux et du déficit courant a été largement financée par les achats de treasuries de la part des non-résidents, au premier rang desquels les banques centrales étrangères. Leur montant, de USD 210 mds en 2009 a atteint USD 768,9 mds, dont 742 par les banques centrales) sur les trois premiers trimestres 2010 (USD 1017 mds au T3). 47,3% de l’encours des treasuries est détenu par des créanciers étrangers.

La position extérieure nette négative des Etats-Unis (dette nette des avoirs) est passée de USD 2 204 mds en 2007 à USD 3 655 mds sur les neuf premiers mois de 2010.

Malgré le creusement d'une position extérieure nette négative, les Etats-Unis continuent à dégager un solde extérieur net positif sur les revenus : USD 506 mds sont versés au reste du monde (calculé sur 3 trimestres en 2010), contre USD 698,6 mds reçus. Le rendement apparent des avoirs américains à l'étranger ressort à 5,5% contre 3,2% dégagés par les non-résidents.

Cette configuration récurrente est liée à l'écart de structure entre avoirs étrangers aux Etats-Unis et avoirs américains sur le reste du monde.

Les IDE représentent 33,5% des avoirs américains, les actions 31,5% et les obligations 12%. Les IDE se montent à 16,7% des avoirs étrangers aux Etats-Unis, les actions à 15,5% et les titres publics (treasuries et agences) à 33%.

NOTES

  1. Sauf indication contraire, toutes les données trimestrielles sont annualisées,
  2. Intervention au Colloque annuel de la Fed de Kansas City, Jackson Hole, 2010.

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